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  • Crédit : Annie-Claude Roberge

Normand Piché : La nage de raison

C’est son élément, celui dans lequel il a toujours été paisible. Le jet d’eau de Genève, là où il franchira les dernières brasses de son périple de 80 jours à la nage, est pour lui l’allégorie de l’aventure qu’il s’apprête à dominer : une dichotomie entre la puissance et la vulnérabilité de cette eau propulsée, puis balayée par le vent.

Parti en août, Normand Piché enchaînera cinq traversées entre cinq continents à la nage, histoire de plonger dans le rêve qu’il a vu grandir au fond de lui-même. L’union est le leitmotiv du projet O5 Swim : loin du défi égocentrique, le nageur de 44 ans aspire à la fraternité, l’harmonie et la cohésion humaine. Séduit par les tenants et aboutissants de l’entreprise, Frédéric Dion lui a remis la première bourse « Osez l’aventure », en collaboration avec Espaces et Mountain Hardwear.

Le jury de la bourse « Osez l’aventure » a souligné la qualité de la planification de ton périple, parmi plusieurs projets particulièrement bien ficelés. Qu’a de particulier la logistique de O5 Swim?

C’est le résultat d’une longue préparation – près de 18 mois –, mais tout repose sur une extraordinaire symbiose d’équipe. Les gens qui m’entourent sont exceptionnels, et le destin a intégré des personnes brillantes et solides au sein du projet. L’organisation est tout simplement hallucinante : tout déplacement, toute dépense, et même une quantité d’imprévus sont calculés. Mon passé de gérant m’a aussi procuré des aptitudes essentielles afin de mener à bien un tel projet. Je crois aussi que le volet idéologique a aussi joué pour beaucoup.

Y a-t-il des segments en lesquels ta confiance est plus forte ou, au contraire, certains qui sont source d’appréhensions?

La traversée du détroit de Gibraltar, qui relie l’Europe et l’Afrique, s’avère particulièrement complexe, mais sera possiblement réalisée en compagnie de Hassan Baraka, qui a réussi les traversées que je m’apprête à accomplir. J’espère nager avec lui; il a été un phare important durant ma préparation et mon entraînement. La découverte des cultures et l’unification symbolique des peuples que je réaliserai sont pour moi des motivateurs primordiaux. Bien entendu, la présence des prédateurs marins, de même que les fascinants changements maritimes qui peuvent survenir durant ces cinq traversées sont une préoccupation. Mais la réussite de chaque étape amènera une immense dose de motivation.

La première traversée que tu réaliseras, entre l’Amérique et l’Asie via le détroit de Bering, comporte plusieurs difficultés; comment as-tu optimisé ta préparation?

Il s’agit de la plus courte traversée, totalisant 5 km, mais qui s’avère à de nombreux égards l’une des plus complexes. D’abord, la température de l’eau, autour de 4 degrés, m’obligera à enfiler un wetsuit [une combinaison isothermique]. J’adore l’eau, mais je ne suis pas à l’aise avec le froid; l’hydratation devra avoir lieu en progression, lorsque je serai couché sur le dos, parce qu’il n’est pas envisageable d’arrêter. Outre les courants chaotiques et la présence d’orques, la situation géopolitique est complexe, de l’autre côté du « rideau de glace ». J’accosterai ainsi sur une île russe, qui héberge une base militaire. Rien n’est certain pour l’arrivée… Je franchirai aussi une ligne de changement de date dans le détroit : en l’espace d’un coup de bras, je changerai donc de journée! Quant au segment du Bosphore via la Turquie, où les tensions sont vives, j’ai dû changer mes plans à la dernière minute pour éviter de passer par Istanbul. Je quitterai donc l’Europe depuis l’île grecque de Kos pour gagner la côte asiatique turque, ce qui me prendra presque deux fois plus de temps.

Quelles seront tes sources de motivation durant les moments les plus difficiles?

Sans contredit ma fille, avec qui je serai en contact constamment. J’adore sa façon de voir les choses : pour elle, il y a toujours une solution, et s’il n’y en a pas, c’est que le problème est absent! Hassan, qui a réalisé les étapes que je m’apprête à nager, sera aussi d’un soutien essentiel. Je suis aussi en contact avec Mylène Paquette, qui a traversé l’Atlantique à la rame, car nos projets ont plusieurs similarités. Enfin, il y a bien sûr Frédéric Dion, ainsi que toute mon équipe, qui est très importante et chère à mes yeux.

Ton projet est basé sur les liens entre les continents; quelle importance a l’union pour toi?

Je suis une personne ambitieuse et dynamique, très soucieuse de mon entourage; d’où mon passé professionnel dans le domaine du spectacle. Mais ce que j’ai vécu à Sotchi, lors des JO de 2014, m’a changé de pied en cap. Sentir l’énergie des olympiens, voir leurs interactions et écouter leur inspiration a bouleversé mon for intérieur. C’est à partir de cette exposition privilégiée à de puissants rêves que j’ai constaté une carence autour de moi. Peu de gens peuvent nommer leurs rêves; j’étais l’un de ceux-là. Il fallait me lier à mon plus grand désir : la natation s’est imposée d’elle-même. L’idée de réunir les continents et, plus encore, de rapprocher les mentalités et faire tomber les frontières a fait naître l’étincelle en moi.

Crédit : Annie-Claude Roberge

À la suite des cinq traversées, tu te dirigeras en Suisse afin de traverser le lac Léman. Pourquoi avoir ajouté cette étape au projet?

C’est la dimension émotionnelle qui a motivé ce complément; ce sera en quelque sorte la finalité logique de la philosophie derrière l’aventure. Derrière les multiples liaisons géographiques, il y a le désir philanthropique d’un monde meilleur. J’encourage les gens à m’envoyer leurs souhaits, leurs rêves, qu’ils soient inspirés ou non par mon défi. Je les placerai dans la bouée qui m’accompagne et serai en quelque sorte leur messager aux Nations unies, qui se trouvent à la ligne d’arrivée de cette étape, particulièrement émotive pour moi.

Plusieurs conférences sont à l’horaire lors de ton retour. Déjà conférencier, comment crois-tu que ton aventure modifiera ton profil d’orateur?

Je ne suis pas du genre moralisateur. Je partageais jusqu’alors l’histoire des autres; j’avais désespérément besoin de quelque chose de plus grand que moi, que j’allais surmonter. Je suis particulièrement sensible aux jeunes, à leurs ambitions et désirs : je veux allumer les nouvelles générations, les sensibiliser au rôle qu’ils ont à jouer à travers leur destinée. En ce sens, tous les aspects de mon projet, du dépassement de soi au souhait d’un monde meilleur, peuvent leur être inspirants. Je ne crois pas aux recettes miracles pour faire naître la motivation; cependant, je suis certain que le partage de mon expérience allumera plusieurs flammes.


Cinq continents reliés à la nage en 80 jours

Crédit : Annie-Claude Roberge

Parti de Montréal le 24 août, Normand Piché aspire à devenir le premier Nord-Américain à relier cinq continents à la nage, en 80 jours. Son aventure débute par la traversée du détroit de Béring (Amériques – Asie), pour se poursuivre par le Pacifique au départ de la Papouasie–Nouvelle-Guinée (Asie – Océanie), la mer Rouge (Afrique – Asie), et enfin le détroit de Gibraltar (Europe – Afrique) et la mer Égée (Europe – Asie), pas nécessairement dans cet ordre, dans ce dernier cas.

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