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  • Saut base jump de Bertrand Cloutier © courtoisie Bertand Cloutier

Bertrand Cloutier : l’homme volant

Bertrand Cloutier, 63 ans, saute en parachute depuis 44 ans. Ce pilote d’avion et ancien fonctionnaire de la Ville de Québec pratique aussi le base jump depuis 28 ans. Loin d’être un casse-cou, il nous explique avec humilité et précision son amour pour les sauts, malgré les risques.

Vous avez à votre actif 2 000 heures de vol, 3 000 sauts en parachute et 1 500 sauts en base jump. D’où vous vient cette passion?

Comme Obélix, je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit! Je viens d’une petite ville, Normandin, au nord du Lac-Saint-Jean. Quand la télévision est arrivée chez nous, j’avais 4 ou 5 ans. Il y avait deux nouvelles émissions en ondes : Les Hommes volants et CF-RCK. C’était pour moi le summum de l’aventure. J’ai l’impression que je n’ai jamais cessé de vouloir vivre mes rêves d’enfants. J’y suis resté accroché, tout au long de ma vie, comme si je n’avais pas vieilli!

Pourquoi sautez-vous en parachute?

Cette question, il faut la diviser en deux : pourquoi on saute une première fois, et pourquoi on recommence. Le premier saut, on en rêve, on veut satisfaire un besoin d’aventure. Mais il y a aussi une explication plus chimique. Certaines personnes ont un niveau anormalement bas de monoamines-oxydases (MAO). Elles ont en commun un type de personnalité semblable : ce sont des libres-penseurs, des audacieux, des inventeurs… Des gens qui pensent en dehors du cadre, qui ont besoin d’explorer ou de repousser leurs limites. Cela explique en partie pourquoi on prend des risques. Et ce doit sûrement être mon cas!

Qu’est-ce qui vous a donné envie de continuer à sauter?

Des études scientifiques ont démontré que chez certains sauteurs, trois glandes du cerveau se mettent à fonctionner en même temps et produisent des hormones lorsqu’ils sautent. Ce sont les phényléthylamines, ou PEA; phényl pour le phénol, éthyl pour l’alcool et amines pour acides aminés. Elles font l’effet d’une bombe émotionnelle dans le cerveau et entraînent notamment une distorsion de la perception de la réalité. Autrement dit, tu es chaud et gelé en même temps! On trouve un phénomène semblable chez les personnes qui ont vécu un coup de foudre amoureux. On produirait ces hormones pour combattre notre peur ancestrale de tomber, tout en vivant l’un des plus vieux rêves de l’homme : celui de voler. Au final, on a envie de sauter à nouveau pour revivre cette décharge hormonale.

Bertrand Cloutier © Babas

Le coup de foudre, ça ne dure qu’un temps. Pourquoi continuer?

Pour essayer de revivre ce moment magique du coup de foudre, il faut aller sans cesse un peu plus loin et ainsi continuer à faire vivre le rêve. C’est ce qui m’a amené à faire du base jump. C’était en 1989, en Virginie-Occidentale, lors du Bridge Day, le plus grand rassemblement de base jumpers au monde. J’ai sauté d’un pont, à 267 mètres de hauteur.

Après autant de sauts, comment a évolué cette relation amoureuse?

En vieillissant, on devient plus peureux, et c’est une bonne chose, car notre corps devient aussi plus fragile. Aujourd’hui, je suis capable d’être aussi heureux en faisant moins de choses. Je mise davantage sur l’aspect inventif, artistique et humoristique du saut. Je saute souvent avec un costume, ce qui engendre le rire autour de moi. J’essaie aussi d’être de plus en plus en harmonie avec l’environnement et avec moi-même. C’est ma phrase fétiche. Une personne doit l’être pour comprendre les vents et l’endroit où il se trouve, ou pour trouver des portes de sortie en cas de problème… C’est ce que j’essaie d’enseigner aux jeunes pour qui j’agis comme mentor.

Bertrand Cloutier costumé © courtoisie Bertrand Cloutier

Le monde du saut a-t-il beaucoup changé en 20 ans?

