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  • Grand Canyon © Nicolas Jolicoeur

Le Grand Canyon… en hiver!

Fin novembre, nous sortons nos kayaks pour descendre la rivière aux Chiens sur la Côte-de-Beaupré. La rivière est sauvage et la descente, excitante. Les 10 km de rapides (R4) nous préparent pour le crux du parcours : une magnifique double chute de 8 mètres. La neige qui tombe nous rappelle que la saison est terminée. En regagnant la chaleur de nos foyers, nous réalisons qu’elle pourrait s’étirer. L’idée de descendre le Grand Canyon était née!

Il y a longtemps que nous rêvions à cette descente, mais la complexité de l’organisation avait toujours repoussé le projet. Dans le passé, la liste d’attente pour obtenir un permis atteignait 20 ans! En 2006, une loterie annuelle a été mise en place. À la dernière minute, il est donc impossible d'obtenir un permis. Mais une semaine plus tard, la chance nous sourit : une équipe qui devait partir le 6 décembre annule son voyage. À 10 jours d'avis, la préparation de l'expédition devient notre nouveau défi!

La descente du canyon cumule 360 km et est habituellement effectuée en 20 jours en rafting. Ces embarcations permettent des expéditions très confortables qui incluent barbecue, douche, toilette et chaises portables, alcool à profusion ainsi que des repas gastronomiques. Afin d’être de retour pour les Fêtes, nous sommes limités à 12 jours et nous choisissons la simplicité de nos kayaks. Il est impératif de minimiser l’équipement : le barbecue est remplacé par le feu de camp, adieu les steaks et bonjour la nourriture lyophilisée et les barres énergétiques! Le sable des plages tient lieu de chaises et notre petite tente devient notre toit.

© Nicolas Jolicoeur 

Avec plus de 24 000 visiteurs qui descendent la rivière annuellement, le parc exige une éthique Sans trace stricte. Nous devons vite bricoler, selon les normes du parc, un foyer démontable ainsi qu'un récipient étanche pour rapporter nos cendres et besoins naturels. Les kayaks doivent même être modifiés afin de permettre le transport de tout notre matériel. Notre équipe est forte de l'expérience acquise durant plusieurs expéditions en alpinisme, kayak de mer, randonnée, canot, haute montagne et ski de randonnée. La rivière Magpie Ouest, sur la Côte-Nord, a été notre école pour les expéditions de kayak de rivière. Depuis la construction des grands barrages dans les années 60, la Magpie reste l'une des dernières longues rivières avec des rapides de difficulté élevée (classe 4 en moyenne).

Le départ pour le Grand Canyon s’effectue le soir du 3 décembre. Quarante-huit heures de conduite nous attendent pour atteindre l'Arizona à temps pour l'entrevue obligatoire avec un garde-parc. Le matin du 6 décembre, celui-ci vérifie notre équipement et nous renseigne sur les règlements, la faune et la flore. Il nous dit de ne pas oublier de secouer nos vêtements avant de les enfiler afin d'éviter que les scorpions nous accompagnent dans notre randonnée et il nous indique la procédure d'évacuation en cas de morsure de serpent. Heureusement, ces rencontres sont rares en hiver, mais il est tout de même possible d'observer de nombreux animaux : aigles à tête blanche, hérons, condors et parfois souris, lapins, cerfs et félins. Cent quarante-quatre ans après la première descente du Grand Canyon, nous nous élançons enfin sur les traces de l’équipe de John Wesley Powell. Tout semble irréaliste : deux semaines plus tôt, ce voyage n'était qu'un vieux rêve.

Dès le départ, une gorge constituée de roches calcaires et de grès rouges nous encercle. La hauteur n’est que d’une centaine de mètres, mais déjà nous sommes engagés. Avant la sortie à Diamond Creek, il n’est plus possible de sortir sans obtenir une aide aéroportée.


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Les 110 premiers km de la rivière permettent de reculer de 1,5 milliard d’années dans l’histoire géologique de la région du plateau du Colorado. Difficile de conjuguer de meilleure façon nos intérêts scientifiques et sportifs. Dès ces premiers kilomètres, nous sommes impressionnés par la taille des rapides qui ne sont même pas indiqués sur notre carte. Le rythme est donné pour ce qui suivra! Le premier de taille, nommé Badger Creek, nous permet de comprendre la cotation des rapides. Celle-ci n’est pas classée de 1 à 6, mais de 1 à 10 et clairement établie en fonction d'une descente en raft de 18 pieds!

Le premier soir, nous plantons la tente sur une grande plage de sable. Ces nombreuses plages se construisent par l'érosion des roches sédimentaires. La rivière transporte et dépose ces sédiments dans les contre-courants. La nuit, le ciel étoilé est magnifique. La température est de -5 °C, mais facilement tolérable compte tenu de l’air sec de cette région désertique. Cette température est exceptionnellement froide pour l’endroit; en général, le gel atteint rarement le fond du canyon.

Par contre, ces températures hivernales sont suffisantes pour faire fuir les amateurs d’eaux vives. Seulement 4 % des visiteurs descendent la rivière au cours des mois de décembre à février. À cette période, les chances d’obtenir un permis à la loterie annuelle sont de plus de 90 %. En été, elles diminuent à moins de 1 %. Les expéditions commerciales (entre autres, à bord d'immenses rafts à moteur) pullulent sur la rivière. Il est alors nécessaire de s'entendre avec les autres expéditions sur le partage des sites de camping et de randonnée. En hiver, le Grand Canyon se rapproche de l'intimité des rivières québécoises!

