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  • Crédit: Annie Marchildon

Le choc du retour

À pied, en voilier ou au volant d’un Westfalia, les voyages ont la cote. Mais, si le départ est minutieusement préparé, le retour est trop souvent négligé. Une erreur qu’il faut éviter!

Après un périple à l’étranger de quelques mois (ou de quelques années!), certains voyageurs vivent une étape qu’ils n’avaient pas prévue ni même envisagée : le choc du retour. Alors que le départ est associé au changement et à la découverte (on se prépare mentalement au choc culturel), le retour est perçu comme une situation facile à vivre. On ne cherche plus le dépaysement : on rentre à la maison… Pourtant, tant la maison que le voyageur ont évolué.

Transition ou réadaptation pour les uns, choc culturel inversé pour les autres, le choc du retour se caractérise par une perte des repères conjuguée à un ressenti négatif : « On parle de choc parce qu’il s’agit avant tout de gérer une crise! La réintégration des habitudes de vie antérieures, qu’on imagine naturelle, crée des réactions émotives intenses  », explique Madeleine Hallé, psychologue en performance au Cirque du Soleil.

Crédit: Claude Bérubé et Diane Saint-Hilaire, Collection personnelle À bord de leur voilier, Claude Bérubé et Diane Saint-Hilaire ont vogué pendant huit ans des côtes de l’Amérique du Sud aux Antilles. Bref, jusqu’à ce qu’une suspension de leur assurance ne les contraigne à rentrer au Québec. « En arrivant, on ne reconnaissait plus rien. Les émissions de télévision, les chansons, les vêtements… jusqu’aux autos qui avaient changé de marques. Les cellulaires et Internet étaient partout. Le choc culturel était plus fort ici qu’en débarquant sur une île des Caraïbes ! Je me suis senti comme amnésique de ma propre société… », témoigne Claude Bérubé. 

« Plus on part longtemps dans un milieu culturel différent du sien et avec une forte implication dans le pays d’accueil, plus le choc du retour est important », constate Marc Doucet, psychologue. À ces facteurs environnementaux s’ajoutent un élément humain : la personnalité de chacun. Les symptômes sont ressentis avec une intensité et une durée variables selon les individus. « Le choc du retour est un trouble de l’adaptation dont les symptômes sont proches de ceux de l’anxiété ou de la dépression », précise Michel Bernier, psychologue  depuis 10 ans au Centre d’orientation et de consultation psychologique de l’Université Laval. Les signes vont de la nostalgie du pays visité (avec un regard plutôt critique posé sur le pays d’origine), à la tristesse, la colère, la frustration ou encore à un repli sur soi. « Même si cela ne permet pas de l’éviter, il est important de comprendre que le choc du retour est un trouble normal. Quand il arrive, il faut le vivre comme une étape du voyage », conseille Michel Bernier.

Comme le départ, le retour se prépare. Dans les derniers temps, il faut prendre conscience qu’on vit la fin de son voyage et se demander comment on veut la vivre : « Est-ce qu’on a le goût de parler une dernière fois à certaines personnes ? De (re)visiter des lieux en sachant qu’on ne les reverra peut-être jamais ? Boucler ces boucles émotives, professionnelles ou culturelles prédispose à rentrer dans un nouveau cycle », souligne Annie Lord, conseillère depuis 30 ans auprès d’expatriés et auteure de Prendre le temps d’atterrir.

Crédit: Michael Maheux, Collection personnelle Au volant de son Westfalia, baptisé Léonard en hommage au célèbre poète montréalais Leonard Cohen, Michael Maheux a parcouru 15 489 km à travers le Mexique… jusqu’à avoir épuisé son budget. « Pendant les 60 heures de route qui me séparaient du Québec, je ne pensais qu'à mon arrivée et à la surprise de mes proches qui ne m’attendaient pas! », dit-il. Au passage des douanes canadiennes, un drôle de sentiment le submerge : « Tout semblait comme un rêve qui se terminait en franchissant cette frontière ».

Les semaines qui suivent l’arrivée sont souvent vécues dans l’euphorie avec le plaisir de retrouver ses proches, sa maison, « sa » ville et toutes les petites choses (si habituelles ici!) qui ont manqué pendant le voyage. Loin des contraintes matérielles ou professionnelles, le voyageur (au centre de toutes les conversations mondaines) revit inlassablement son aventure tout en savourant le retour.

La fin de cette période idyllique coïncide avec le choc du retour. Bref, le retour à la réalité. Annie Lord compare cette période de transition à l’hiver : « Famille et amis finissent par être saturés. Le voyageur se trouve alors dans une grande confusion : il doit prendre des décisions importantes et s’investir dans son travail, son logement, sa vie de couple… mais il doute de lui. S’il a autant besoin de parler de son voyage, c’est justement qu’il n’arrive pas à mettre des mots sur ses émotions », analyse-t-elle.

