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  • Crédit : Benoit Livernoche

Bolivie : grimper le Huayna Potosi

En matière de tourisme d'aventure, les degrés de difficulté affichent mille et une nuances, si bien qu'il s'avère difficile de déterminer, avec précision, si une expédition requiert un niveau expert ou intermédiaire. La montagne bolivienne Huayna Potosi de la Cordillère royale, qui s'élève à 6 088 mètres d'altitude appartient à cette catégorie de défis pouvant poser un piège à ceux qui n'ont jamais réellement testé leurs limites physiques et mentales.

La mise en garde la plus pertinente liée à cette aventure est celle, sans conteste, du Guide du Routard, édition 2009 pour le Pérou et la Bolivie : « Il s'agit du sommet dépassant 6 000 mètres le plus accessible au monde, mais on en bave quand même! » S’il est si accessible, c’est parce qu'il se situe à une vingtaine de kilomètres de La Paz, la plus haute capitale du monde, perchée à près de 4 000 mètres d'altitude. Concernant la proximité d'un grand centre et d'un aéroport international, difficile de trouver mieux! Mais quiconque envisage gravir le Huayna Potosi doit absolument prévoir au moins dix jours dans la capitale bolivienne pour s'adapter aux caprices de l'altitude. 

L'industrie touristique bolivienne souffre d'un grand laxisme en ce qui concerne la sécurité. Le nombre de touristes a explosé au cours des dernières années, ce qui a donné naissance à toutes sortes d'agences plus ou moins expérimentées. Sans compter que les pistes et les cartes de randonnée demeurent une chasse gardée en Bolivie. C'est donc très difficile d’y voyager sans guide.

Certaines agences offrent des services fiables, mais d'autres font dans l'amateurisme déconcertant. Dans le cas du Huayna Potosi, plusieurs agences consultées à La Paz minimisaient les risques et le degré de difficulté que représente cette montagne afin de vendre l'expédition aux touristes. Il ne s'agit pas d'une balade de santé et ne comptez pas sur les vendeurs de la Calle Sagarnaga (avenue touristique de La Paz) pour évaluer votre endurance.

Avec une agence moindrement sérieuse, il faut compter près de 200 dollars par personne (repas complets inclus) en plus d'une trentaine de dollars par jour par porteur. Il faut chercher à s'entourer des guides les plus compétents et le marcheur doit prévoir son matériel : sac de couchage, lampe frontale, lunettes de soleil antirayons UV, crème solaire, tuque, gants et vêtements thermiques. L'agence peut vous fournir, au besoin le reste de l'équipement, comme des bottes.

Il faut trois jours et deux nuits pour atteindre le sommet. À cette altitude, la température peut descendre à 30 degrés Celsius sous zéro. La première journée est consacrée à un entrainement au camp de base à 4 800 mètres d'altitude. Le lendemain, on franchit le cap du 5 300 mètres. Dans la nuit suivante, aux alentours de minuit trente, on gravit les quelque 800 mètres restant en environ sept heures. Le meilleur moment pour y aller est durant l'automne, c'est-à-dire avril, mai ou juin. Après ça, les caprices hivernaux des Andes peuvent accentuer les difficultés. 

Crédit : Benoit Livernoche

Dans un local exigu de La Paz, les participants commencent par essayer tout l'équipement nécessaire pour une telle randonnée : crampons, bottes, casque, manteau, mitaines et pantalons de neige. Un arsenal pareil donne un avant-goût de l'intense montée qui sillonnera un chemin abrupt sculpté dans la roche, la neige et la glace. Le docteur Hugo, propriétaire de l'agence Huayna Potosi Tour, se fait rassurant : « Nous allons tous réussir… à notre rythme », s'empresse-t-il de préciser.