    © Nicolas Jolicoeur

La deuxième journée, la pluie se met de la partie. Avant la tombée du jour, nous trouvons une plage protégée par un surplomb rocheux et nous passons la soirée sur le bord du feu, à l'abri de la pluie. Le lendemain matin, nous nous réveillons avec une surprise : les hauteurs du Grand Canyon sont enneigées! La succession de couleurs du panorama est magnifique : l'eau bleu turquoise de la rivière, les parois rouges nappées de blanc en hauteur et un ciel bleu sans nuages.

L'exploration des berges s'avère tout aussi intéressante que la rivière. Au 82e km, nous prenons le temps de monter à Nankoweap Granaries pour aller visiter les caves de l'ancien peuple Anasazi. Le point de vue sur la rivière est impressionnant. Pendant notre absence, un corbeau a ouvert un de nos sacs au sec et volé la nourriture, mais nous nous consolons avec les bières laissées à notre intention par une autre expédition.

Au 125e km, nous entrons dans Granite Gorge. Les parois sont très abruptes et tombent directement dans la rivière. Impossible de portager et il est difficile d’évaluer les rapides à partir de la berge. À ce point, la rivière a creusé son parcours jusqu'à la roche-mère constituée de schiste et d'intrusions de granite. L’expression « les portes de l'enfer » prend ici tout son sens. Après la descente du rapide Sockdolager, nous rencontrons un raft renversé et un kayakiste en détresse. Ses deux comparses ont chaviré dans le rapide en amont et ont nagé jusqu'à la rive pendant que lui tentait de récupérer l’embarcation. Résultat : l'un des deux nageurs, près de l'hypothermie, a subi une luxation de l'épaule. Nous les aidons à rejoindre Phantom Ranch d’où ils pourront évacuer la rivière à pieds le lendemain. L'équipement sera expédié par mules et par hélicoptère. À cet endroit, le plateau du Colorado culmine à 1 500 m.

La section qui suit inclut la séquence la plus difficile de la rivière. Horn Creek, Granite, Hermit et Crystal sont tous classés entre 7 et 10. Nous sommes comblés par de tels rapides, constitués de vagues de plus de trois mètres et d'immenses trous à éviter. Les 600 m de dénivelé de la rivière sont répartis uniformément sur les 360 km, aucun portage n'est nécessaire. Il y a toujours du courant sur les planiols (portion de rivière calme), l’idéal pour la descente en kayak. En général, l'hiver, le niveau d'eau varie entre 6 000 et 12 000 pieds cubes par seconde (cfs), alors que le débit maximum annuel est d'environ 25 000 cfs.

© Nicolas Jolicoeur

Au 9e jour se présente le difficile rapide Lava Falls. Cette fois, nous choisissons la ligne facile, permettant d’éviter les immenses trous et les vagues déferlantes qui sont causées par la verticalité de la rive droite de la rivière. À cet endroit, le canyon change une fois de plus de visage, faisant apparaitre une autre facette géologique. Plusieurs éruptions volcaniques, datant de quelques millions d'années, ont déposé ici d'importantes couches de lave. Il est possible de marcher jusqu'au sommet d'un ancien volcan qui révèle une vue imprenable sur la rivière, le canyon et les champs de lave noire.

La descente de la rivière Colorado ne saurait être complète sans la découverte, à pieds, du canyon et de ses affluents. À Matkatamiba, nous avons exploré les entrailles d'un petit canyon en calcaire. Sa remontée relève davantage du canyoning que de la randonnée. Quant à lui, le canyon Havasu offre une belle randonnée le long d'un ruisseau turquoise. Chaque jour, des randonnées nous permettent de visiter des grottes, sites archéologiques, mines ou chutes d'eau. En moyenne, nous pagayons quatre à cinq heures par jour (30-35 km), entrecoupées de deux heures de randonnée. Le soleil hivernal limite la clarté de huit heures à 17 heures. Pour les amateurs d'escalade, plusieurs possibilités s'offrent également à vous.


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Les deux derniers jours sont plus calmes. Nous nous laissons dériver en admirant la beauté de cet environnement. Au point de sortie, nous attendons notre voiture. Le conducteur engagé arrive au volant de celle-ci avec un réservoir d’huile complètement défoncé. Impossible de repartir : il faudra être remorqué. Nous sommes en plein milieu du désert, à 50 km du village indien le plus proche. Le retour au Québec sera finalement beaucoup plus compliqué que prévu…

En définitive, le Grand Canyon aura comblé nos attentes. Il s'agit d'un incontournable pour les amateurs d'eaux vives, des sciences de la terre ou de la randonnée. Alors, à quand votre propre descente hivernale du Grand Canyon?


Cout : (par personne, tout inclus sauf le transport)
Raft personnel : 1 500 $ (avec location du raft)
Raft commercial : 3 500 $
Notre expédition en kayak : 500 $

Calibre d'une descente en autonomie en kayak : Intermédiaire encadré  – expert
Débit moyen : (35 cfs = 1 m3/s)
Déc.- janv. :  9 500 cfs
Juill. : 18 300 fs

Température (min/max) : Déc. - janv. 2/14 ªC , juillet 26/41 ªC

Eau : 8 ªC

Équipements nécessaires : Toilette et foyer portatifs, dry suit complet, filtreur, radio/appareil satellite, crème hydratante!

Info sur permis : rrfw.org

 

Commentaires (1)
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louise54 - 13/12/2014 17:36
On pourra dire que j'ai fait cette descente en hiver, bien au chaud dans mon salon ! C'est que ce texte est agréable à lire et que j'ai eu l'impression d'y être. Que dire des magnifiques photos!