Parti trois mois en Équateur pour enseigner l’anglais dans une école primaire, Hugo Morin a vécu un choc du retour en retrouvant Vancouver : « Les premières sensations en sortant de l’avion étaient incroyables : tous ces édifices modernes, ces voitures neuves, ces biens de consommation partout, c’était comme si je découvrais à quel point on est un pays riche ! ». Mais après les premières semaines où il réapprivoise la ville, il se met à juger très durement les gens qui l’entourent. « J’avais l’impression que les jeunes se plaignaient le ventre plein. La télé me semblait ridicule. Tout m’agaçait et me déprimait », se souvient-il.

Étranger dans son pays natal, le voyageur a avant tout besoin de temps pour reprendre des repères en y intégrant ce nouveau vécu. Une période de transition est nécessaire pour verbaliser, questionner et se reconstruire. « Il faut savoir placer des tremplins entre le voyage et le retour au quotidien : un contrat motivant, une nouvelle maison, des projets qui tiennent à cœur », dit Madeleine Hallé. L’important est de remplir le vide causé par le voyage avec des choses plaisantes : les sources de satisfaction du quotidien peuvent être moins intenses, mais plus nombreuses. Ne pas rentrer les poches vides  permet de reprendre le travail de façon graduelle. Et poursuivre son blogue ou son journal de voyage après le retour est une manière de continuer à partager ses émotions, tout en conservant un regard curieux sur le monde. Ici ou ailleurs, l’aventure continue.

Encore plus…
◊ Marcel Bernier, Séjour à l’étranger : le choc du retour  (cocp.ulaval.ca/sgc/pid/1481)
◊ Annie Lord, Prendre le temps d’atterrir : carnet de retour de l’étranger (Septembre éditeur)
◊ Michael Maheux  (roadtrip-online.com)
◊ Hugo Morin (espritvagabond.blogspot.com)

5 conseils pour mieux revenir
Margie Warrell, motivatrice

Après avoir vécu trois ans en Papouasie Nouvelle-Guinée, Margie Warrell (alors enceinte de sept mois) a connu ce fameux choc du retour en arrivant à Melbourne. Elle conseille aujourd’hui à son tour ceux qui en sont victimes.

1. Ne critiquez pas ce qui vous entoure sous prétexte que vous avez vécu autre chose ailleurs.Avant de partir, ce monde vous convenait (système éducatif, climat, consommation, etc.). Vous arriverez à vous y adapter à nouveau.
2. Prenez du recul.Soyez à l’écoute de vos sentiments, mais ne les laissez pas vous consumer. Acceptez le fait que vous n’êtes plus celui ou celle que vous étiez « avant ». Votre environnement et vos proches aussi ont changé.
3. Positivez. Au lieu de focaliser sur ce qui se trouve hors de portée, montrez-vous reconnaissant pour cette opportunité qui vous a été offerte, et dont vous avez su profiter. Et sachez apprécier les bonheurs à venir !
4. Préparez-vous à ce que votre voyage ne captive plus après quelques semaines.Vos proches vont s’en désintéresser, car ils n’ont pas d’élément de comparaison pour s’approprier votre vécu. Acceptez-le et trouvez d’autres lieux d’expression (blogs, forums, thérapeute, etc.).
5. Soyez patient… avec vous-même.Il faut du temps pour retrouver ses marques et y intégrer cette nouvelle expérience. Vous vous sentirez parfois triste, en colère, morose. Bien que désagréable, ce ressenti est à la fois normal et passager.

◊ Margie Warrell, Find your courage!, Synergy Books - margiewarrell.com

Deux cœurs autour du monde
D’un orphelinat du Guatemala à la construction d’écoles au Burkina Faso, Patrick Nadeau et Caroline Nadeau ont mené des projets humanitaires à travers le monde pendant deux ans et demie. De retour à Montréal, ils ont surmonté ensemble le choc du retour. (quebecautourdumonde.com)

 

Patrick Nadeau

« 

Voyager en couple procure une stabilité et un sentiment de sécurité. Mais, il faut aussi une certaine maturité pour vivre à deux 24 heures sur 24 et savoir rester à l’écoute de l’autre, quoi qu’il arrive.

 

On était parti sans date de retour, et je crois que les six derniers mois de voyage, Caroline les a faits pour moi. J’aurais aimé que l’aventure continue, mais pour elle, il était temps de rentrer.

 

J’imaginais que le retour serait difficile, mais ça a été encore pire. Les premiers jours ont été formidables : quel plaisir de revoir nos familles et nos amis. Mais assez vite, on ressent comme un détachement difficile à expliquer. On se sent moins d’affinités, on se découvre des valeurs différentes. On ne sait plus à qui raconter tout ce qu’on a vécu. On se retrouve seul avec ses souvenirs.

