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Chloé Robichaud : Sarah préfère la course

Un film sur la course, une idée qui a longtemps trotté dans la tête de la réalisatrice Chloé Robichaud. C’est ce thème qu’elle explore dans son premier long-métrage qu’elle scénarise et réalise pour dépasser le cadre des traditionnels films de sport pour parler surtout d’une sportive, Sarah, passionnée de demi-fond mais perdue dans les couloirs pas si droits de la vie. Un pari déjà gagnant puisque la Québécoise de 25 ans a présenté son film au Festival de Cannes avant sa sortie nationale, le 7 juin.

Vous êtes réalisatrice et scénariste de ce film. Qu’est-ce qu’il raconte?

C’est l’histoire de Sarah, une jeune femme de 20 ans, qui aime beaucoup la course. Elle est dans une équipe d'athlétisme en région. Elle est invitée par le meilleur club universitaire de Montréal, mais elle n’a pas l’argent pour financer son rêve. Elle décide donc de se marier avec un ami pour avoir accès aux prêts et bourses, mais cela ne fonctionne pas comme prévu.

Pourquoi avoir choisi le thème de la course pour un premier long-métrage?

Quand j’étais jeune, j’aurais aimé devenir une coureuse. J’aimais beaucoup courir, même si je n’ai jamais fait partie d’une équipe. Je faisais des concours dans la cour d’école pour déterminer celui qui courrait le plus vite! Je suis devenu cinéaste, mais c’est toujours resté en moi : je me suis dit que mon premier film parlerait de la course. Ce sport était un bon moyen pour moi de présenter le personnage de Sarah et les thèmes qui s’y rattachent : une fille ambitieuse, fonceuse qui ne veut pas faire face aux problèmes. La course comme métaphore de la fuite.

Qu’est-ce que vous inspire l’univers de la course?

Avant tout, la rigueur. C’est ce que j’ai découvert en parlant avec des coachs qui m’ont aidée à l’écriture du scénario. Je trouve que les coureurs ont une rigueur de travail remarquable, qu’ils transposent d’ailleurs souvent dans leur vie. Cela me fascine beaucoup. C’est ce dont je voulais parler à travers l’histoire de Sarah, une fille tellement concentrée, dans son corridor de course, qui arrive à faire abstraction du reste. Je voulais parler de quelqu’un avec une ambition très forte. Pour l’avoir en tant qu’athlète, peu importe le sport, il faut y croire et cela prend énormément de travail. C’est un sport à première vue très simple, qui mais qui demande en réalité une technique appropriée. Grâce à ce film, en regardant les actrices qui se faisaient conseiller par nos experts, je cours beaucoup mieux depuis!


© Justine Latour

À propos du film, vous dites : « À l’opposé du film sportif classique, l’histoire ne cherche pas à expliquer la grandeur de son rêve et ses résultats positifs, mais plutôt à en montrer les conséquences et les sacrifices qu’il engendre pour l’athlète et son entourage »…

Dans le film, on ne voit jamais si Sarah finit première ou non, si elle remporte des prix. Cela ne m’intéressait pas. Sarah ne court pas pour gagner, elle court parce qu’elle aime fondamentalement ça. Trop souvent, dans les films de sport, on nous montre uniquement la compétition et la performance, avec des images de podium et de médailles. Je pense que, pour avoir un peu côtoyé des athlètes, l’instant où tu gagnes est un infime moment dans l’existence, dans cette vie de sport, mais ce n’est pas l’essentiel. Ce qui motive un athlète est ce que le sport vient lui faire ressentir, l’entrainement, quelquefois le travail d’équipe. Dans mon film, je voulais avant tout monter le chemin plutôt que la finalité de la victoire. Ce qui préoccupe Sarah, ce n’est pas d’aller aux Jeux olympiques, même si tout le monde y pense pour elle, mais simplement de courir et de le faire longtemps. Quand nos athlètes vont aux Olympiques, on est déçu de ne pas les voir gagner une médaille. Mais c’est déjà un exploit qu’ils se soient rendus jusque-là! Oui, il y a la médaille d’or, mais il y a aussi l’accomplissement qui est important.

