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  • Crédit: Patrick Poendl

Camps de base du Gasherbrum II et K2 : un trek plus grand que nature!

Cinq mois avant le départ, nous sommes neuf randonneurs entassés autour d’une petite table dans un resto de la rue Saint-Laurent pour écouter Jacques Olek nous décrire le trek que nous allons entreprendre. Nous sommes très motivés à nous rendre dans une région peu fréquentée dans le nord-ouest de la Chine, là où se concentrent les Ouïghours (l’une des cinquante ethnies du pays). Mais surtout : là où se trouve notre point de départ pour marcher vers les camps de base du Gasherbrum II et du K2.

Notre marche se déroulerait en hiver, et il semble bien que nous serions la seule troupe de « dérangés » à prendre le départ. Nous avions un double objectif : explorer, en hiver, la rivière Shaksgam (la plus haute du monde) que nous allions suivre et traverser maintes fois, tout en évaluant la faisabilité d’une ascension hivernale du Gasherbrum II pour le compte du grand alpiniste polonais et ami de Jaques Olek, Krzystof Wielicki.

Après un vol sans histoire jusque de l’autre côté du Pacifique, nous avons encore cinq heures de Beijing à Kashgar, une ville phare autrefois sur la route de la soie. De là, nous partons en Jeep pour cinq cents kilomètres qui traversent la plaine où une armée d’hommes et de femmes plante des peupliers le long des routes pour contrer l’érosion. Nous franchissons ensuite le désert Taklamakan; le plus vaste désert de sable au monde où poussent les derricks (ces tours de forage des puits de pétrole) et des cols de près cinq mille mètres. Malgré l’altitude, on croise encore des berges avec leurs troupeaux de moutons. Au bout de la route, nous aboutissons à Mazadalar, en plein Far West chinois. Ici, nous sommes dans une zone frontière névralgique avec le Pakistan et l’Afghanistan qui est hautement surveillée par les militaires.

À Mazadalar, douze chameaux, un âne et quatre chameliers nous attendent pour le départ du lendemain. Les autorités chinoises nous ont réservé une surprise : de jeunes enfants sont réunis à la tombée du jour sous une tente avec livres, cahiers et professeur. Arborant leur plus beau sourire, ils posent pour nos photos et celles du photographe officiel qui témoignera sans doute que le gouvernement ne délaisse pas ses lointains sujets.

Le Xinjiang

Située au nord-ouest de la Chine, cette région autonome occupe le sixième du territoire chinois. Sur sa frontière nord au-delà de l’Himalaya, le Pakistan et l’Afghanistan; sur sa frontière ouest; la République de Mongolie. Appelé le Far West à cause de son éloignement de la capitale et de ses caractéristiques géologiques : vastes déserts, plusieurs chaînes de hautes montagnes. La région est occupée par plusieurs ethnies qui ont conservé pour la plupart leur mode de vie traditionnel.

Les Ouïghours

Ils sont plus de huit millions, sont de religion musulmane, parlent une langue qui s’apparente à la langue turque, ont une culture riche en traditions, se battent depuis des siècles pour la préserver, sont devenus littéralement les « Tibétains de l’ouest » pour le gouvernement chinois, surveillés et réprimés brutalement.

Sommet hivernal sur le Gasherbrum II

Simone Moro, Cory Richards et Denis Urubko ont réussi la première ascension hivernale du Gasherbrum II (8 035 m) le 2 février 2011.

Aux petites heures, on charge les chameaux et on se met en route sous un ciel dégagé. Mais le paysage est gris : les flancs de montagne sont érodés, les coulées de sable sont fréquentes, la végétation est inexistante, les sentiers progressent très souvent dans la pierraille et sont peu marqués par les pas des randonneurs, contrairement aux sentiers népalais. Nous entrons ici dans le Karakoram. Un massif de cinq cents kilomètres à la frontière du Pakistan, de l’Inde et de la Chine, tout juste à l’ouest de l’Himalaya. Durant les deux premiers jours d’adaptation, nous découvrons l’aisance de nos bêtes porteuses qui semblent munies de « sabots radars » qui évitent les obstacles. Deux jours qui nous font passer de Mazadalar (3 772 m) à la rivière Surkwat jusqu’au campement de Kirghiz (4 465 m), sous le col Aghil. C’est à la fois jour de peine et jour d’émerveillement. Nous montons vers le col dans la neige épaisse avec un vent qui fait chuter le thermomètre et qui menace certains d’entre nous d’hypothermie alors que les vêtements plus chauds sont hors de portée sur le dos des chameaux.

