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  • © Tourisme Charlevoix / Sylvain Foster

Kayak de mer : Charlevoix vu du large

Partir sur le fleuve, dans une bulle rien qu’à nous. Mais aussi retrouver ce monde familier, ces gestes de pagayeurs que nous affectionnons tant. Et nous laisser porter au gré du vent et des marées, des jours durant, au large des battures charlevoisiennes. Compte rendu en trois temps d’un périple fluvial en kayak de mer, en toute autonomie.


De Saint-Jos’ à L’Anse-au-Sac

À marée basse, nous tirons difficilement notre kayak tandem vers l’eau; choix volontaire et insensé pour mieux observer la batture des environs. Nos veines de cou semblent reproduire les traces que nous laissons dans la glaise que nous arpentons en titubant. Nos pieds s’enfoncent et glissent dans les sédiments, les cailloux et le varech qui couine sous nos pas.


© Gabrielle Coulombe

« Chérie, la prochaine fois, c’est promis : je prévoirai un petit chariot pour transporter le kayak… » Intention que je louange en soulevant l’un de nos nombreux sacs étanches qui renferment l’équipement que nous avons assidûment sélectionné.

Il n’y a pas de place pour les caprices ou les élans extravagants de confort dans un tel périple. L’essentiel y est : trousse de premiers soins, tente, sacs de couchage, nourriture, réchaud, couteau multifonction, bâche, vêtements imperméables, purificateur d’eau, serviettes, chargeurs portables, réservoirs pour l’eau potable… Bref, tout ce qu’il faut pour partir en autonomie, mais avec les bidules propres au kayak : pagaie de secours, combinaisons, pompe de cale, vêtements de flottaison, jupes, souliers et gants en néoprène, etc. Notre vieille carte marine plastifiée a été remplacée par nos cellulaires, qui nous permettront de recueillir, en plus des données sur les marées, celles concernant les vents et la météo. Bien lire les éléments est primordial pour ce type d’expédition, et je me sais choyée d’avoir un insulaire (et ancien guide) à mes côtés.


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La journée vient de débuter et mes bras sont déjà en compote. Le vent aide notre progression, qui nous confirme la pertinence du portage matinal. Le littoral découvert et ses buvettes marines sont pleins de vie : cormorans à aigrettes, goélands à manteau noir, oies blanches, bihoreaux, pierres artistiquement tachetées de lichens crustacés verts… et les hautes terres du chemin du Centre qui surplombent la grève. En bons touristes, nous visitons du regard les maisons accrochées aux flancs des récifs et imaginons la vie des gens qui les habitent. Les scénarios farfelus remplissent le kayak de rires complices et nous aident à supporter la houle acharnée qui règne dans le cap du vieux phare.

L’envie est grande de se prélasser au soleil à la vue de l’anse aux vinaigriers et des cavités secrètes où l’on voudrait bien jouer à cache-cache avec le reste du monde. Nous mangeons nos barres tendres sur la longue plage de sable de Cap-aux-Oies, tentés par l’idée d’enlever nos combinaisons pour nous balader dans la section est des lieux (qui est réservée aux nudistes).


© Gabrielle Coulombe

Le soleil est si vif qu’une seule intention nous guide : nous baigner. Satisfaits du trajet, nous scrutons les environs pour établir notre campement du jour et plonger nus dans les eaux plus que rafraîchissantes du fleuve. Il y a tant de plages qui nous appellent et qui dormiront sans nous. Nous y allons au feeling, en choisissant celle qui interpelle le plus nos corps à la recherche d’un refuge qui sera à l’abri des regards.

Le soir venu, pas astronomes pour deux sous, c’est avec la question existentielle « est-ce qu’elle a une ellipse ? » que nous observons la pleine lune faire son corridor de lumière sur le fleuve. Sur des branches de bois plantées dans le sol, près du feu, nos combinaisons frétillent dans le vent et se préparent pour la journée à venir. Notre lit de branchage d’épinette, coupé à la machette, réconforte nos dos inaccoutumés à la dureté des galets. Ce soir, nos corps s’évanouiront dans un sommeil contenté.


© Gabrielle Coulombe

Infos pour ce trajet

  • Longueur : environ 18 km
  • Mises à l’eau : école de Saint-Joseph-de-la-Rive (183, rue des Saules) ou quai de ce village (possibilité de commencer le parcours de Baie-Saint-Paul pour l’allonger, en partant du quai)
  • Coordonnées GPS pour dormir (avec source d’eau douce sur place)
  • Autre source d’eau douce : chute dans l’anse de la Grosse Roche

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Entre L’Anse-au-Sac et Cap-à-l’Aigle

Il y a de grandes stalagmites striées près de l’anse où nous avons dormi. Je n’ai jamais rien vu de tel le long du fleuve. Assise sur la pointe de l’une d’entre elles, j’admire la barre du jour se lever. C’est mon cadeau d’anniversaire (ça et des guimauves grillées sur le feu de camp, dont quelques restants subsistent dans mes cheveux).


© Gabrielle Coulombe

Nous laissons notre petite plage déserte telle que nous l’avons trouvée la veille. Nous sommes vigilants : pas de traces de notre passage ni de camping sur des terrains privés.

Ce matin, la mise à l’eau est si facile, rien de comparable à hier. La marée n’est pas favorable puisqu’elle monte, mais comme la surface ressemble à du pétrole, notre avancée ne sera pas trop harassante. Après un petit effort de réflexion dans mon cerveau peu logique, je saisis qu’il est préférable d’être en marée montante lorsque l’on voyage vers l’ouest, et le contraire en se dirigeant vers l’est. Comme nous supervisons l’expédition, j’intègre le fait que le fleuve soit régi par des courants qui peuvent tromper les novices.

