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  • Crédit: Robert Faubert

Entre développement touristique et préservation de l’environnement - Les Adirondacks : nature ou barbecue?

24 000 kilomètres carrés de superficie, 3 200 kilomètres de sentiers, des sommets célèbres tels Marcy ou Algonquin et des centaines de terrains de camping, petits et grands… Pour 10 millions visiteurs chaque année, le parc des Adirondacks est un immense terrain de jeu. Mais c’est aussi un lieu au sol et à la végétation très fragiles. Y a-t-il risque de dérapage écologique? Entrevue avec Pete Hickey, un des fervents acteurs de sa protection.

Responsable de l’entretien des sentiers au sein de l’organisation des 46ers[i] et amoureux de la nature, Pete Hickey est avant tout un être qui prêche par l’exemple. Ce Gatinois d’origine new-yorkaise ne fait pas qu’enfourcher son vélo 12 mois par année pour se rendre au boulot; il l’utilise souvent pour faire, aller et retour, le trajet Gatineau-Adirondacks, question de grimper un sommet par la seule force de ses jambes. C’est aussi un bénévole acharné qui consacre chaque année 1000 heures à l’entretien des sentiers. Il nous présente ici le défi que pose la préservation de la nature dans ce parc de l’état de New York très fréquenté et médiatisé.

Quelle menace plane sur les Adirondacks?

Celle de perdre le peu qu’il nous reste comme zone naturelle dans le nord-est américain si on n’arrive pas à bien gérer son exploitation. Souvent, les gens n’ont pas idée de l’impact qu’ils ont sur la nature. Par exemple, leDépartement de la Conservation de l’environnement (DEC de l’État de New York) demande aux gens d’éviter les sommets de plus de 3000 pieds au printemps, pendant ce qu’on appelle le « mud season » [NDLR : littéralement « saison de la boue », qui s’étire entre le début avril et la fête des Patriotes]. Contrairement à ce qu’on croit, la boue, qu’on retrouve surtout en basse altitude, ne constitue pas le véritable problème. Ça s’arrange avec des travaux d’entretien. Par contre, en haute altitude, les fréquents épisodes de gel/dégel forment de minuscules cristaux de glace qui font prendre de l’expansion au sol et le rendent encore plus poreux. Un seul pas de randonneur fait fondre ces cristaux et déplace ainsi beaucoup plus de terre, devenant du coup encore plus dommageable qu’en basse altitude où la boue est plus compacte. Le problème est encore plus accentué sur les sentiers escarpés où la couche de terre est souvent mince. N’oublions pas qu’en plus, le sol est très organique dans les Adirondacks, ce qui le rend plus mou et vulnérable qu’un sol minéral tel qu’on en trouve dans les White Mountains [NDLR : parc du New Hampshire]. Donc, l’impact de milliers de randonneurs dans ces conditions pourrait se révéler catastrophique. Déjà, on voit des sentiers érodés jusqu’au lit rocheux qui ne cessent de s’élargir.

D’où vient ce problème?

La médiatisation croissante du plein air, surtout à l’ère d’Internet, y est pour beaucoup. On assiste à une démocratisation de l’information qui fait que tout le monde peut diffuser l’information qu’il souhaite. C’est pratique, mais aussi dangereux. Quelqu’un grimpe un obscur sommet et publie les coordonnées exactes de sa route sur Internet. On inscrit ces dernières dans son GPS sur une carte téléchargée à partir de Google Earth et… bingo! On n’a plus qu’à suivre la flèche… Mais la personne qui a divulgué son parcours sait-elle si celui-ci se trouve sur un terrain privé? Sur un sol fragile qui ne peut supporter plusieurs randonneurs? Il ne faut pas se leurrer, ce qu’on publie sur le Web connaît un impact énorme. Il y a quelques années, en hiver, un randonneur d’expérience a mentionné sur le site Views from the Top qu’il avait ouvert la voie pour gravir le mont Allen, un sommet dépourvu de sentier balisé et très reculé. Le week-end suivant, on a compté 18 voitures dans le stationnement!

Qu’est-ce qui motive ces gens, à votre avis?

Quand quelque chose apporte un sentiment d’accomplissement, voire de la compétition, ça attire les gens. Les gens cherchent des défis. Pour certains, passer un week-end en camping suffit. Pour d’autres, il s’agira de grimper tous les sommets d’une liste préétablie, comme celle des 46 plus hauts sommets des Adirondacks [NDLR : près de 6000 personnes ont gravi tous les sommets de cette liste jusqu’ici]. Une fois l’objectif atteint, on en veut davantage, comme grimper les 100 plus hauts sommets, ce qui entraîne d’autres problèmes puisque certains d’entre eux se trouvent sur des terres privées.