Tranquillement, nous découvrons un canyon saisissant avec la rivière Shaksgam au milieu. On y descend, joyeux et légers, comme si l’on allait

accéder à la vallée paradisiaque de Shangri-La telle qu’écrite par James Hilton. Nous installons nos tentes pendant que les chameliers délestent les chameaux et que les cuisiniers s’affairent. Yves, notre cardiologue qui a promené son piolet et son stéthoscope autour du monde, évalue comme chaque soir le niveau d’adaptation de chacun à l’altitude en testant la teneur en oxygène dans le sang. Il soigne les maux de tête et d’estomac, les insomnies, mais pour l’heure, c’est le ventre qui appelle sa récompense pour les efforts de la journée. Oh, surprise : des frites au menu! Aussi bonnes sinon meilleures que toutes celles que j’ai mangées dans ma vie.

La vallée de la rivière Shaksgam est assez semblable à la Terre de Baffin dans le parc Auyuittuq, mais en beaucoup plus grand. Pendant les trois prochains jours, notre marche est paisible au pied du glacier du Gasherbrum. Ici, le souffle prend de l’expansion et on prend la mesure de l’immensité. Seuls. Fragiles. On nous avait bien avertis : personne, en cas de pépins, ne viendra nous secourir, même pas un hélicoptère. Peu importe. On se sent tellement ailleurs…

Devant nous se dressent les pénitents du glacier du Gasherbrum : des menhirs de glace de dix à quinze mètres de hauteur, étincelants sous le soleil matinal. On se sent tout petits et magnifiés à la fois. Récompensés pour cette longue marche. Nous sommes arrivés à 4 400 m au premier de nos deux objectifs. Nous passons toute une journée de farniente à jouir du spectacle. Jour de lavage aussi. Certains d’entre nous prennent la clé des champs et partent explorer le glacier. Nos chameliers chouchoutent nos montures. Ils appartiennent à l’ethnie ouïghoure, autrefois majoritaire dans le Xinjiang, aujourd’hui minoritaire. Les autorités chinoises répètent la politique qu’elles ont menée au Tibet en encourageant une immigration massive de l’ethnie Han pour casser les reins aux revendications autonomistes...

Crédit: André FrappierNous repartons en faisant marche arrière le long de la Shaksgam et bifurquant vers l’ouest pour nous diriger vers le majestueux K2 (8 611 m). En cinq jours sur un terrain relativement plat, nous parvenons au camp de base chinois. Durant le trajet, nous contemplons cette immensité remplie de sommets de plus six mille mètres qui fait naitre une certaine reconnaissance pour tant de grandeur et de beauté.

C’est au camp de base chinois que les expéditions pour le K2 établissent leur camp principal. On y trouve un mausolée en pierre pour honorer la mémoire des alpinistes morts sur le K2. C’est aussi là que nos chameaux s’arrêtent. D’ici, la face nord du K2 n’est pas encore visible. C’est sac au dos que nous montons pour arriver à la tête du glacier à 4 700 m et, poussant plus loin, que nous montons sur la moraine et rejoignons le camp de base italien.

Ça y est, nous y sommes! L’aboutissement de nos efforts et de notre rêve. Devant nous, le mythique K2 qui a fait la vie dure à tous ceux qui s’y sont mesurés. Jacques Olek nous indique la voie empruntée par l’équipe de son copain Wielicki lors de sa tentative hivernale en 2003. Gigantesque carène plongeant dans les entrailles de la terre, mais dont le mât puissant et effilé n’en finit plus de vouloir s’élancer vers le ciel bleu tacheté de poussière de neige.

Sept jours à pied et deux jours en Jeep pour rentrer à Kashgar, autre ville pivot sur la route de la soie. Difficile de constater que dans quelques années, il n’y aura plus rien de ce qui fait le charme de cette ville, de ce bazar et ce marché publics qui nous offrent toutes les couleurs et toutes senteurs. Ici, le gouvernement chinois démolit en accéléré les vieux quartiers et construit des tours d’habitation impersonnelles pour disperser la population ouïgoure, lui enlever ainsi sa solidarité revendicatrice. Autant de sommets majestueux si proches d’une culture qui disparait tranquillement.

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