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Mycotourisme : la fièvre des champignons

Attirer les touristes avec les champignons : une aventure qui semblait jadis impossible, mais qui prend pourtant de l'ampleur aux quatre coins du Québec. Les entreprises qui offrent des séjours d'initiation à la cueillette de champignons sauvages n’arrivent pas à suffire à la demande et des touristes japonais s'intéressent aux champignons du Nord québécois.

« Quand j’étais petit, j’allais cueillir des champignons avec mon oncle, mais je n’y connaissais pas grand-chose. Ça faisait longtemps que je voulais en connaître plus sur les champignons », témoigne Xavier Lafont qui, comme des centaines de personnes chaque année, s’est initié à la cueillette de champignons lors d’une sortie en forêt organisée par la Mycoboutique. « C’est une bonne façon de briser la glace et de prendre confiance lors de la récolte. C’est aussi un bon endroit pour partager des informations et faire des contacts avec d’autres amateurs de champignons. »

Depuis quatre ans, la Mycoboutique, basée sur la rue Rachel à Montréal, organise des journées d’initiation à la cueillette de champignons. Les apprentis cueilleurs partent vers la Mauricie, l’Estrie, Lanaudière ou les Bois-Francs selon le site le plus propice. « C’est une sortie ludique où une douzaine de cueilleurs se promènent dans les bois, accompagnés d’un guide, à la recherche de champignons comestibles et médicinaux. À la fin de la journée, on sort le poêle au gaz pour cuisiner notre récolte », explique Judith Noël, directrice de l’entreprise. Depuis ses débuts, la popularité de dérougit pas, alors que la vingtaine de sorties organisées tout au long de l’été affichent complet depuis quatre ans. « On aurait besoin de plus de guides d’expérience pour faire davantage de sorties! »


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Même son de cloche du côté de Sainte-Adèle, dans les Laurentides, où Gérald Le Gal offre des séjours d’initiation aux champignons forestiers depuis plus de 12 ans : « La demande est très forte et je dois refuser plusieurs groupes, car je n’ai pas le temps pour donner plus de formations. Il y a un immense potentiel à exploiter!, explique le propriétaire de Gourmet Sauvage, une entreprise qui commercialise plusieurs produits de la forêt. Des gens de différents horizons s’intéressent aux champignons. C’est un prétexte pour aller jouer dans le bois en bonne compagnie tout en apprenant quelque chose. Ce sont des journées très agréables qui se terminent au tour de la table à déguster les champignons en buvant un bon verre de vin. »

La naissance d'une nouvelle industrie?

Chanterelle, morille, champignon homard, pied-de-mouton, bolet, matsutake, armillaire ventrue, marasme des oréades. Apprenez bien ces noms, car vous allez en entendre parler au cours des prochaines années. « Les gens mangent plus de champignons et on peut maintenant en trouver dans tous les bons restaurants », soutient Gérald Le Gal. Après le vin et le fromage, les champignons forestiers connaissent un boom au Québec. Selon les estimations des experts, la récolte est passée de cinq tonnes de champignons en 2006, à plus de 40 tonnes en 2011.

André Fortin, l’un des plus grands mycologues au Québec et chercheur émérite du Centre d’études sur la forêt à l’Université Laval, fait même des prédictions : « D’ici une dizaine d’années, l’impact économique des champignons forestiers pourrait atteindre 100 M$ au Québec, avec toutes les retombées qui découlent de l’industrie du tourisme et de la restauration. » Il cite en exemple la situation de la province de Castilla y Léon en Espagne, où les retombées économiques des champignons sont estimées à 60 M d’euros annuellement. On y cueille 27 000 tonnes de champignons annuellement sur un territoire forestier de 27 000 km2, alors que le Québec compte 761 100 km2. Près du tiers des revenus sont générés par le secteur récréatif et plus de la moitié de la population rurale dépend de cette activité. 

Cueillir une talle de chanterelles peut valoir 50 $. C’est encore plus rentable d’amener 15 personnes cueillir des champignons à 50 $ par personne. Ajoutez l’hébergement et des repas gastronomiques, et les retombées gonflent. C’est ce que tente de développer Renaud Longrée, propriétaire de MycoSylva. Après avoir organisé des sorties de découverte mycologique pendant 10 ans, il veut maintenant pousser le concept un peu plus loin. L’été dernier, il a lancé un projet-pilote avec le Club Gatineau dans le but d’offrir des fins de semaine mycogastronomiques. Au programme : conférence, deux jours de cueillette de champignons comestibles et médicinaux et autres plantes aromatiques, tous les repas dont une grande bouffe forestière de huit services. Le tout dans un décor forestier enchanteur. Coût total : 400 $ par personne. « On voulait raffiner le produit et proposer des activités en lien avec les champignons sur plusieurs jours, affirme Renaud Longrée. C’est un produit que l’on veut développer avec la clientèle européenne et asiatique. Je suis convaincu que c’est aussi attrayant, voire plus, que la chasse à l’ours, à la bécasse ou à l’orignal. Il y a beaucoup de compétition pour les champignons en Europe et les clients que nous recevons ici apprécient énormément l’abondance. » À un point tel que certains d’entre eux reviennent année après année.