Pourquoi ce titre, Sarah préfère la course?

Je ne peux pas totalement répondre à cette question... Il faut voir le film pour connaitre la réponse! Ce que je peux quand même dire : la course, c’est son espace à elle. C’est sur quoi elle a le contrôle, tandis que le reste, elle a plus de difficultés. Elle est socialement maladroite. Elle est peu intéressée par les amis.

Qu’est-ce qui est intéressant pour vous dans le fait de filmer la course?

Le mouvement en continu, surtout en demi-fond avec une vitesse contrôlée. On y trouve une forme de lenteur. Tout y est calculé, contrairement à la fulgurance explosive du sprint. Je me suis beaucoup concentrée sur ce qu’est une athlète : par exemple, un gros plan sur la bague d’une coureuse, des boucles d’oreilles... Des éléments qu’on n’est pas habitué à voir. Je voulais filmer la course de manière poétique. Étrangement, quand j’en parlais avec des coureurs, il me disait que c’est comme cela qu’ils se sentent : calme, paisible, une espèce de sérénité intérieure. On y entend plus de la musique classique que du rock. Pourtant, quand tu regardes des films de sport, on va te montrer des images très rapides, avec des plans très dynamiques et de la musique entrainante.

Peu de films ont pour thème principal la course : Les Charriots de feu (1981), Prefontaine (1997) et Without Limits (1998) – tous deux sur le coureur américain Steve Prefontaine –, La ligne droite (2011). Et c’est à peu près tout...

Je les ai tous vus, mais je ne m’en suis pas inspirée. Je voulais faire quelque chose de personnel. En même temps, cela me réconfortait dans mes choix ou en challengeait d’autres. Quand j’ai commencé à écrire le synopsis du film, je me réjouissais qu’il y en ait aussi peu du genre, et aucun au Québec. Il y a tellement de films qui sont produits de nos jours qu’avoir quelque chose qui se distingue un peu, c’est intéressant. Et un film de course sur une femme, c’est encore plus rare! En tant que femme cinéaste, j’avais aussi envie de mettre des personnages féminins captivants à l’avant-plan. J’en ai vu des films, et c’est souvent des gars qui sont devant!

Vos actrices ont-elles suivi un entrainement physique spécifique?

Sophie Desmarais (NDLR : Sarah dans le film), Ève Duranceau et Geneviève Boivin-Roussy ont été entrainées pendant six mois par Jean-François Martel, coach d’athlétisme au Club Vainqueurs de Montréal. Il fallait que les filles changent physiquement, qu’elles développent une bonne posture de course. Elles ont également travaillé le cardio, car lors du tournage, elles devaient être capables de refaire plusieurs fois les prises.

Le film a été sélectionné pour le Festival de Cannes, dans la catégorie Un certain Regard. Comment avez-vous reçu cet honneur?

C’est une grande fierté! Je trouve ça génial pour toute l’équipe qui a travaillé sur ce film. Je suis émue et très honorée d’être dans la même catégorie que Sofia Coppola, dont je suis une grande admiratrice. C’est un très beau cadeau que l’on m’a fait! Je ne pouvais pas l’espérer, à l’âge que j’ai (NDLR : 25 ans). Monter les marches et présenter le film aux Palais des festivals va être un moment spécial.

Dans le film, on demande à Sarah ce qu’elle ferait si elle n’avait pas la course. Vous, qu’est-ce que vous feriez si vous n’étiez pas réalisatrice?

Je faisais beaucoup de sport plus jeune, notamment au primaire et au secondaire. Donc, certainement que, sans le cinéma, je serais devenue une sportive. Mais si je ne faisais pas de cinéma, je ne serais pas à ce point heureuse. Ma passion, c’est de faire des films. Je n’imagine pas ma vie autrement.

Sarah préfère la course
Date de sortie : 7 juin 2013
Réalisé par : Chloé Robichaud
Avec : Sophie Desmarais, Jean-Sébastien Courchesne, Hélène Florent, Micheline Lanctôt, Ève Duranceau et Geneviève Boivin-Roussy.
Durée : 1 h 35
Infos : sarahpreferelacourse.com

 
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