Plus nous avançons vers le levant, plus l’eau se fait claire et colorée. Sur la côte près de Pointe-au-Pic, nous sommes restés un moment à observer les rochers noir charbon couverts de lichens orange, qui contrastent avec les teintes jade du fleuve.


© Gabrielle Coulombe

Sur l’eau, nous découvrons la ville de La Malbaie autrement, en plus des nombreuses montagnes du cratère de Charlevoix. Malgré les vacanciers attroupés le long du quai et les voitures qui filent sur la 362, nous sommes en nature silencieuse, à l’abri de la mouvance. Comme la baie est calme, nous allons au large pour couper directement vers l’autre cap. Par temps agité, nous aurions opté pour une trajectoire suivant la côte.

Dans l’anse d’Herbe, nous trouvons un endroit qui semble sécuritaire afin de ne pas nous faire réveiller par le ressac de l’eau sur notre tente (déjà vu et vécu…). L’emplacement des varechs séchés n’a jamais été aussi révélateur! Comme la présence de la pleine lune augmente l’amplitude des marées, nous installons notre bivouac plus haut (c’est ce qu’on appelle l’hypervigilance des campeurs de grève).

En dépit d’un crachin, nous profitons d’une chute découverte en cherchant du bois mort. Assise dans les bouillons, fouettée par le débit féroce, j’oublie les pensées contradictoires qu’éveille en moi ce déconfinement accéléré.

Infos pour ce trajet

  • Longueur : environ 26 km
  • Mise à l’eau possible : plage de Saint-Irénée
  • Coordonnées GPS pour dormir (avec source d’eau sur place)
  • Autre source d’eau douce : la rivière Malbaie

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Entre Cap-à-l’Aigle et Port-au-Saumon


© Gabrielle Coulombe

Ce matin, il y a tellement de brouillard que nous ne voyons pas plus loin qu’à 20 pieds devant nous. Le temps, malgré ses airs mystérieux, semble stable.

La batture sent fort l’iode. La présence de plusieurs spécimens le long de la grève et dans les arbres nous confirme qu’il y a une héronnière tout près. La nature se fait de plus en plus brute, dévoilant des décors familiers avec ceux de la Côte-Nord. « C’est beau, hein ? » Pour utiliser le mot préféré de mon partenaire, je lui réponds : « C’est un euphémisme. »

Les fonds sont parsemés de gros cailloux que nous frôlons à plusieurs reprises. Je lance ce cri que font souvent les mères paniquées : « Hiiiiiiiiiiiiiiiii ! » Même sans brouillard, ce tronçon resterait névralgique. Il vaut mieux le parcourir avec prudence, et à une cadence touristique, ou opter pour le large si les courants le permettent.


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« Passer le cap » est une expression que je comprends mieux aujourd’hui en franchissant celui de l’anse aux Remous. « Rame, rame, il va falloir fournir plus d’efforts ici… » Le fleuve est plein de vaguelettes, un peu comme le glaçage des gâteaux McCain : signe que le vent est bien levé. Nous le prenons en pleine figure. En fixant une cabane de pêche le long du rivage, je réalise que nous faisons pratiquement du surplace. Bien que tous les caps requièrent plus de volonté, celui-ci donne un peu la frousse à mon partenaire, puisque depuis plusieurs kilomètres, il n’y a aucun endroit où accoster en cas d’urgence. Je prends conscience, en ressentant une certaine agitation à bord, qu’une telle expédition demande de l’expérience et une bonne connaissance des eaux.

Une fois notre propulsion terminée, un phoque profite de notre accalmie pour jouer à cache-cache avec notre embarcation. Il serait tentant de le suivre, comme ce marsouin croisé plus tôt, mais nous restons discrets. Avec ou sans moteur, nous sommes des corps étrangers en ce lieu. Je chante un air de Beau Dommage au phoque, ce qui fait rire mon conjoint qui me surnomme la « Gregory Charles de Charlevoix ». Un mot, une chanson : telle est ma devise de rameuse.

Après une pause à la soupe Chunky bien méritée, nous consultons les rapports météorologiques pour orienter la suite. Si le vent s’intensifie, il sera dangereux de franchir à nouveau le cap demain. Si nous continuons vers Port-au-Persil, nous aurons le même problème, en plus de suivre une côte aux falaises imposantes qui offrent peu, voire pas de lieux d’abordage. Nous décidons donc d’explorer les alentours de Port-au-Saumon, ses îles, sa rivière. Nous profitons des petits fruits sauvages et de la chaleur des galets pour méditer et faire des ricochets.

Le lendemain, les mains croûtées de pâte à banique et le cœur serré, nous plions bagage pour effectuer ce retour que nous aurions voulu plus tardif. Pour laisser une empreinte indélébile de ce périple dans mon esprit, je prends une photo imaginaire en mimant le geste avec mon doigt. Mon partenaire rit en se prêtant au jeu : « Cheeeeeese ! » Le kayak rempli de reliques d’algues, de bois et de galets, nous distillons doucement nos souvenances, l’élixir iodé et salin coulant déjà à flots dans nos veines.

Infos pour ce trajet

  • Longueur : environ 16 km
  • Mise à l’eau possible : quai de Cap-à-l’Aigle
  • Coordonnées GPS pour dormir
  • Source d’eau douce possible : dans l’anse de Port-au-Saumon

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