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  • Crédit: Christian Levesque

Chic-Chocs : Skier en toute liberté

Skier dans les Chic-Chocs, c’est profiter à fond du paysage québécois et des joies du ski à la manière qui prévalait avant l’invention des remontées mécaniques : une longue montée pour quelques courts instants de pur bonheur.

La pente devient enfin moins abrupte et le sommet est en vue. Essoufflé, mais avec un grand sourire étampé sur la figure, j’ai déjà hâte à la descente. La vue est magnifique au sommet du Bol des Patrouilleurs. Au loin, une « mer de montagnes » s’étire à perte de vue. Isamie, qui était juste derrière moi, arrive enfin et nous nous préparons pour la descente. Avec les derniers rayons du soleil, nous descendrons en quelques minutes ce qui nous a pris près d’une heure à grimper. Après avoir enfilé nos skis et jeté un dernier coup d’œil au paysage grandiose, nous nous dirigeons vers la pente abrupte. Je prends une grande inspiration d’air frais. Tant d’efforts pour en arriver à ce moment précis…

Il y a longtemps que je voulais faire ce périple et tâter le ski hors-piste dans les Appalaches gaspésiennes. Lorsque Marie-Christine et Isamie (deux collègues passionnées de ski) ont lancé l’idée l’hiver dernier, j’ai sauté sur l’occasion pour les accompagner. Avec Martine, une autre amie de la bande, me voilà donc parti avec mes « Chicks in the Chocs »! L’automobile est remplie à ras bord de nos skis, planche à neige, télémark, peaux de phoques, raquettes, bâtons de marche, nourriture et alcool. Huit heures de route nous mènent à Sainte-Anne-des-Monts et une demi-heure de plus permet de s’enfoncer suffisamment dans les terres pour rejoindre le Centre de découverte et de services du parc national de la Gaspésie.

À notre arrivée, il y a déjà foule. C’est Pâques, le moment rêvé de l’année pour les passionnés de se retrouver dans l’arrière-pays et l’une des dernières belles journées pour profiter de la neige gaspésienne. Plusieurs activités sont offertes pour les amateurs de ski hors-piste durant cette longue fin de semaine : projection de films, cours de sécurité et de prévention d’avalanches, 5 à 7 avec bières locales, souper de crabe, etc.

Pour notre première journée, nous optons pour le mont Hog’s Back (830 m). Facile à monter, il servira d’introduction pour le reste du week-end. Le stationnement situé à quelques kilomètres en dehors du parc de la Gaspésie est presque plein, la température est parfaite et la bonne humeur règne auprès des gens rencontrés. Après la vérification de notre équipement d’avalanche, la montée se fait agréablement et nous rencontrons plusieurs connaissances aussi attirées par la vue exceptionnelle du coin. Heureux de cette première montée, notre groupe se prépare à la première descente tant attendue. Les peaux de phoques et les raquettes disparaissent rapidement. Le tracé est choisi et les premiers virages s’enchaînent sur une surface durcie par la froide température et les vents qui balaient la neige sur ce versant. Qu’importe, la joie d’être au milieu de ces montagnes est partagée par tous.

Un passage plus étroit se dessine vers la fin du parcours. Juste avant de s’y élancer, Marie-Christine effectue un virage anodin pour mieux attaquer cette portion et pose la main par terre pour conserver son équilibre. Une douleur atroce l’envahit et elle s’immobilise brusquement. « Je pense que je me suis foulé la main, mais je peux continuer! » Avec un bandage de fortune, nous poursuivons la descente jusqu’au stationnement. Comme sa main ne semble pas enflée, nous entamons notre 5 à 7 dans le stationnement avant de terminer la journée avec un délicieux souper de crabe et la projection du film The Fine Line.

Au lever, sa main ne semble pas prendre du mieux lorsque nous entamons la marche d’approche du Bol des Patrouilleurs. Nous testons en même temps les « alpine-trekkers », une pièce qui transforme des skis « normaux » en skis « tout-terrain » (« All-terrain »). Conclusion : cette fixation lourde et peu commode. S’ils constituent certes une solution pour ceux qui ne veulent pas utiliser des raquettes en fixant leurs skis sur leur sac à dos ou qui ne possèdent pas de skis avec des fixations « tout-terrain », ces adaptateurs ajoutent du poids et de la hauteur à la fixation originale des skis et rendent l’aventure beaucoup moins plaisante.

En plein cœur du parc de la Gaspésie, nous atteignons la base du Bol des Patrouilleurs après 5 km de marche sous un ciel bleu parfait. Le paysage est superbe et les pistes invitantes. Aucune file d’attente à l’horizon. Ici, c’est le ski en liberté totale. Enfin presque : certains coins sont déconseillés à cause des risques d’avalanches évidents. Ces contraintes dictées par la montagne laissent tout de même un vaste terrain de jeu que tous veulent essayer. Marie-Christine prend la décision de rester au bas de la montagne : sa main élance maintenant d’une manière constante et elle appréhende la descente. Sa déception est évidente. Tant d’anticipation depuis des semaines pour skier cette magnifique pente enneigée tombent subitement à l’eau. Heureusement, elle n’est pas seule à rester au bas de la piste : de nombreuses personnes s’arrêtent ici pour profiter d’une pause bien méritée et pour visiter le kiosque installé par la boutique Le Yéti, qui est venu expressément de Montréal pour proposer aux skieurs d’essayer les nouveaux modèles de skis télémark de l’année suivante. Durant la journée du samedi, plus de 250 personnes passeront devant ce kiosque monté à 5 km du stationnement le plus près.