Après avoir testé tout l'équipement nécessaire, le convoi formé de sept randonneurs et de trois guides prend la route vers le premier refuge. L'agence Huayna Potosi Tour est la seule à détenir un refuge au pied de la montagne, ce qui facilite l'acclimatation, puisqu'on y passe la première nuit. S'ensuit un entraînement rigoureux qui prendra fin au crépuscule. Du refuge, le groupe culmine vers un glacier qui permet de reproduire les conditions présentes près du sommet. Évidemment, il faut prévoir que le vent et le soroche (terme espagnol signifiant le mal de l'altitude) seront multipliés par trois. C'est à cet instant précis que le randonneur néophyte réalise qu'il a peut-être surévalué ses capacités...

La difficulté qu'éprouvent certaines personnes à enfiler les crampons trahit un manque d'expérience et les guides ne lésinent pas sur l'aide. Avec patience et professionnalisme, ils nous enseignent comment distinguer les côtés droits et gauches. Ils insistent, avec un ton autoritaire, qu'il faut absolument grimper en prenant bien soin de toujours garder la pioche du côté de la montagne. « Al lado de la montaña! » martèlent-ils. Cette pioche s'avère notre ultime point d'appui en cas de chute.

Outre cette leçon de survie à une chute, les guides nous familiarisent avec les techniques de descente. L'exercice nécessite une position presque assise, ce qui sollicite assez durement les muscles des cuisses. L'effort est exigeant et les guides ordonnent de maintenir cette inconfortable posture en faisant confiance au soutien des crampons dans la neige. Quand vous magasinez votre agence, tentez le plus possible de voir l'équipement offert. Mieux vaut changer de compagnie que de se rendre compte en plein milieu de la montagne que votre équipement n’est pas fonctionnel..

Enfin, question de détendre l'atmosphère alourdie par un soudain sentiment d'avoir poussé un peu trop loin son désir d'aventure, les entraîneurs offrent une petite initiation aux techniques de l'escalade sur glace. Le simple geste de devoir planter nos crampons dans la glace pour soutenir notre poids demande une adresse et une certaine puissance. Heureusement pour les néophytes que nous sommes, de telles conditions ne figurent pas dans de l'itinéraire de l'ascension du Huayna Potosi puisque le parcours ne traverse ni crevasses ni falaises. Cela dit, cet exercice, mené au pied de ce glacier de la Cordillère royale, permet de réaliser à quel point ceux qui gravissent les hauts sommets de la planète possèdent des capacités physiques incroyables.

L’ascension

Exténués, les randonneurs rejoignent leur lit après le crépuscule. Le lendemain, le déjeuner s'étire puisque le deuxième refuge ne se trouve qu’à quatre heures de marche. La montée d'un dénivelé de 500 mètres se veut graduelle, mais tout de même épuisante. Après une heure et demie de marche, nous arrivons à la frontière du parc national. Deux dames lourdement chargées d'un baluchon rudimentaire et chaussées de sandales atteignent le groupe pour collecter les frais d'entrée du parc. Pourquoi un poste de perception aussi haut? Notre paresse nous faire dire qu'elles auraient pu nous faire payer en bas. Mais bon, il semble que ça tient en forme!

Au terme de la journée, on découvre quels membres du groupe ont pris soin de bien s'adapter aux rigueurs de l'altitude depuis plusieurs jours, voire quelques semaines, avant de se lancer dans cette aventure. Le refuge consiste en une petite cabane en tôle, dans laquelle on trouve une dizaine de matelas bien entassés. Nos guides nous invitent à prendre du maté de coca. Il faut prendre au sérieux cette invitation à s'abreuver : il est prouvé que la feuille de coca favorise la circulation de l'oxygène dans le sang, ce qui facilite la vie en altitude. Malgré la fatigue du groupe, les guides réchauffent l'étroit refuge avec beaucoup de jovialité. Ils nous servent une réconfortante soupe accompagnée d'un plat de pâtes énergisantes. Par la suite, place au sommeil... car la nuit sera courte. Chacun tente de dormir : nous sommes cordés les uns sur les autres alors que l'air ambiant regorge d'anxiété!