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La Seigneurie du Triton en Mauricie avait aussi flairé la bonne affaire avec les champignons forestiers depuis déjà une dizaine d’années. « Notre clientèle européenne demandait toujours plus d’information sur les champignons, alors nous avons développé un forfait mycologique avec un expert. Notre premier intérêt a toujours été de faire découvrir la nature et ça cadrait bien avec nos activités », explique Annie Tremblay, directrice de l’établissement. Les guides de chasse et de pêche connaissent également les rudiments de la cueillette, permettant d’agrémenter les poissons et la viande de bois.Les vieilles forêts de pins gris des forêts nordiques du Québec pourraient détenir la clé pour attirer la clientèle asiatique : le matsutake. Prisé particulièrement par les Japonais pour ses vertus aphrodisiaques, ce champignon au parfum de menthol et de cannelle peut atteindre une valeur de 2 000 $/kg au Japon. Il se fait plutôt rare là-bas, car plus de 80 % des forêts où il pousse ont disparu... Les Japonais se tournent donc vers le reste de la planète à la quête de ce champignon mythique. Depuis les années 1980, la Colombie-Britannique exporte annuellement pour près de 40 M$ de ce champignon et, selon les experts, le matsutake québécois ressemblerait davantage au matsutake japonais que les champignons de l’Ouest canadien.

Un mycotourisme japonais

Il n’en fallait pas plus pour qu’on tente de développer un marché pour les mycotouristes nippons. Waska Ressources, une entreprise crie basée à Waskaganish, a réalisé un projet-pilote de deux semaines à l’automne 2011 en accueillant six touristes japonais. « L’expérience a été un succès total, selon Carole Raison, consultante de l’entreprise. Ils ont vécu un séjour au paradis! La grande forêt boréale de la Baie-James a fait rêver les touristes avec ses champignons, ses odeurs, ses petits fruits, ses plantes médicinales et ses aurores boréales. En plus du contact avec la nature, ils ont vécu une expérience culturelle avec les Cris. » Les organisateurs souhaitent maintenant explorer différentes avenues pour faire venir plus de touristes du pays du soleil levant.

Et ce ne sont pas les champignons qui vont manquer, croit Pierre Chevier, coordonnateur de projet pour Biopterre, un centre de développement des bioproduits : « Nous avons réalisé des inventaires sur les territoires hautement productifs de la Baie-James. Sur une superficie de 8 000 km2, on aurait un rendement de 50 000 kg en 2012. Avec une valeur moyenne de 10 $/kg, la récolte pour le matsutake pourrait atteindre entre 35 et 60 M$. » Le potentiel est gigantesque, mais la démographie et la géographie ne facilitent pas la récolte. « C’est là que le tourisme prend toute son importance. Ça permettrait de créer 10 fois plus de richesse et de mieux la répartir entre les différents acteurs et les communautés sur le territoire », ajoute Pierre Chevrier.

Démocratiser le champignon

« Nous sommes en train d’éliminer la crainte des champignons, dit André Fortin. Depuis 60 ans, les différents cercles des mycologues au Québec ont pu transmettre leurs connaissances à plus de 20 000 personnes. » Et de nouvelles formations pour les cueilleurs gastronomiques et commerciaux voient le jour dans diverses régions. L’attestation d’études collégiales (AEC) du Cégep de Saint-Félicien sur la cueillette et la transformation des champignons forestiers lancée à l’été 2011 a été si populaire qu’ils ont reçu plus de 400 demandes d’inscription pour les 80 places disponibles. « La ressource la plus importante, c’est les cueilleurs. Sans eux, les champignons pourrissent en forêt. Il faut donc en former un maximum », croit Aldéi Darveau, professeur au Cégep et initiateur du Projet champignon de Saint-Thomas-Didyme, qui compte former 1 000 cueilleurs en 10 ans. Le Centre de formation professionnelle de Mont-Laurier souhaite emboîter le pas en créant une formation sur mesure de 240 h pour les cueilleurs professionnels.

En Gaspésie, Gérard Mathar a formé plus de 1 000 cueilleurs au cours des huit dernières années. De ce nombre, une centaine cueillent des champignons et d’autres produits forestiers non ligneux pour sa compagnie Gaspésie Sauvage. « Un très bon cueilleur peut faire jusqu’à 15 000 $ en une saison, mais ça demeure un revenu d’appoint. Cueillir, c’est plus une philosophie de vie qu’un emploi », témoigne le passionné de la nature.

Encore plus

Cercle des mycologues amateurs de Québec

Club des Mycologues Amateurs de Montréal

Mycoquebec.org


Et pour davantage d'informations sur un petit, mais délicieux champignon : Au pays de la morille

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