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Le Québec de demain : pathétique ou athlétique ?

Au Canada, c’est le Québec qui compte le plus d’adeptes d’activités de plein air au prorata de sa population. Le podium est enviable, mais quatre millions de personnes restent encore assises sur leur chaise! Pire encore,  avec 28 % d’enfants québécois souffrant d’un surplus de poids, la relève semble loin d’être assurée.

Tous les lundis, mercredis et vendredis, Antoine Bassal se pointe dès 7 h à la porte nord-ouest du centre commercial Place-Vertu et enfile ses espadrilles en bavardant. En ce mercredi matin pluvieux, ils sont 180 personnes au point de rendez-vous, 2 heures avant l’ouverture des magasins. La plupart font quatre ou cinq tours du centre commercial et rentrent chez eux, ragaillardis. D’autres en font 12, 15… Bikini Village, Canadian Tire, Paris Coiffure, Laura Secord… Voilà le paysage qui défile sous leurs yeux. Ici, Antoine Bassal a marché 8000 kilomètres en 11 ans. L’équivalent de la distance entre Montréal et Rio de Janeiro, au Brésil.

Mais pourquoi diable marcher dans un centre commercial? « Il ne pleut jamais, on ne souffre pas du froid en hiver ni de la canicule en été. Et puis regardez tous ces gens qui se parlent », répond M. Bassal, un septuagénaire effervescent qui distribue à tout venant les poignées de mains et les mots d’encouragement.

D’un point de vue statistique, les 500 marcheurs de Place Vertu entrent dans la catégorie des personnes « actives ». Une minorité au Québec. Selon le dernier Sondage indicateur de l’activité physique, deux Québécois sur trois sont « inactifs ». Cela représente plus de quatre millions de personnes assises sur leur chaise. Elles marchent le moins possible, ne font presque jamais de natation, ni de vélo, et encore moins de conditionnement physique. La pratique régulière d’une activité physique de loisir ne fait pas partie de leurs habitudes. Pourquoi? Le Réseau Canadien de la santé a sondé les Canadiens et découvert que les deux principaux obstacles cités pour ne pas bouger davantage sont : « Je n’ai pas le temps » et « C’est trop difficile ».

Pourtant, nous disposons de beaucoup plus de temps libre que nos grands-parents. Le Réseau  donne l’exemple d’Anne, une enfant qui est née en 1905. Elle se levait à 5 h 30 pour nourrir les poules, avant de marcher environ deux kilomètres jusqu'à l'école. Pendant que son père travaillait dans les champs, sa mère passait la journée à cuisiner, à faire la lessive à la main, se penchant constamment pour transporter de lourds paniers de vêtements à suspendre sur la corde à linge.

Cent ans plus tard, l’arrière-petite-fille d’Anne conduit ses enfants à l'école en voiture, se rend ensuite au travail où elle prend l'ascenseur jusqu'au cinquième étage. Elle reste assise presque toute la journée derrière son ordinateur ou dans la salle de conférence. De retour chez elle après sa journée, en voiture toujours, elle s'arrête à l'épicerie pour acheter quelques provisions. Après le souper, elle met en marche la machine à laver puis s'assied pour regarder la télévision pendant que les enfants finissent leurs devoirs et jouent à l'ordinateur. En un siècle à peine, le temps consacré à l’activité physique a disparu. La technologie a peut-être libéré les hommes et les femmes de tâches répétitives et peu valorisantes, mais elle les a aussi condamnés à la sédentarité.

En Ontario, une petite communauté d’Amish, par leur exemple, nous donne à réfléchir… Pour des raisons idéologiques, ses membres, qui vivent comme en 1905, cultivent la terre de façon traditionnelle et n'utilisent ni électricité, ni véhicule alimenté à l'essence, ni aucune autre commodité de l'ère moderne. Ils se déplacent en marchant. Or, seulement 4 % des adultes Amish sont obèses, et 26 % souffrent d'embonpoint. Dans la société canadienne, 15 % de la population est obèse et 47 % souffre d'embonpoint. La majorité des adultes Amish font 7,5 heures d'exercices vigoureux par semaine et 30 heures d'activité physique modérée. Ils marchent 12 heures par semaine, ce qui correspond à 14 000 à 18 000 pas par jour.

