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François Cardinal : Perdus sans la nature

Éditorialiste au quotidien La Presse et reporter spécialisé en environnement, François Cardinal est avant tout un père soucieux de l’avenir de ses enfants. Dans son nouveau livre « Perdus sans la nature », il brosse un portrait alarmant de la disparition progressive de la nature dans la vie des jeunes.

Une récente étude de la National Wildlife Federation (NWF) montre qu’un enfant américain passe en moyenne quatre à sept minutes par jour à jouer dehors, alors qu’il est recommandé de pratiquer une activité physique quotidienne d’au moins 20 minutes.Peut-on établir le même constat chez les jeunes Québécois ?

Aucune étude de ce type n’a encore été menée au Québec, mais on observe souvent chez les Américains des tendances qui vont toucher un peu plus tard les Québécois. Pour écrire mon livre, je me suis fié à bien des études internationales et à des entrevues avec des experts de tous horizons, dans le but de vérifier ces données que l’on trouve dans les études américaines. Unanimement, les experts m’ont dit que les jeunes occidentaux ont de moins en moins accès à la nature et consacrent de moins en moins de temps au jeu libre.

D’où vient ce phénomène ? La console de jeu vidéo est-elle devenue plus séduisante que la cabane dans les arbres ?

La stimulation d’un jeu vidéo est aujourd’hui bien plus grande que la nature. Il est plus facile de s’asseoir devant un écran et de s’engourdir l’esprit devant des images qui défilent à toute vitesse que d’aller à l’extérieur et chercher des insectes. Les parents organisent de plus en plus les horaires de leurs enfants, qui ont de moins en moins de temps pour le jeu libre ou de se promener à l’extérieur afin de rester en contact avec la nature. À mon époque, nous étions laissés à nous-mêmes, nous partions toute la journée jusqu’à ce que notre mère nous appelle pour manger, puis nous repartions tous jouer encore quelques heures. Or, aujourd’hui, les enfants n’ont plus ce temps libre où ils doivent s’organiser par eux-mêmes. Les seuls moments où ils peuvent vraiment faire ce qu’ils veulent, ils vont les passer devant leurs jeux vidéo. Et il ne faut pas oublier cette culture de la peur dans laquelle on vit aujourd’hui. On est passé en quelques décennies d’une société de prévention à une société de précaution. Les enfants sont couvés à l’excès. L’autonomie qu’on leur laisse est de moins en moins grande, car il est toujours plus facile et sécurisant de les laisser entre quatre murs.

Vous êtes vous-même père de famille. Comprenez-vous ces parents qui sont anxieux de voir jouer leur enfant dehors ?

Oui je les comprends, mais je sais aussi qu’il est de leur responsabilité de sortir leurs enfants de leur zone de confort. Prenons un exemple comme celui du transport à l’école. C’est de plus en plus en automobile que les parents y amènent leurs enfants. C’est assez désolant comme constat, car ces jeunes perdent en autonomie, en débrouillardise et en activité physique. Il faut comprendre ces parents qui ont peur que leurs enfants aillent à pied ou à vélo à l’école : il y a de plus en plus d’autos, donc de plus en plus de risques d’accident. Mais les transporter dans une auto pour les amener à l’école, c’est entretenir un cercle vicieux où pour répondre à un problème, on en crée un encore plus grand. Il existe pourtant des solutions comme le pédibus : un concept très en vogue en France, où les gens d’un quartier s’organisent entre eux pour avoir un circuit jusqu’à l’école, comme celui d’un autobus scolaire, mais que les enfants empruntent à pied encadré par les parents volontaires. Vous avez là les vertus de l’activité physique sans la crainte de laisser son enfant seul dans la rue parmi les autos.

Quelles sont les conséquences d’un manque d’exercice et de plein air ?

On parle de plus en plus d’obésité, d’hypertension, de diabète. Des problèmes qui n’étaient pas des problèmes d’enfants auparavant, mais qui commencent à être alarmants. On constate généralement une dégradation de la forme physique, mais aussi l’apparition de troubles mentaux comme l’hyperactivité, les difficultés d’attention, les désordres liés au stress et les troubles du comportement. Tout cela parce que les enfants n’ont plus de moments de jeu libre pour canaliser leur énergie.

Quels sont les bienfaits de ce « jeu libre » dans la nature ?

L’ergothérapeute Francine Ferland en parle comme d’une « supervitamine » pour les enfants. Une étude a été réalisée auprès d’enfants atteints de trouble de déficit de l’attention qu’on a amenés dans un parc se promener pendant une vingtaine de minutes. On a conclu que l’impact de la nature est aussi important, voire plus important, qu’une pilule de Ritalin. L’être humain a une affinité innée pour la nature : elle lui procure du bien-être. Plusieurs études le prouvent. Au Japon, par exemple, les gens qui vivent à proximité d’un parc ont une longévité plus grande que les autres. Autre exemple : les enfants qui voient la nature par une fenêtre pendant qu’ils font leurs devoirs ont un degré de concentration et d’attention plus important que ceux qui regardent un mur de briques. Vous avez là des liens entre la nature et le développement des enfants. Leur santé physique et cognitive en dépend.

Parents et enfants doivent donc réapprendre à s’intéresser à la nature ?

C’est bien beau de penser que les enfants sont plus soucieux du sort de la planète parce qu’ils ferment le robinet lorsqu’ils se brossent les dents ou parce qu’ils trient les déchets et les matières recyclables… Mais on oublie une chose : tant que l’on ne développera pas l’intérêt des enfants pour l’environnement, on se dirigera tout droit vers un mur. Si aujourd’hui nos enfants n’ont plus d’expérience en pleine nature, on ne peut pas espérer qu’ils seront  de meilleurs protecteurs de l’environnement que nous. Il faut que les parents retrouvent cet intérêt et qu’ils le transmettent à leurs enfants, qu’ils deviennent des modèles. On n’a pas besoin d’aller très loin de la maison ou de faire des activités extraordinaires pour donner aux enfants le plaisir de la nature. Avec mon fils, j’ai pris l’habitude de planter notre tente dans la cour arrière de notre maison et d’y dormir avec lui certains soirs. Ce sont pour lui des souvenirs impérissables et une expérience en soi.

 

Crédit: Éditions Québec-AmériquesPerdus sans la nature
François Cardinal (Éditions Québec-Amériques)
18,95 $ | 208 p.

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