Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit : Joshua Resnick

Au pays de la morille

La morille, c'est l'or noir des forêts boréales ravagées par le feu. La cueillette de ce petit champignon peut rapporter gros : des milliers de dollars en quelques jours. Mais encore faut-il être en mesure de relever le défi et connaître les astuces de récolte de ce champignon.

Le soleil de minuit s'assoit derrière les montagnes du Yukon. Éreinté, Daniel Riopel s’endort enfin. Encore une fois, il a zigzagué toute la journée, contourné mille et un arbres rasés par le feu, joué à l'équilibriste et ramassé des dizaines de morilles. La suie couvre tout, dit-il. La mort côtoie la vie. Le paysage est désolant. Et pourtant magnifique. Graphiste au journal La Presse, Daniel Riopel met à profit ses vacances depuis 10 ans pour cueillir ce précieux champignon. Il planifie longuement ses expéditions. Le plus souvent, il est seul dans ce milieu hostile, mais fertile pour la morille. Après la truffe, c'est le champignon qui se vend le plus cher.

Rare, certes. Mais pas dans les forêts de conifères dévastées par le feu. Les morilles peuvent y pousser... comme des champignons. Pourquoi? « Ça fait partie de son mystère », répond J. André Fortin, pionnier de la recherche en mycologie au Québec. Il y a cependant des pistes : la concurrence végétale déplaît aux morilles et elles affectionnent un sol alcalin. Un incendie rase la compétition et libère des nutriments alors que la cendre diminue l'acidité du sol. « On ne connaît pas la recette du feu parfait pour que la morille sorte. Il n'y en a en pas à chaque feu, ni à chaque année. Mais quand il y en a, c'est un vrai festival de morilles! », ajoute la biologiste Marie-France Gévry. La morille a aussi ses caprices : il ne faut ni trop de soleil, ni trop de pluie.

L'été dernier, la chance a souri à Daniel et aux deux novices qui l'accompagnaient, Thierry Mirandette et Éric Lévesque. Depuis Whitehorse, ils ont parcouru une centaine de kilomètres en hydravion pour se rendre sur le site d'un incendie qui a ravagé 183 kilomètres carrés en 2009. Et ce feu avait la bonne recette. Nos complices se délectaient d'ailleurs de morilles tous les jours. Elles abondaient dans leurs ragoûts de perdrix, omelettes ou burgers végétariens. Thierry n'avait ni fait de longue expédition, ni goûté de morilles auparavant. Daniel lui a tout appris.

Combien d'aventuriers cueillent des morilles au Yukon le printemps? Qui sont-ils? Quel potentiel économique représente cette ressource? « Nous n'avons aucun chiffre. Cette industrie est déréglementée, saisonnière et petite », répond dans un échange de courriels Samantha Paterson, responsable des communications au ministère du Développement économique du Yukon. Le gouvernement fournit néanmoins la seule information qui importe pour les cueilleurs : des cartes détaillées où figurent les zones incendiées.


À lire aussi : Mycotourisme, la fièvre des champignons


Ruée vers l'or

Au Canada, les incendies de forêt brûlent en moyenne 25 000 kilomètres carrés par an. La forêt boréale est la grande victime : le climat tiède et sec favorise les feux et ils sont peu combattus en milieu éloigné. Les conifères, avec leur résine et leurs aiguilles, brûlent vite. Les précipitations étant moins abondantes dans l'ouest du Canada, les superficies brûlées y dépassent celles de l'est.

Un cueilleur expérimenté — et chanceux! — ramasse en moyenne 80 livres de morilles par jour, calcule Daniel Riopel. Malchanceux, il revient les mains vides. Dix livres de morilles fraîches donneront une livre une fois qu’elles seront déshydratées. L'expédition de 2010 a duré 24 jours. Daniel a ramassé pour 150 livres de morilles déshydratées. À eux deux, Thierry et Éric en ont récolté quelque 200 livres. Les acheteurs payent entre 75 $ et 125 $ par livre de morilles séchées, nous assure Céline Venne, propriétaire de Saveurs du terroir, un grossiste en champignons situé à Montréal. Une livre se revend 160 $ aux clients, comme un restaurant. « Ces prix fluctuent beaucoup », précise-t-elle.