Le caractère exceptionnel de ce mode de vie est criant, surtout quand on sait que passer la soirée devant son téléviseur est l'activité la plus populaire au Canada. En 2002, selon Statistique Canada, le nombre moyen d'heures d'écoute hebdomadaire pour les Canadiennes et Canadiens était de 22 heures.

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S’inquiéter pour les jeunes

Chez les jeunes, la situation est particulièrement inquiétante. La situation se détériore, car plus de 25 % des enfants canadiens souffrent d'embonpoint, comparativement à 15 % en 1982. Au sein de tous les pays industrialisés, c'est au Canada et aux États-Unis que la situation est la plus alarmante. Parmi les facteurs en cause, le manque d'exercice vient en premier lieu. Le National Intitute of Health des États-Unis a décrété l’obésité comme le tueur public numéro un. Pour la première fois de l’histoire, l’excès de poids détrône la cigarette au sommet des ennemis de la santé publique.

Mince consolation : près de la moitié des personnes interrogées par l’Enquête sociale et de santé ont une intention ferme (« certainement ») de faire plus d’activités physique. À peine 4 % des répondants de 15 ans et plus affirment n’en avoir aucune intention (« certainement pas »). Dans le secteur du plein air, cela se traduit par une participation relativement mince des Québécois à ce que le ministère Faune et parcs appelle les « déplacements d’intérêt faunique sans prélèvement » (ni pêche, ni chasse). S’ils génèrent plus de 308 millions de dollars en revenus divers, les adeptes de plein air ne constituent que 20 % de la population. Les plus actifs sont les moins de 35 ans.

Aux États-Unis, le secteur du plein air est suivi de près par la Outdoor industry Foundation qui fait un sondage annuel sur l’intérêt des Américains pour 19 activités extérieures, de l’observation d’oiseaux à l’alpinisme. Son dernier rapport, en 2005, fait état d’une augmentation générale significative de la participation. « Une comparaison avec 1998 révèle une augmentation de 6 % dans 13 activités de plein air », peut-on lire.
Les participants « enthousiastes », soit ceux qui vont en forêt ou sur les routes des campagnes presque chaque semaine, ont augmenté sensiblement au cours de cette période et représentent aujourd’hui 43,1 millions de personnes, soit... six fois la population du Québec.

Quand on regarde des enfants jouer dans une cour d’école ou dans un parc, on ne peut pas douter que l’activité physique soit dans notre nature. « On note une baisse marquée de la pratique d’un sport ou d’une activité chez les adolescents, et c’est encore plus vrai chez les filles », explique la sociologue Suzanne Laberge. Concrètement, une baisse de 20 % entre le groupe des 15 à 24 ans et celui des 25 à 45 ans. Elle a voulu savoir pourquoi les filles se désintéressaient autant de ce style de vie et est allée rencontrer des jeunes avec son équipe de l’Université de Montréal.
Faire du sport ? « On a d’autres choses plus importantes à faire. Par exemple sortir, profiter de la vie après l’école, relaxer, être avec nos amis, se promener », commente candidement une jeune fille. Explication de la sociologue : « La santé s’avère secondaire dans leur échelle de valeurs, possiblement parce qu’elles n’ont pas encore expérimenté la dégénérescence physique. »

Les groupes témoins ont révélé que les filles aimaient se sentir appartenir à des « gangs ». Or, les gangs (les preppys, les granos, les nerds, les fonfs de bouteilles, les wannabe) n’ont pas intégré l’activité physique dans leurs valeurs. Faire du sport est donc perçu comme un attribut peu enviable. Quant aux femmes adultes, elles sentent souvent que leur rôle de mère est beaucoup plus important que celui de sportives. « Moi, ma qualité de vie en ce moment, ce n’est pas l’activité physique, c’est ma relation avec ma famille », résume une répondante.

