Jean-Philippe Bélanger, Charles Roberge : sacrée cordée de glace
L’un est fonceur, entêté et ne recule devant rien, pas même les grands froids; l’autre est rationnel, organisé et… malentendant. Tous deux voient cependant du même œil l’escalade de glace, une passion qu’ils assouvissent ensemble, principalement au Québec, en région éloignée.
Charles Roberge, 29 ans, et Jean-Philippe Bélanger, 38 ans, deux grimpeurs de la région de Québec, ont planté leurs piolets dans les parois les plus difficiles du Québec et ils comptent parmi les grimpeurs les plus prolifiques de l’est du pays.
Rencontre avec ces deux grimpeurs, respectivement surnommés «la Chèvre» et «la Marmotte» dans la communauté.
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans l’escalade de glace?
Jean-Philippe Bélanger: Principalement l’aventure. Pour nous, l’escalade de glace, ce n’est pas juste grimper une paroi, c’est aussi tout ce que cela prend pour y parvenir. On a souvent plus de plaisir dans la préparation d’une ascension que dans la grimpe en tant que telle: trouver de nouveaux endroits, déterminer la façon d’y arriver… Et le Québec nous offre un beau terrain de jeu avec beaucoup de glace à grimper et un potentiel encore largement inexploré, notamment en Côte-Nord.
Charles Roberge: Le plaisir, on le retrouve aussi dans les journées plus difficiles. En escalade de glace, il faut aimer se mettre dans le trouble et repousser sa tolérance à l’inconfort. Car si on attendait les conditions parfaites, avec la bonne météo ou la bonne température, on ne grimperait pas autant. On se sent parfois un peu niaiseux de faire ce sport-là, à se geler les mains, surtout en début de saison, mais en fin de compte, la passion revient toujours.
Jean-Philippe Bélanger dans le pilier des Maniaques, lac-Manicouagan © Courtoisie
Comment en êtes-vous venus à pratiquer cette activité?
J.-P.B.: Je suis chirurgien orthopédiste. J’ai commencé à grimper dans un centre d’escalade de Québec, comme tout le monde. Puis, après quelques années, je me suis mis à l’escalade de glace, d’abord à la chute Montmorency; ensuite, avec Charles, on s’est rapidement intéressés à des trucs plus aventureux.
C.R.: Je travaille pour le ministère des Transports comme technicien des travaux publics. J’ai aussi commencé l’escalade en intérieur, avant de découvrir la glace au Festiglace de Pont-Rouge, en 2007. Depuis, en binôme, on a poussé la game plus loin, en allant grimper en région éloignée, là où personne ne va.
Qu’est-ce que ça serait, pour vous, une belle journée de grimpe?
C.R.: Être sur un grand réservoir sauvage, parcourir plusieurs kilomètres en motoneige pour se rendre au pied d’une voie, grimper une paroi de 200mètres de haut juste assez difficile pour avoir mal aux bras, sentir le soleil me chauffer le dos…
Le duo au sommet du Somnambule, au lac Walker © Courtoisie
Et atteindre le sommet?
C.R.: Pas forcément. C’est toujours agréable de parcourir une voie au complet, car on peut passer à autre chose et se projeter dans la prochaine. Mais le sommet, ce n’est pas l’objectif premier. En réalité, il n’arrive qu’en troisième position dans notre liste. Le premier, et le plus important, c’est de rentrer à la maison pour retrouver la famille et les amis. Le deuxième, c’est d’avoir du fun.
J.-P.B.: Il y a une expression en escalade qui dit: «Il y a de vieux grimpeurs et des grimpeurs téméraires, mais il n’existe pas de grimpeurs vieux et téméraires.» Il faut savoir rester humble. Si cela marche, c’est parfait. Sinon, il faut avoir la sagesse de rebrousser chemin au bon moment. Cela explique aussi pourquoi on a grimpé des trucs sérieux tout au long de ces années sans se blesser.
Charles, vous êtes malentendant de naissance. Qu’est-ce que cela implique dans la pratique de votre sport?
C.R.: On a mis en place un système pour communiquer sur la paroi avec la corde: cinq coups pour dire que l’on est assuré correctement, trois coups quand c’est à notre tour de grimper. C’est simple, mais efficace! Je dois aussi faire attention à mes implants auditifs, qui sont sensibles à l’humidité. Je me suis récemment fait opérer le nerf auditif, ce qui m’aide à entendre d’un peu plus loin. J’ai même découvert des sons que je n’avais jamais entendus avant: le bruit des coups de piolet, les crampons, la contraction de la glace… Ce fut une belle expérience!
Charles Roberge dans la dernière longueur de la Pomme d’Or © Courtoisie
Vous fonctionnez surtout en binôme. Quelles sont les qualités de grimpeur de l’autre?
J.-P.B.: Charles, bien qu’il soit plus jeune que moi, est le plus rationnel de nous deux. Il a un super sens de l’organisation, il sait exactement ce que cela prend pour réussir et avoir une bonne journée d’escalade. Et puis, il a un talent de grimpeur tout aussi exceptionnel, avec une force physique incroyable!
C.R.: Jean-Philippe, c’est un fonceur, un entêté. Même par -30degrés, il a le goût de mettre ses bottes et d’aller dehors pour grimper! Il arrive à me motiver, à me crinquer pour que je fasse de même. Il reste calme, peu importe la situation. Finalement, on se complète bien, on a la même ambition de grimpe sauvage.
Qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter pour la suite? Quels sont vos rêves, vos projets?
J.-P.B.: C’est délicat de répondre à cette question, car on veut rester discrets là-dessus. On a des contacts en Côte-Nord pour aller grimper des grosses parois difficiles d’accès, mais tout de même réalisables.
C.R.: Personnellement, je vais être papa pour la deuxième fois! Mais pour en revenir à l’escalade, j’aimerais beaucoup aller grimper en Europe, même s’il y a encore beaucoup à faire au Québec, surtout au nord de Sept-Îles. À ce titre, notre coin de pays n’a rien à envier aux parois du Vieux Continent: on a ici un très beau territoire, et on peut en être fiers!
Trouver sa voie au Québec
Jean-Philippe Bélanger dans la Pomme d’Or @ Courtoisie
- Pour s’initier: La Congelée, à la chute Montmorency
- Pour progresser: La Topaze, sur la rivière aux Rats, en Mauricie
- Pour se dépasser: La Pomme d’Or, sur la rivière Malbaie (Charlevoix); Le Mulot, sur la rivière Sainte-Marguerite (Côte-Nord)