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Panama : 9 jours en kayak au pays des Gunas

Au-delà du cadre édénique et du défi physique, un périple dans l’archipel de Guna Yala (alias les îles San Blas) est avant tout une aventure culturelle sur le territoire d’un peuple qui vit au rythme des ressources que leur offre mère Nature.

Après une heure à pagayer, nous apercevons bientôt un cayuco — un petit bateau en bois — apparaître entre deux creux de vagues. Assis dans son embarcation creusée dans un arbre entier, un jeune homme y répète les mêmes mouvements que ses ancêtres, maniant son gros aviron de bois avec aisance et rapidité pour gagner son site de pêche. Puis, l’homme lance à l’eau un gros morceau de corail mort en guise d’ancre et plonge à la recherche de langoustes.

Si je fais abstraction de son masque et de son tuba, j’ai l’impression d’assister à une scène qui aurait pu se passer il y a mille ans : tout un contraste avec nos kayaks de mer hypersophistiqués, nos vestes de flottaison (lui n’en porte pas) et nos téléphones intelligents utilisés pour immortaliser la scène. Seul point en commun entre nous et ce pêcheur d’un autre temps : il était parti de Digir (Isla Tigre), une île habitée située à deux kilomètres de là et où nous avons entamé notre périple de neuf jours en kayak de mer. Notre plan : partir de l’île la plus éloignée, rejointe en bateau à moteur, et pagayer pour revenir jusqu’à la seule route qui mène dans la région de Guna Yala, construite il y a huit ans.

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Depuis 1925, ce territoire unique est géré de façon autonome par les Gunas (aussi appelés Kunas), l’un des peuples autochtones du Panama. À l’époque, lorsque le gouvernement panaméen a voulu les assimiler, les chefs locaux (les sailas) ont piégé les policiers chargés de faire respecter l’ordre. Dans plusieurs îles, ils ont organisé un faux festival et saoulé les policiers, avant d’en abattre 27 sur une dizaine de jours. Sous l’influence des Américains, qui avaient soutenu l’indépendance du Panama en 1903 (pour la construction du canal), le gouvernement panaméen décida alors d’accorder aux Gunas leur autonomie territoriale.

Aujourd’hui, le Guna Yala (la Terre des Gunas) est l’un des territoires les mieux préservés de la planète, car la pêche et la foresterie commerciales y sont interdites. On y retrouve d’ailleurs 337 km2 de forêts tropicales protégées intégralement, sauf pour une petite partie consacrée à l’agriculture de subsistance où l’on cultive plantains, bananes, manioc, yucca, riz…

Historiquement, les Gunas habitaient sur la terre ferme, mais au cours des derniers siècles, ils ont choisi de s’établir principalement sur 51 des 378 îles de cet archipel pour s’y adonner au commerce et en exploiter les ressources marines. Situé entre la Colombie et le canal de Panama, le Guna Yala abrite 30 000 Gunas, auxquels s’ajoutent 10 000 autres qui habitent le reste du pays.

Les Gunas y ont érigé de petits villages densément peuplés, dépourvus de végétation, où on ne retrouve que quelques cocotiers et bananiers pour éloigner les moustiques et faciliter la climatisation naturelle par le vent.

Intégrité et tradition

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En sillonnant les chemins de terre de Digir, une dame me sourit sur le pas de la porte d’une maison au toit de paille et aux murs faits de canne à sucre. Vêtue d’une jupe enroulée autour de la taille et d’une chemise recouverte de molas (des pièces cousues main qui sont de véritables œuvres d’art), elle porte un foulard sur la tête, des perles aux bras et aux jambes, des boucles d’oreille et un anneau de nez doré — la livrée traditionnelle des femmes Gunas.

À l’intérieur, un homme fait la sieste dans son hamac pendant qu’une marmite surplombe un feu qui crépite. Par moments, seuls les panneaux solaires, quelques fils électriques, des vêtements d’allure occidentale et les téléphones cellulaires contrastent avec le mode de vie traditionnel.

Un peu plus loin, des enfants courent dans les rues en simulant la bataille de la révolution de 1925, dans le cadre des célébrations du 25 février. « Cette pièce de théâtre est un outil efficace pour transmettre les connaissances aux jeunes, dans une société axée sur la tradition orale », assure Fidel Chiare, le maestro qui supervise la mise en scène historique.

Une partie de la reconstitution se déroule dans le congresso, un grand bâtiment qui peut accueillir une bonne partie des 800 habitants de l’île, dont ses cinq sailas, qui y consultent la population et prennent des décisions administratives, culturelles et éthiques.

C’est par exemple le congrès, avec l’appui du peuple, qui décide comment le tourisme se développe et quelles activités peuvent être pratiquées. Au fil des ans, les Gunas ont notamment refusé la construction d’un mégacomplexe touristique sur la côte. La plongée sous-marine, le surf et le surf cerf-volant (kitesurf) sont aussi interdits pour éviter la surpêche et les accidents, m’explique Nemesio Alfaro, notre guide guna, bien assis dans son kayak.

C’est d’ailleurs ce dernier qui a convaincu le congrès d’accepter les kayakistes sur les îles, en 1993. Encore aujourd’hui, l’homme exploite la seule entreprise à parcourir l’archipel de Guna Yala en kayak.

En plus de Nemesio, nous sommes accompagnés d’un chef cuisinier et de quatre marins gunas fort sympathiques, aux commandes de deux bateaux : l’un transporte tout le matériel et la nourriture, alors que l’autre assure la sécurité.

