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Respecter la nature

Avant que je quitte la terre ferme pour prendre le large et traverser l’Atlantique une première fois, ma sœur Evelyne m’avait écrit plusieurs lettres pour que je puisse les lire en route entre les deux continents. Sur chaque enveloppe était indiqué le moment précis pour en faire la lecture. Sur l’une d’elles était écrit : « À ouvrir avant le départ ».

Son contenu était très émouvant. Entre les passages bienveillants, quelques « je t’aime » et « prends soin de toi », se trouvaient les messages de prudence et de précaution d’une frangine à sa cadette. Une phrase était surlignée deux fois, caractères gras : « Respecte la mer et elle te respectera ».

Tout en ramant, j’ai répété cette phrase dans ma tête, tel un mantra, des milliers de fois. Je l’avais même découpée et collée au plafond de ma cabine de façon à pouvoir l’apercevoir à tout moment, question de toujours réfléchir à sa signification…

Il va de soi que l’océan impose le respect. Il est là, nous l’implorons et lui demandons un droit de passage que l’on souhaite sain, sécuritaire et le moins tumultueux possible.

Ce milieu, hostile à la survie humaine, nous oblige à être sur nos gardes à chaque instant. Le Grand bleu ne donne pas l’impression d’être fragile ni inoffensif. Il intimide, même depuis ses rivages.  

Lorsqu’on le sillonne, peu importe depuis quelle embarcation, il nous rappelle le respect qu’il commande. Ses humeurs mettent en évidence notre insignifiance, notre petitesse, notre impuissance face aux éléments : la houle gigantesque qui gonfle la mer, la hauteur des vagues et l’espace vertigineux qui se creuse entre chacune d’elles, la cambrure des déferlantes et la violence de leur fracas, le sifflement strident du vent, le grondement produit par le mouvement des eaux partout autour…

Au sommet d’une crête immense, en prenant conscience de l’étendue d’eau phénoménale qui existe à des milles à la ronde, on reconnaît notre fatalité potentielle. On avance alors mesurément, en toute conscience de nos limites humaines.

Ces mêmes limites nous sont régulièrement rappelées par la nature dans son ensemble, peu importe la forme qu’elle prend : forêt impénétrable, montagne inaccessible, falaise vertigineuse, rivière.

La rivière qui coule près de chez soi, en plein milieu urbain…

Après autant d’expériences en haute mer et tant de milles nautiques parcourus sur la courbure de la Terre, c’est tout près de chez mes parents, sur la Rivière-des-Prairies, exactement là où ma sœur et moi avons grandi, que j’ai été témoin d’un malencontreux accident. Ici, dans le cours d’eau de mon enfance et par une formidable journée de septembre, la nature a fait une victime.

« Respecte la mer, et elle te respectera. » 

Crédit: Mylène Paquette

C’est lorsque qu’un coéquipier a perdu la vie en kayak que le message de ma sœur est revenu hanter mon esprit, comme pour m’aider à comprendre l’incompréhensible.

La nature, c’est aussi nous, notre nature propre d’être humain limité et lié à son écosystème. L’humain a des limites que la nature habite, mais que l’humain lui-même ne suspecte pas suffisamment, naturellement.

Or, où qu’elle soit, quelle qu’elle soit, la nature nous ramène souvent à l’ordre – parfois peu, parfois trop – par l’irruption de la maladie ou par l’arrivée impromptue d’un accident.

Nous sommes portés à croire que la vie est et sera jusqu’à ce que l’ordre naturel des choses fasse loi : naître, grandir, vieillir, et une fois passé un certain âge, mourir tranquillement. Comme le chêne vit et retourne à la terre, comme l’été meurt à l’automne, comme le lion règne sur les espèces de sa chaîne alimentaire avant d’être détrôné par la mort. Le grand cycle de la vie, parfois sensé, parfois absurde.

Ici, un homme a payé de sa vie sa participation à un événement caritatif, mettant en valeur la nature, et qui visait à amasser des fonds pour contrer… une maladie mortelle.

Respecte la mer, la rivière, la nature, et elles te respecteront?

Tout bien réfléchi, ce n’est pas toujours le cas.

La vie est fragile. Pour subsister, elle a besoin d’un ensemble de choses qui la maintiennent en équilibre, et c’est ce même équilibre qui permet sa continuité.

La nature n’a ni intentions, ni personnalité, ni sentiments. Elle est, c’est tout. Elle agit sans crier gare et sans discrimination, soumise à des lois que nous ne sommes pas toujours en mesure de comprendre et d’accepter. Et là est sa seule justice.

On la fréquente au passage, on parcourt son territoire, dans les limites qu’elle nous alloue. Quand la nature frappe, elle le fait sans choisir ses victimes, et ces malheureux franchissent malgré eux les limites qui leur garantissaient jusque-là la survie.

Respecter la nature, c’est aussi respecter la nôtre, admettre notre qualité d’être vivants évoluant dans un écosystème limité, honorer nos forces, reconnaître nos frontières.

Respecter la nature, c’est lui rendre hommage.

Lui rendre hommage, c’est rendre hommage à la vie.

Et c’est aussi rendre hommage à tous les efforts entrepris pour assurer sa pérennité.

Pour ce faire, seule arme à la main : notre résilience devant les drames que la nature impose sur son chemin.

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