Comment les autorités peuvent-elles réagir?

Par une réglementation plus pointue, qui a permis jusqu’ici de renverser la vapeur. Au début des années 90, Marcy Dam ressemblait à un véritable camping commercial, les arbres entourant les lean-to[NDLR : abris comprenant trois murs et un toit en pente]avaient été complètement dépouillés de leur écorce et de leurs branches dans le but de faire des feux, et les sommets dénudés avaient perdu toute trace de végétation. Le DEC réagit en limitant la taille des groupes, en interdisant les feux – source importante de problèmes – à plusieurs endroits ou encore en ensemençant de l’herbe sur des zones interdites aux randonneurs afin que les racines retiennent le sol, permettant du coup aux plantes indigènes de regarnir certains sommets. Il y aura toujours des gens qui rechigneront devant ces règlements, mais on n’a pas le choix si on veut protéger ce qu’il nous reste.

Plusieurs voudraient un parc thématique bien aménagé où on peut faire un peu ce qui nous plaît. Il faut se demander ce qu’on veut obtenir : une véritable expérience de la nature ou un terrain de jeu qui crée l’illusion de la nature? L’humain n’est qu’un visiteur dans ce parc protégé par l’État et chaque geste doit davantage tenir compte de la nature que de l’humain. Par exemple, on n’ira pas scier des arbres pour obtenir une plus belle vue ou détruire un barrage de castors qui cause l’inondation d’un sentier.

Les résultats sont-ils concluants?

La situation s’est grandement améliorée depuis 10 ans. Marcy Dam a retrouvé un aspect plus naturel et la végétation a repoussé sur plusieurs sommets, mais ces résultats ne sont pas seulement tributaires de la réglementation plus sévère. Les gens sont plus conscientisés qu’avant. Selon le DEC, de plus en plus de gens évitent volontairement les hauts sommets lors de la « mud season ». On voit malheureusement encore des autobus nolisés desquels débarquent 30 randonneurs prêts à grimper le mont Dix en plein mois d’avril. Mais n’oublions pas les 300 autres personnes qui ont volontairement choisi de gravir un plus petit sommet ou de faire du vélo! Ilfaut aussi souligner l’apport de nombreux bénévoles qui nous donnent un coup de main lors des corvées de sentier. D’ailleurs, et j’en suis très heureux, de plus en plus de randonneurs québécois se sentent concernés et participent à ces corvées!

Vos trois fils ont tous vécu dès leur enfance un lien très intime avec la nature, particulièrement Jean-René, devenu aujourd’hui un professionnel de l’entretien des sentiers, dont le travail a récemment fait l’objet d’un reportage dans la revue américaine Backpacker. C’est génétique?

Peut-être! [Rires] Dès leur plus jeune âge, je les ai amenés avec moi. Ils adoraient particulièrement le camping. Je ne les ai jamais poussés trop fort à faire quoi que ce soit, je les laissais découvrir la nature par eux-mêmes. Parfois, ce sont eux qui me ramenaient à l’essentiel. Un jour, lorsque Jean-Philippe et moi approchions du sommet du mont Algonquin, qui disparaissait dans un épais nuage, mon fils s’est mis à courir et s’est enfoncé dans le brouillard. Quand je l’ai rejoint au sommet, il était en larmes. Je l’ai réconforté en lui disant de ne pas s’en faire, qu’on reviendrait un jour où la visibilité serait meilleure. Tout à coup, j’ai compris que je venais de réfléchir en adulte. Ce n’est pas l’absence de vue qui l’attristait : il pleurait car il venait de réaliser qu’il ne pouvait prendre un morceau de nuage, le ramener à la maison et le montrer à ses amis. La beauté de la nature est souvent là où on s’y attend le moins, d’où l’importance de la préserver dans son intégrité!

Plus d'infos : www.adirondackcouncil.org

Le saviez-vous ?

Le parc des Adirondacks est aussi grand que l’état du Vermont. Constitué à plus de 50 % de terrains privés, il est le lieu de résidence de 130 000 habitants permanents et 110 000 saisonniers.


[i]Club de randonneurs qui ont gravi les 46 plus hauts sommets des Adirondacks et dont la mission consiste en la préservation de l’environnement et l’éducation au code d’éthique en milieu naturel.

 

 

 

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