Crédit : Daniel Riopel

Il se récolterait pour 15 à 20 millions de dollars par an de morilles de feu dans le Nord de la Colombie-Britannique, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Alaska. Cueilleurs et acheteurs itinérants y convergent en saison. Plusieurs de ces transactions sont clandestines. Un groupe de 25 Québécois s'est risqué à la chasse aux morilles de feu l'été dernier en Colombie-Britannique. Amyco, jeune entreprise de récolte de produits forestiers, était à l'origine du projet. Ils ont formé des gens et choisi un site près d'une route. D'autres cueilleurs empruntaient le même chemin. « C'était comme une ruée vers l'or », raconte l'un des fondateurs d'Amyco, Anthony Avoine, qui termine son baccalauréat en biologie. Les morilles étaient au rendez-vous. Amyco les achetait aux cueilleurs pour ensuite agir comme distributeur. « Un microvillage s'est créé. Il y avait des chicanes de terrains... c'était la loi de la jungle! », relate l’entrepreneur.

Daniel Riopel a jeté son dévolu sur le Yukon pour éviter ces ruées vers l'or. Il privilégie les sites d'incendie loin des chemins : il a ainsi l'exclusivité. Et il y a moins de risque de vol lors de la période de séchage. Car l'idéal consiste à ramasser des morilles et les déshydrater au soleil dans une installation temporaire. Elles perdent ainsi du poids. Puis, on retourne les chercher deux jours plus tard. Le séchage se termine dans une serre de polythène fraîchement construite et chauffée au poêle à bois afin de tuer les larves ou oeufs d'insectes.

 

Crédit: Daniel Riopel

Débrouillardise 101

L'isolement impose débrouillardise et improvisation. Comme lorsque l'une des bottes de Thierry s'est déchirée, éventrée après quelques jours. « Fallait faire avec! », dit-il. Heureusement, ils avaient du duct tape. Ou encore lorsque les trois agrafeuses ont brisé en bâtissant la serre. Daniel se souvient d'un autre imprévu majeur. En 2003, un pilote d'hydravion l'a déposé à 42 kilomètres au sud du site qu'il avait sélectionné. Seul et sans téléphone satellite. Le pilote a constaté son erreur deux semaines plus tard pour ensuite le transporter où il se devait. « Des milliers de dollars envolés! », se désole Daniel qui a, depuis, investi dans un téléphone satellite. « On n'a jamais fini d'apprendre. Il y a toujours des imprévus, des défis, des problèmes à résoudre. Il faut être très créatif et prêt à se surpasser », expose-t-il.

Vaut mieux aussi apprendre à manier une arme. « Promenons-nous dans les bois pendant que le grizzli n'y est pas », devrait dire la comptine, même si les loups grouillent au Yukon. Daniel Riopel a suivi des cours pour se défendre, non pas pour chasser. Il laisse un fusil de calibre 12 au campement. Durant la journée, les trois cueilleurs déambulent avec des clochettes à ours et leur bonbonne de poivre de cayenne. Daniel dort même avec la sienne. En 2008, un grizzli s'est approché à une quinzaine de mètres du campement. Le fusil n'a pas encore servi.

Crédit: Daniel Riopel

Klondike au Québec?