Vers minuit trente, nos guides nous sortent du lit. On se prépare en silence, comme si un important rituel se tramait. Les guides nous séparent en groupe de deux ou trois en fonction de notre niveau. Si un membre de l'équipe doit abandonner, tous devront redescendre. Mario, notre guide, n'accordera aucun passe-droit sur cette question. À 5 300 mètres d'altitude, il est facile de se décourager. Les cuisses semblent peser plus de cinquante livres chacune. Un pas, aussi petit soit-il, exige un effort important. 

Crédit : Benoit Livernoche

La rareté de l'oxygène étreint cruellement notre estomac et cause parfois d'impitoyables nausées. Le plus difficile consiste à ne jamais arrêter pour reprendre son souffle. Le froid glacial guette chaque randonneur en quête de répit. Le risque d'avalanche demeure bien présent et plusieurs amoncellements de neige rencontrés sur le parcours indiquent que personne n'est à l'abri. Malgré les paroles réconfortantes de Mario, la crainte de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment siphonne beaucoup d'énergie. Voilà une marche de nuit bien difficile, même sous une incroyable pleine lune qui éclaire notre chemin.

Nous marchons ainsi jusqu'au lever du soleil. Le plus impressionnant, c'est le dernier cent mètres qui culmine sur une crête large d'à peine soixante centimètres. Le vide surplombe les deux côtés de cet étroit passage de neige. Le vertige en prend un coup! Doucement, un pas à la fois, on s'accroche à la corde et on s'abandonne aux bons conseils de notre guide. Une demi-heure plus tard, nous croisons deux membres de notre groupe qui redescendent après avoir atteint le sommet. « It's the most beautiful thing I have ever seen! », s’exclame l'un d'entre eux. Les derniers pas sont les plus lourds, mais nous y voilà finalement. 6 088 mètres, le cœur serré par l'émotion.

L'aurore caresse nos esprits exténués. D'un côté, la ville de La Paz s'éveille doucement. De l'autre, le lac Titicaca scintille sous les premiers rayons de soleil. À l'opposé, au nord, c'est le spectacle de la Cordillère royale. Derrière ces sommets se pose une épaisse couche nuageuse qui annonce le début de la pampa (plaine) qui deviendra à des centaines de kilomètres plus loin la jungle bordant l'Amazone. Le ciel semble à portée de main.

Le froid intense et le vent écourtent la contemplation et forcent une descente rapide. Comme nous devons revenir sur nos pas, il faut encore se mesurer à cette crête époustouflante. Monter, c'est une chose, mais redescendre avec les deux parois neigeuses c'est autre chose. L'entraînement du premier jour porte ses fruits : nous devons avoir confiance en nos crampons! Très lentement, nous regagnons notre refuge d'où nous sommes partis cette nuit. Mario nous siffle dans l'oreille qu’il n'existe pas de montagne facile. Toutes méritent notre respect. C'est une leçon d'humilité à tous ceux qui veulent grimper les montagnes à la course : la montagne gagnera toujours.

Nous avons encore quatre kilomètres de marche avant de regagner le véhicule qui nous ramènera à La Paz. Tout le groupe est mort de fatigue et Mario prend beaucoup d’équipements sur son dos. Infatigable, il reviendra sur la montagne le lendemain avec un autre groupe de touristes. Il monte le Huayna Potosi près de trois fois par semaine!

Se mesurer à aussi haut nous enveloppe d'une incroyable fierté. Il s'agit d'une manière de se dépasser, nous forçant à puiser dans les confins les plus reculés de nos ressources physiques et psychologiques. Plusieurs participants à cette randonnée ne relèveront peut-être jamais plus un tel exploit dans leur vie. On dépasse ici largement le concept de la randonnée en montagne qui permet un contact privilégié avec la nature dans un cadre purement contemplatif et méditatif. À ce niveau et avec tout ce matériel, on entre dans le registre de la performance. Il s'agit d'une quête d'émotions qui ne sont pas adaptées à tous. Au terme de ces trois journées, plusieurs personnes constateront qu'elles n'appartiennent pas à ce cercle d'initiés, mais cela ne les empêchera pas de se sentir comblées d'une joie immense d'avoir goûté à ce vertigineux monde. 

Crédit : Benoit Livernoche

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