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  • Crédit: Repina Valeriya

Alexandre Poussin : «L'aventure, c’est les autres!»

De l’Afrique du Sud à Israël, ils ont traversé le continent africain… à pied. Trois ans et trois mois à marcher sur les traces de l’Homme.

Africa Trek, c’est la marche de 14 000 km entreprise en 2001, sans commanditaire ni soutien extérieur, par un couple de français, Sonia et Alexandre Poussin. Partis du Cap de Bonne Espérance, ils ont longé le grand Rift pendant trois ans et trois mois, jusqu’au Lac de Tibériade, dépendant totalement de l’hospitalité et de la générosité des gens rencontrés sur leur chemin. Des milliers de pas répétés dans le plus grand dénuement, pour l’aventure humaine... De passage à Montréal pour présenter leur film (voir l’encadré), Alexandre Poussin nous a entraînés dans cet incroyable périple.

Comment est née l'idée de cette longue marche africaine et pourquoi ?

Au fil du temps, lors de mes précédents voyages  : le tour du monde à vélo et la traversée de l'Himalaya. Mais nous sommes surtout partis le 1er janvier 2001, pour célébrer symboliquement notre entrée dans le troisième Millénaire, en marchant et en réfléchissant aux origines de l'Homme et à sa nature. On voulait marcher, de l'Homme singe à l'Homme moderne... de –3,6 millions d’années à nos deux mille ans d'Histoire... et refaire symboliquement le processus de l'humanisation de l'homme : comment nous sommes devenus des hommes et comment nous sommes devenus « plus humains ».

Connaissiez-vous l'Afrique avant votre départ ?

Un peu l'Afrique de l'Ouest, mais pas du tout l'Afrique de l'Est, exceptés les clichés que tout le monde peut avoir, du triptyque guérilla/famine/épidémie à la photo du guépard dans le soleil couchant. Notre parti pris était qu'il y a une Afrique qui vit, qui travaille, qui espère, heureuse différemment, sur des valeurs moins matérielles que les nôtres. C'est à la découverte de cette Afrique-là que nous sommes partis !

Comment vous êtes-vous préparés ?

On n’a rien préparé... Il ne fallait surtout rien préparer ! Il fallait s'en remettre à la providence, au hasard, à l'hospitalité des gens et à l'aventure, à ce qui allait venir à nous. C'est ça l'aventure : laisser venir à soi les choses !

Pendant ces trois années, vous avez toujours maintenu votre différence culturelle, notamment par vos vêtements. Pourquoi ?

Heureux évènements...

Émouvant, drôle, choquant, troublant, beau : Africa Trek, le film d’Alexandre et Sonia Poussin, a su cueillir dans le quotidien ordinaire de leurs hôtes et de leur quête, ce que l’Homme cultive de plus extraordinaire : la bonté. Touché en plein coeur, le public du dernier Festival International du Film d’Aventure de Montréal a longuement applaudi la vibrante épopée africaine et le jury a confirmé ce sentiment général, en remettant le Grand Prix du meilleur film toutes catégories à Africa Trek. En bouclant cette aventure, le couple en a initié une autre : celle de devenir parents, avec un premier enfant né quelques mois après leur retour.

Enfin, un livre est aussi apparu de ce périple. Écrit en cours de route, il retrace les 7 000 premiers kilomètres, en attendant la suite qui sortira ce printemps…

Africa Trek, par Sonia et Alexandre Poussin, Éditions Robert Laffont, 2004, 436 pages.

 

On ne voulait pas singer les gens. Ils voient qu'on est différent, qu'on est occidentaux. Mais ils comprenaient notre démarche. Après nous avoir hébergé et nourri, ils nous remerciaient, mais on leur disait de ne pas inverser les rôles ! Ils nous savaient gré qu'on vienne les voir, qu'on passe du temps avec eux, qu'on leur raconte des histoires. On ne voulait pas être utile, apporter de l'argent, apporter des choses. L'Afrique meurt du fait qu'on lui apporte du matériel. Les africains ont besoin d'autre chose : de considération, d'amour, de compréhension... ils ont besoin de spirituel ! Ce n'est pas la peine de donner des millions, car ça enrichit les corrompus et ça appauvrit les populations.

Avez-vous eu peur parfois ?

Oui, bien sûr ! On s'est fait charger par des rhinocéros et on a dû charger neuf lions à pieds pour les faire fuir... car c'est comme un ours, il ne faut pas fuir devant un lion, sinon il nous perçoit comme une proie. Finalement, le péril n'est pas venu des hommes. Avant de partir pour trois ans en Afrique, je pensais qu'il viendrait d’eux, mais on ne s'est jamais fait attaquer.