Avec cette escorte et la température de l’eau qui atteint les 28 °C, les vagues de plus de deux mètres sont beaucoup moins stressantes pour les neuf participants du voyage… et aussi pour les guides qui nous accompagnent.

N’empêche que les premières vagues d’une telle amplitude font monter l’adrénaline d’un cran. La portion la plus intense du voyage est d’ailleurs survenue dès notre départ de Digir : aucun récif ne nous protégeait des vagues provenant directement du large.

Sauter d’île en île

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En pleine mer, l’effort est soutenu et régulier, sans être extrême. Nous prenons le temps d’admirer le paysage et de garder des réserves pour franchir la centaine de kilomètres qui nous attendent, à raison de trois à cinq heures de kayak par jour, sautant d’île en île pour prendre des pauses, casser la croûte ou s’adonner à de la plongée en apnée.

Dès que les conditions s’y prêtent, nous sortons palmes, masques et tubas pour explorer les récifs coralliens qui encerclent les îles. Au fil de nos excursions sous-marines, nous apercevons toutes les formes possibles et imaginables de coraux, plusieurs raies qui semblent voler sous l’eau, des langoustes, des calmars, des murènes, des barracudas et des centaines de poissons multicolores. Lors d’une plongée de nuit avec Mariana, l’une des guides, nous avons aussi vu une pieuvre changer de couleur, et nous avons admiré les décharges électriques parcourant le corps de petites méduses, alors que les oursins de mer partaient à la chasse.

Le périple était rempli de moments magiques comme cette plongée de nuit, ou comme cette fois où quatre aînées gunas ont entamé une cérémonie de guérison en dansant et en emboucanant une jeune femme malade. Pagayer dans les mangroves, remonter une rivière pour pénétrer dans la jungle et découvrir de petites îles uniques chaque soir ont aussi fait partie du lot.

Il faut dire que la petitesse de nos kayaks nous a permis de visiter des lieux uniques et d’emprunter des canaux étroits pour atteindre des îles où les voiliers et les autres gros bateaux ne pouvaient se rendre. Avec moins de 50 personnes par année qui voyagent en kayak dans ces lieux, nous avons eu un contact privilégié avec des familles, créant ainsi des relations authentiques, malgré la barrière de la langue.

Surfer sur le surtourisme

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Ces lieux isolés étaient d’autant plus appréciés que le tourisme n’a pas que des effets positifs au Panama. Ainsi, Sichirdub, l’une des plus belles îles visitées par Richard Rémy, fondateur de l’agence Karavaniers, est complètement transformée 15 ans plus tard. Une plante semée jadis a étouffé les cocotiers, qui ont péri par dizaines. Quant à la famille présente sur l’île, elle croyait que nous étions des croisiéristes, et leurs proches sont débarqués en groupe pour venir nous vendre des molas, envahissant cette île de 50 m X 50 m. De quoi se sentir mal à l’aise, d’autant plus que nous devions passer deux jours sur place.

Puisque rien n’est coulé dans le béton dans une vraie aventure, Richard, Nemesio et Mariana ont modifié notre itinéraire. Le lendemain, après avoir pagayé sur une rivière et effectué une incursion dans la jungle, nous avons embarqué nos kayaks dans des bateaux à moteur pour explorer une autre île édénique, hors de l’itinéraire initial. Et c’est en changeant ce plan que la magie a (encore) opéré.

De retour d’une sortie matinale et d’une plongée en apnée, notre cuistot Orais a demandé à nos hôtes de nous rapporter du poisson pour souper. Quelques heures plus tard, les deux pêcheurs sont revenus, leur petit cayuco rempli d’immenses thons et de bonites pêchés à la main. S’ensuivit un festin de ceviche et de steak de thon arrosés de coco loco (rhum, eau de coco et lime) dont je me souviendrai longtemps. Sans compter que j’avais passé l’après-midi à pêcher en compagnie d’Angelino, 15 ans, et de Fabian, 10 ans, rien qu’avec un fil et un hameçon, et que nous avions sorti 28 gorettes bleues et un poisson-coffre en deux heures.

Pêcher et fumer le poisson, ramasser des coquillages, aller chercher de l’eau potable, récolter les noix de coco, prendre soin des enfants et accueillir des touristes par moments : telle est la vie sur ces petites îles, pour les Gunas. Une vie simple qui permet d’être bien connecté avec le monde qui les entoure.

Le soir venu, couché dans mon hamac et bercé par le vent sous les cocotiers, je me suis dit que Richard Desjardins avait bien raison quand il chantait : « As-tu besoin d’un cinq étoiles quand t’en as cinq milliards dans l’ciel? »

Notre journaliste était l’invité de Karavaniers.


Bon à savoir

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Saison touristique : de décembre à avril (saison sèche).
Langue parlée : plusieurs Gunas parlent l’espagnol, surtout les jeunes, mais très peu maîtrisent l’anglais.
La nuit : des tentes et des hamacs sont mis à la disposition des aventuriers.
Température de l’eau : 28 °C.
Kayaks utilisés : surtout des kayaks simples, quelques kayaks doubles.
Testé : un kayak gonflable de marque Feathercraft, très maniable et un peu moins rapide que les kayaks de plastique, mais beaucoup plus stable et confortable sur de longues distances, car on peut facilement bouger les jambes.
S’organiser : l’agence montréalaise Karavaniers propose des séjours au Panama de décembre à février.

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