De la vaisselle au jogging

Kino-Québec définit l’activité physique comme « tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques et produisant une dépense énergétique plus élevée que le métabolisme de repos ». Il y a quatre types d’activité physique : « domestique » (se laver, s’habiller, passer l’aspirateur, etc.); celle qui est liée au travail (classer du matériel, faire le service aux tables, etc.); celle qui est en lien avec le transport (se rendre au travail en marchant ou à vélo, visiter une connaissance en patins à roulettes, etc.); et enfin le loisir (pratiquer un sport, faire du jogging, etc.).

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Selon cet organisme chargé de promouvoir la santé par l’action, la proportion de la population qui ne pratique pas d’activité physique de loisir sur une base hebdomadaire est encore plus élevée chez les moins scolarisés. Il faut donc « poursuivre, sinon intensifier » les efforts de promotion de l’activité physique.

Car la sédentarité a un coût énorme pour la société. Plus d’obésité signifie plus de morbidité, plus d’absentéisme au travail, plus de visites chez le médecin. Santé Canada estime que les maladies cardiovasculaires et musculo-squelettiques, les blessures et le cancer représentent plus de la moitié des coûts des services de santé au Canada, soit 20 % du produit intérieur brut. Une somme de plus de 200 milliards de dollars.

Paresseux, le genre homo sapiens? « Les animaux ne font pas de jogging, nuance Martin Brochu, professeur à la Faculté d'éducation physique et sportive de l'Université de Sherbrooke et spécialiste de l'obésité. Aucune espèce animale, à par certains spécimens chez l'humain, n'a envie de suer 30 minutes par jour pour le plaisir ou pour se mettre en forme. » Le kinésiologue signale que l'obésité a longtemps été un atout pour la survie de l'espèce. L'excès de poids permettait aux individus de survivre à la disette et aux famines. Dans les sociétés modernes, toutefois, l'excès pondéral est associé à une hausse des risques de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et de certains types de cancer. Pas de doute possible : le corps est biologiquement conçu pour bouger.

Bien entendu, lorsqu'on étudie toute une population sur une longue période, on constate une diminution de la masse musculaire entre 30 ans et 80 ans. Mais cette situation serait en partie due à une sous-utilisation progressive des muscles. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'on vieillit qu'on devient automatiquement moins fort; c'est parce qu'on fait moins d'exercice.

Acheter, c’est bouger

« C’est notre société qui est paresseuse, commente Gilles Labre, le fondateur de la boutique Courir, qui compte aujourd’hui 3 filiales et 30 employés à Montréal et à Longueuil. Dans l’industrie, on aime répéter que les gens sont plus en forme qu’autrefois. J’en doute. À mon avis, les gens ne bougent pas plus qu’il y a 30 ans. Par contre, ils consomment beaucoup de produits de sport et de plein air. »
Dans l’effervescence de l’année olympique, en 1976, les Québécois ont multiplié la pratique d’activités physiques. Faire de la randonnée en forêt, du vélo, du jogging, du ski de fond, c’était « à la mode ». Depuis, les Québécois ont peut-être gardé l’impression qu’ils étaient de grands sportifs, mais cela ne correspond plus à la réalité.

Gilles Labre tient à rappeler que ce n’est pas parce que les gens se précipitent dans les boutiques de plein air qu’ils partent nécessairement en randonnée durant leurs congés. Cet entrepreneur, qui détient un diplôme de kinésiologie de l’Université d’Ottawa, rappelle que les bienfaits pour la forme physique commencent à se faire sentir à partir de 3 séances d’exercice soutenu d’au moins 20 minutes par semaine. Par « exercice soutenu », il faut comprendre une activité qui fait travailler le coeur et les poumons... Bref, un truc qui fait suer. « Je comprends que la petite famille qui va sur une piste cyclable, le dimanche, fait un exercice... mais soyons sérieux. J’appelle plutôt ça de la détente. »

Les organismes de promotion de l’activité physique insistent pourtant pour dire que « un peu, c’est mieux que rien ». Le lancement d’une journée nationale du sport et de l’activité physique, le 7 octobre, et la création d’un nouveau slogan, « Vas-y, fais-le pour toi », sont bien sûr des initiatives qu’il faut encourager. Mais ce n’est pas suffisant, estime Gilles Labre. « Je comprends que le langage de la promotion de l’activité physique est adapté aux limites des gens. Il ne faut pas leur faire peur. »