Énormément, surtout depuis l’arrivée d’Internet et des vidéos sur les réseaux sociaux. On voit beaucoup de personnes qui arrivent dans le milieu avec un besoin d’exposition médiatique quasi égocentrique : ils veulent sauter et le montrer. Quand j’ai commencé, on était très discret sur ce que l’on faisait. C’était caché. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Comme ancien professeur de tai-chi, j’essaie d’adopter une approche plus zen pour le base jump, car je crois que le saut doit aussi nous apporter quelque chose sur le plan philosophique et spirituel. Avant de sauter, je prends trois respirations, lentes et profondes, pour me recentrer, être mieux oxygéné et abaisser mon rythme cardiaque.

Que demande un saut en base jump, physiquement et mentalement?

Il faut entrer dans sa bulle et avoir fait la paix dans sa tête, malgré les risques. Quand on saute, on doit adopter une position arquée, la tête et les bras relevés vers l’arrière, le bassin vers l’avant. C’est comme offrir toutes les parties vitales du corps au vide et au sol. On ne peut pas avoir une telle position si on a peur, car on aura tendance à se recroqueviller plutôt qu’à s’ouvrir. La peur va t’empêcher d’avoir une bonne poussée au moment du saut. Si on ne pousse pas assez, on risque d’être dirigé vers la paroi lors de l’ouverture du parachute. Sauter, c’est finalement aller à l’encontre de nos réflexes d’humains.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de saut?

J’ai vécu plusieurs séries de coups de foudre! Parmi mes sauts les plus extraordinaires, il y a celui que j’ai fait en Norvège, depuis des parois verticales de plus de 450 m de hauteur, avec en contrebas une vallée rocheuse. Cette fois-là, j’ai eu vraiment l’impression de voler comme un oiseau. Je vivais un rêve. Quand j’ai ouvert mon parachute, j’en avais les larmes aux yeux. Je criais. J’ai vécu un orgasme tout éveillé!

J’ai aussi réalisé un autre très beau saut à Cap-Chat, en Gaspésie, depuis le sommet d’Éole, la grosse éolienne verticale. J’ai même réussi à passer entre les bras des pales, comme si j’étais passé entre ceux du dieu du vent. Ce fut un très beau moment! Ces émotions intenses sont rares et surviennent 2 à 3 fois par année tout au plus. Le danger, c’est de vouloir pousser trop pour les revivre chaque fois : tu risques de faire partie de la sélection naturelle très rapidement! Il faut aussi savoir se contenter d’un saut ordinaire.

Bertrand Cloutier au Jump Off 2016 © Agence Blizzard Media

Pratiquez-vous aussi le vol en wingsuit?

J’en fais depuis plusieurs années. En 2014, j’ai remporté la médaille d’or lors d’une compétition canadienne de wingsuit, à Saint-Jérôme. C’est ce qui se rapproche le plus du vol pur. Comme pilote, je n’ai jamais voulu avoir un plus gros avion, mais me rapprocher le plus possible de la sensation de voler. C’est ce qui se produit avec un wingsuit, car tu voles très près du sol, au ras des arbres.

Que faites-vous pour limiter au maximum les risques?

J’enseigne la « loi de la main pleine ». Il faut compter sur ses doigts tous les éléments qui peuvent intervenir dans un saut. Si on arrive à cinq, la main est pleine et on risque de prendre une claque dans la face! Supposons que tu vas sauter dans un nouvel endroit, avec un nouveau parachute. Tu es rendu à deux. Tu veux faire ça de nuit : trois. Tu apportes ta caméra pour filmer : quatre. Les gens oublient parfois de laisser une place à l’inconnu ou à la surprise. Quand tu es près de cinq, il faut te questionner sur ce qu’il serait bon d’enlever. La caméra, par exemple : l’ego médiatique, ça tue le monde!


Jump Off 2017

Compétition de base jump sur l’Esplanade Financière Sun Life au Parc olympique, à Montréal, dans le cadre de la 6e édition du festival du festival de sports d’action Jackalope, du 18 au 20 aout.
jumpoff.city

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