Vous avez douté ?

On doute quand on est malade. Là, plus rien n'a d'importance et l’on songe à rentrer. Rien ne vaut la peine de mourir, hormis peut-être une cause ou ceux qu'on aime, comme a dit quelqu'un de célèbre il y a deux mille ans, du côté de Tibériade. Mais là, on ne marchait pas pour une cause. Quand on est rejetés, on doute aussi. En Éthiopie, la traversée a été très difficile. C'est le seul pays où les gens nous ont jeté des pierres quand on passait. Ils ont été très xénophobes. Ils ne le sont pas seulement envers les occidentaux, mais entre eux aussi ! Les pierres volaient, les coups de bâtons menaçaient, les insultes pleuvaient, mais je le répète, c'était par jeu ! Ce fut une grande souffrance pour nous, mais très formatrice. On sait maintenant ce que c'est que d'être rejeté et victime de racisme. Il faudra s'en souvenir quand on sera chez-nous, pour combattre ce fléau qui entache l'humanité.

Comment votre relation de couple a-t-elle évoluée ?

Je n'ai eu que la confirmation de ce que je savais déjà ! Il n'y a pas de recette en amour, c'est un miracle, un équilibre précaire, sur lequel il faut travailler tous les jours ! Jamais on ne s'est vraiment disputé, à part pour le travail : quand on filmait, quand on prenait des photos. Mais comme on ne faisait pas que ça, on se réconciliait ! Il n'y avait pas de leader dans notre couple.

Comment revient-on à la vie confortable, après trois ans de vie dans le dénuement ?

Très bien ! C'est agréable d'être bien habillé, bien propre. Je ne crache pas dans la soupe du monde occidental, comme beaucoup de gens le font... ce qui est parfois un peu indécent, car tout le monde aimerait venir vivre ici. Un jour, un Africain qui voyait des jeunes alter mondialistes défiler, crier et tout casser dans la rue, a eu ce mot assez drôle : « je ne comprends pas comment ils font ces gens pour crier la bouche pleine ! ».

Mais rien ne vous choque dans notre société ?

Si, plein de choses ! Le fait que les gens ne prennent pas le temps, qu'ils vivent à crédit, qu'ils regardent les programmes de télé réalité et préfèrent vivre par procuration, plutôt que de vivre leur propre aventure. Le grand renoncement, le manque d'enthousiasme, sont des choses que je n'accepte pas ! La pollution aussi, c'est quelque chose d'intolérable.

Quelle perception de l'aventure « en parfaite autonomie » avez-vous, quand la vôtre était basée sur la « parfaite dépendance » à l'autre ?

Soit on est pour l'aventure « exploit » pour soi, sur la découverte de soi, soit on est pour l'aventure des autres : c'est l'aventure humaine. Je n'ai plus rien à prouver à moi-même ou aux autres. L'exploit égotique, le sommet, le dépassement, le record ne m'intéressent pas. Jean-Paul Sartre, philosophe nihiliste, a dit : « l'Enfer, c'est les autres ». Soeur Emmanuelle a dit : « Le paradis, c'est les autres ». Pour nous, « l'Aventure, c'est les autres ». C'est le mode d'appréhender l'autre. L'aventure n'est pas dans la finalité, mais dans le moyen. Il y a des pans entiers de la planète à redécouvrir avec une démarche nouvelle : l'exploration est culturelle... et plus géographique ! Il faut réinventer un nouvel usage du monde.

Désormais, avez-vous plus ou moins confiance en l'Homme ?

Il y a une convergence globale des cultures mondiales, d'émanations religieuses ou non. On accuse un peu facilement les religions comme étant la cause de tous les maux et de toutes les guerres. Ce que l'on perçoit quand on marche, c'est l'inverse ; c'est que les gens sont bons, grâce, pour et à cause de leur religion. S'il y a des guerres de religions ou des fanatiques, ce sont des gens qui vont à l'encontre de leur propre religion. Il faut être très vigilants. S'en prendre à la religion, c'est faire le jeu des forces du néant. La religion est aussi le fruit de notre évolution.

La femme serait l'avenir de l'Homme ?

Bien plus que ça ! Elle est l'origine, le passé, le présent et l'éternité de l'Homme. Mais l'avenir se construit à deux !

D'autres marches prévues ?

Oui, mais je ne veux pas le dire ! Je ne veux pas me payer de mots, les projets ne se lisent pas dans la presse. Tant que ce n'est pas sur la rampe de lancement, je n'en parle pas ! Je veux être totalement libre du moment, du contenu et du sens que nous voulons donner à nos pas...

 

 

 

 

 
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