Crédit: Christian Levesque

Au sommet de cette pente impressionnante, on distingue les silhouettes de ceux qui s’élancent du haut du Mont Albert. À gauche, de nombreux points noirs montent lentement en file pour les rejoindre, comme des fourmis à l’assaut d’une énorme butte. Notre trio entame donc la montée de ce joyau du paysage gaspésien à leur suite. Certains n’iront pas jusqu’au sommet et préféreront redescendre lorsque leurs jambes n’auront plus la force de poursuivre. C’est le cas de Martine qui s’est aventurée dans une zone de neige molle qui lui montait à la taille et qui lui a gobé de précieuses énergies. Elle décide de profiter du soleil qui plombe sur le versant pour skier le « gros sel » offert par ces conditions printanières. On entend ses cris de joie à chaque virage. Ne reste plus qu’Isamie et moi à la conquête de la montagne, sans compter tous les autres maniaques qui suivent les mêmes traces que nous.

Une fois au sommet et au moment de se lancer vers le bas, je réalise que la pente n’est plus ensoleillée du tout et que le « gros sel » que nous envisagions durant toute la montée fait maintenant place à une pente plutôt glacée. J’avais emprunté de larges skis de poudreuse (Rossignol S5 BC - 185 mm) en prévision de conditions plus clémentes. J’espérais même de la poudreuse. Me voilà plutôt dans une pente à pic et glacée avec des skis que je ne connais pas! Il me faudra quelques virages avant de me sentir complètement à l’aise et d’apprécier la descente. Chaque virage me donne des frissons de bonheur et je me surprends à crier ma joie à chaque changement de direction. Quelques virages avec plus de neige permettent de saisir l’ampleur du potentiel de l’endroit lorsque la neige est fraîche. Quel bonheur de skier ainsi en toute liberté! Le seul défaut de l’aventure, c’est que la descente ne dure pas longtemps. Moins de dix minutes après nos virages, nous sommes au chalet situé au creux de la vallée. Nous reformons notre quatuor et retournons joyeusement vers la civilisation et un second souper de crabe (à volonté cette fois!) bien arrosé à l’Auberge festive Sea-Shack.

La neige commence à tomber durant notre dernier jour sur place. Marie-Christine décide d’aller se faire examiner à l’hôpital alors que je me trouve un compagnon pour refaire une dernière journée de ski. Sans visibilité et avec des vents violents au sommet, nous décidons de redescendre prudemment par notre chemin de montée. Les radiographies annoncent un verdict pire que prévu : fracture du métacarpe qui exigera un plâtre et deux vis. Bref, des souvenirs impérissables de notre aventure!

Nous prendrons le chemin du retour le lendemain dans une tempête de neige qui donne à tous le goût de rester sur place plus longtemps pour profiter de cette couche de neige fraîche. Nous sortons de la tempête à Rimouski. Rendu à Québec, il fait un soleil radieux. D’autres skieurs profitent des bosses du printemps au Mont-Sainte-Anne. Dans la métropole, il n’y a déjà plus de neige et les gens nous regardent de travers avec notre équipement de ski. De retour au boulot le lendemain, une tragique nouvelle se répand : un skieur est mort dans une avalanche durant notre journée de retour, celle où la neige fraîche nous a presque retenus en Gaspésie. La pensée que cela aurait pu être l’un de nous constitue un signe de plus pour bien s’équiper avec tout le matériel d’intervention (voir en page 5) et savoir comment l’utiliser. Pour skier en toute liberté, il faut aussi savoir respecter la montagne. Pour le moment, la seule idée que nous avons en tête est d’y retourner dès que possible!

Trucs pratiques

/ Avoir une connaissance de base du phénomène des avalanches
/ Posséder le matériel d'intervention (ARVA, pelle et sonde) et savoir s’en servir
/ Être au moins trois personnes et skier un seul à la fois
/ Annuler la descente en cas de signe d'instabilité du manteau neigeux ou de mauvaises conditions climatiques

Guide de départ

Où rester

/ Le Gîte du Mont-Albert est une auberge à découvrir. Classée quatre étoiles, elle est située au cœur du parc de la Gaspésie. (1 800 665-6527 • sepaq.com)
/ Vingt chalets magnifiques entourent le Gîte du Mont-Albert (1 800 665-6527 • sepaq.com)
/ L’auberge festive Sea-Shack est parfaite pour avoir une ambiance « party ». Elle est située à 30 minutes de route du parc de la Gaspésie. (1-866-963-2999 • aubergefestive.com)

Où skier

Selon les conditions de neige et les prévisions d’avalanches (se renseigner au Centre de découverte et de services ou au Centre d’avalanche de la Haute-Gaspésie) :

/ Bol des Patrouilleurs (Mont-Albert)
/ Grande-Cuve (Mont-Albert)
/ Mont Blanche-Lamontagne (réserve faunique des Chic-Chocs)
/ Champs de Mars (réserve faunique des Chic-Chocs)
/ Mont Hog’s Back (réserve faunique des Chic-Chocs)

Note : La dénivellation varie entre 100 et 350 mètres.

Période :
1erdécembre au 30 avri

Autres options

• Cours d’avalanches avec le Centre d’avalanche de la Haute-Gaspésie (418-763-7791 • centreavalanche.qc.ca)
• Catski avec Ski Chic-Chocs (skichicchocs.com)
• Skier la Vallée Taconique (valleetaconique.ca)

 

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Christian Lévesque est le rédacteur en chef des revues Espaces et Adventura. Il fait de la photo et de la vidéo pour ces magazines, pour lui-même et pour d’autres personnes. christianlevesque.com

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