 

Je me suis mis à porter un regard très critique sur notre société de surconsommation. Comment pouvait-on mettre 200 $ dans un barbecue quand cet argent permettrait à six Burkinabés de reprendre leurs études? Et en même temps, paradoxalement, j’avais parfois le goût de m’acheter un cellulaire dernier cri juste pour remplir cet immense vide laissé par le voyage… 

 

Le choc du retour, je l’ai vécu sans savoir ce qui m’arrivait. Je n’avais plus le goût de sortir ni d’appeler mes amis. Il y a eu des tensions entre moi et Caroline, qui semblait heureuse d’être rentrée. Et puis, je me suis franchement posé la question : si j’avais le choix, est-ce que je prendrais le voyage ou ma vie ici ? Et la réponse était évidente : je ne pourrais jamais vivre sans Caroline.

 

Au bout de huit mois, j’ai arrêté de vivre à contre-courant. J’ai accepté d’être réassimilé par la société et ça m’a enlevé un énorme poids des épaules. Il n’y avait plus l’excitation du voyage, mais j’ai réalisé qu’il y avait autre chose à vivre ici. Me sédentariser, ça voulait dire s’acheter une maison à nous, m’investir dans un emploi qui me ressemble tout en continuant à rassembler des fonds pour nos projets humanitaires.

 

Seul, je n’aurais pas vécu le choc du retour de la même façon. Et je crois que prendre de la distance n’aurait fait que fragiliser notre couple. Même dans les moments où on avait l’impression de ne plus se comprendre, Caroline est toujours resté un repère et un soutien pour moi.

Caroline Hamel

« 

L’idée du retour est venue de moi, environ quatre mois avant de rentrer au Québec. À l’époque, on était au Burkina Faso, et les conditions de vie étaient extrêmement difficiles. Je n’imaginais pas qu’un tel pays existait. Je pense que Patrick aurait bien continué le voyage, mais je me sentais épuisée, j’avais besoin de rentrer.

 

J’imaginais que le choc au retour serait fort, qu’on se rebellerait contre le gaspillage et la consommation à outrance. Le jour de notre retour, j’ai adoré l’accueil que tous nos proches nous ont réservé à l’aéroport. Je me sentais bien, tout était parfait. Et puis, petit à petit, ça l’était moins. C’était étrange de retrouver mes amies avec des responsabilités qui n’étaient pas les nôtres deux ans et demie plus tôt, comme une maison ou un bébé. On se connaissait si bien avant et là… on ne savait plus comment se parler.

 

Quand j’ai moins le goût de faire les choses, j’ai tendance à devenir colérique. Et j’avais du mal à extérioriser ce que j’avais vécu pendant ce voyage. Il y avait trop d’émotions sur lesquelles je n’arrivais pas à mettre de mots. J’ai commencé à me poser des questions sur mon avenir, mes envies. Moi qui étais plutôt solitaire avant, j’avais soudain besoin d’être entourée d’amis, de sortir et de parler. Je crois que c’était ma façon à moi de surmonter ce choc du retour.

 

On a réagi différemment moi et Patrick, mais les difficultés du retour, on les a vécues ensemble. Quand l’un des deux allait mal, l’autre était là pour l’écouter, le motiver dans ses projets. L’aventure continue ici : la recherche de notre maison, l’organisation de nos conférences, l’aide qu’on continue à apporter au Burkina Faso.

 

Retrouver le bonheur dans le quotidien, c’est peut-être ça le vrai choc du retour. Et je crois qu’avec Patrick, on a réussi.

»


Des îles plein le sac d’école

Vivre l’aventure avec ses enfants, c’est le rêve qu’ont réalisé Claire, Guy et leurs filles Chloé et Joëlle à bord du voilier Balthazar. Un voyage sur l’eau dont le retour s’est passé en douceur. Recette de famille pour un ancrage réussi.

Pour les Lavoie-Roberge, prendre le large en famille était avant tout l’occasion de vivre sur l’eau au rythme de la nature et des rencontres. Le retour avait été planifié avant même le départ, mais c’est en Australie que parents et adolescentes ont finalement décidé de mettre un terme à leur vie de nomade, après cinq ans de navigation. « Âgées de 11 et 13 ans, Chloé et Joëlle étaient impatientes de revenir au Québec pour retrouver la famille, se faire des amis et continuer leurs études », se remémore Claire.

Le chemin du retour s’est fait en douceur au rythme de Balthazar. Une approche progressive qui a éclipsé le choc de l’arrivée, au profit d’une vague d’émotions au moment des retrouvailles avec leurs proches. Chloé et Joëlle ont repris le chemin de l’école sans avoir à passer d’examens de remise à niveau. Preuve qu’éducation et voyage font bon ménage.

Si elles n’ont pas vécu de « véritable » choc du retour, Chloé et Joëlle ont pris la mesure du temps passé pendant leur absence… en allumant la télé. Les émissions de leur jeunesse, quand elles existaient encore, n’étaient plus de leur âge. Les amis retrouvés avaient aussi évolué de façon différente. « À leur âge, on change beaucoup en cinq ans. Pour elles, une nouvelle vie débutait avec tout ce que cela implique d’inconnu, de petites craintes et de plaisir », confie Claire. (voilierbalthazar.ca)

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