Un Klondike annoncé a déjà eu lieu au Québec. Les feux de l'été 2005 ont brûlé un record de 3 880 kilomètres carrés. Le mycologue J. André Fortin a fondé l'Association pour la commercialisation des champignons forestiers (ACCHF) et lancé l'Opération morilles en 2006. Sur à peine 5 % des zones brûlées, les troupes ont récolté deux tonnes séchées de cet or noir. On avait alors estimé à plus de six millions de dollars la valeur des morilles de la Belle Province. Le potentiel commercial des morilles de feu au Québec demeure toutefois inconnu. « Aucun ministère ne s'intéresse à ça », rapporte J. André Fortin. « Ce n'est pas notre mandat », réplique Bruno Boulet, ingénieur forestier au ministère des Ressources naturelles et de la Faune. Le ministère caractérise les écosystèmes, sans produire d'inventaire des champignons forestiers. Les cartes de feu sont disponibles et les forêts publiques, dit celui qui a présidé le Cercle des mycologues amateurs de Québec pendant douze ans. Et il ajoute : les gens ne se vanteront pas s'ils trouvent des morilles de feu. Ils gardent ça secret. Difficile, donc, de faire un bilan.

La cueillette des morilles de feu au Québec demeure peu rentable : « L'exploration est extrêmement coûteuse compte tenu des distances, indique Marie-France Gévry, présidente de l'ACCHF. Ce sera rentable le jour où les industriels forestiers signaleront la présence de morilles pour que des cueilleurs s'y rendent. » La morille pousse aussi, en moins grande quantité, dans les forêts de feuillus dominées par le peuplier. « Ça fait partie des rêves des gens de trouver une talle de morilles, dit J. André Fortin. Et ça se lègue presque par testament! »

Un marché en développement

L'ACCHF tente de structurer le marché des champignons forestiers et offre des formations. La demande pour celles-ci, de la simple initiation au cours pour cueilleurs professionnels, s'accentue. Ils ont accrédité 84 cueilleurs professionnels.

« La valeur des champignons forestiers (chanterelles, bolets, etc.) surpasse celle de la matière ligneuse dans certaines forêts », soutient Marie-France Gévry. Des entrepreneurs ont compris le message. Ce marché rapporterait 100 millions de dollars sur 10 ans s'il est structuré, évalue l'un des fondateurs de la jeune compagnie Morille Québec, Simon-Pierre Murdock. Gérard Mathar de l'entreprise Gaspésie Sauvage, qui fournit les plus grandes tables de Montréal, a formé 1 000 cueilleurs, dont une centaine de réguliers. Ceux-ci ramassent 20 tonnes de « champis » par an. Pour les morilles, ces deux entreprises se rabattent d'abord sur l'Ouest canadien.

En soi, il existe plus de 3 000 espèces de champignons au Québec. Mais seule une vingtaine d’entre elles sont d'intérêt gustatif. Dans le doute, il faut toujours s'abstenir. Certains champignons sont dangereux, voire mortels. Pour cet été, Morille Québec planifie une expédition au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Quant à Daniel Riopel, il troquera les incendies du Yukon, trop éloignés, pour explorer de nouveau au Québec. Quelque 2 233 kilomètres carrés de forêt ont flambé. Reste à voir si les capricieuses morilles sortiront de terre.


Et si vous êtes un amoureux de plein air et de mycologie, découvrez ces 6 randonnées aux champignons!

Commentaires (1)
Participer à la discussion!

Alain.. - 20/01/2013 11:51
Bonjour,

Très intéressant votre exposé.
Peut être pourrez-vous me renseigner ?
Je cueille divers champignons depuis 5 ans, je pense me d`brouiller assez bien sauf en ce qui concerne les morilles. Je demeure a Neuville près de Québec et du fleuve. J'ai chercher partout ou c'était possible d'en trouver mais en vain. j'ai lu quelque part qu'il pousse en altitude 400 mètres et plus, c' est peut être pour cela que je n'en trouve pas chez-nous près du fleuve ?
On dit aussi qu'il ne faut pas chercher sous les trembles mais sous les peuplier baumier, qu'en pensez-vous ?

Merci a l'avance pour votre réponse.

Alain..