Pierre Gaudreault, directeur général d’Aventure écotourisme Québec (AEQ), note que dans le secteur du plein air, les choses ne vont pas si mal que ça. Au contraire, son organisme a connu une croissance constante depuis cinq ans. « En 2000, nous ne comptions que 82 membres, soit des organismes ou des entreprises spécialisés dans le plein air ; aujourd’hui on en regroupe 192, et il y en a environ 250 au Québec. »

La nature de la clientèle, toutefois, semble avoir changé. Après la vogue des sports extrêmes, dans les années 1990, la mode s’est orientée vers ce qu’il appelle « l’aventure douce ».

« Les gens veulent faire des randonnées d’observation, de la marche en montagne d’une demi-journée à une journée » donne-t-il en exemple. « Mais il ne faut pas que ce soit trop dur. »

La popularité du kayak de mer illustre bien cette nouvelle réalité. Actuellement, 35 entreprises membres d’AEQ offrent des forfaits d’exploration pour les kayakistes du dimanche. « Il y a beaucoup à faire pour encourager les Québécois à profiter davantage de leurs grands espaces », dit cet amateur de télémark et de course à pied. « Nous avons ici des montagnes, des rivières, des lacs uniques au monde; un hiver magnifique… »

Les hyperactifs

Alors qu’on déplore la sédentarité des Québécois, d’autres considèrent au contraire qu’on manque d’occasions de bouger. Alexandre Guillaume, un informaticien de 33 ans, a justement créé Bougex pour mettre en communication ceux qui veulent jouer dehors. L’organisme tout Web (bougex.com), qui compte actuellement 80 000 membres au Québec, met en contact les gens qui veulent bouger et ceux qui organisent des sorties. « Je ne crois pas que les Québécois soient paresseux, explique cet adepte de paraski et d’escalade. Ils ont un bon rapport avec la nature. Mais ils ne savent pas toujours où aller et avec qui. »

Du côté du ski de fond, les nouvelles sont aussi plutôt positives. Sylvie Halou, directrice du Regroupement des centres de ski de fond des Laurentides, affirme que les Québécois redécouvrent cette activité très populaire dans les années 1970, mais délaissée par la suite. « L’affluence est en hausse dans tous les centres que je connais, affirme-t-elle. Tant en ce qui concerne le nombre d’usagers par année, la ventes de billets quotidiens que la celles de cartes d’abonnement de saison. » Des centres de ski de fond comme le Parc des campeurs, à Sainte-Agathe, Gai Luron à Saint-Jérome, ou le parc national d’Oka voient les ventes de cartes d’abonnement saisonnières augmenter de 15 % à 30 %. Pourquoi? « Le ski de fond coûte moins cher que le ski alpin, et permet de passer une journée tranquille, en famille. »

La raquette, qu’on peut pratiquer dans la plupart de ces centres, connaît une popularité encore plus importante. « Les gens qui aiment la randonnée pédestre, l’été, se tournent de plus en plus vers la raquette, l’hiver. Ce sont des activités très complémentaires. »

Malgré ces bonnes nouvelles, le tableau d’ensemble demeure préoccupant. Des représentants de l’industrie du plein air estiment que la génération des ados d’aujourd’hui est une génération perdue du côté de la pratique des activités de plein air. L’absence de relève inquiète certains organismes. L’idéologie du tout-à-l’automobile est l’un des obstacles à la pratique régulière d’une activité physique. On construit même des quartiers résidentiels sans trottoirs. Belle façon d’encourager la marche!

Les télécommandes qui permettent de changer les canaux de la télévision en demeurant assis, de démarrer notre voiture à distance ou d’ouvrir la porte du garage sans se salir les mains nous ont certainement ankylosés. Martin Brochu, professeur à la Faculté d'éducation physique et sportive de l'Université de Sherbrooke, a calculé que si on se déplaçait vers le téléviseur chaque fois qu’on zappe, les gros consommateurs de télévision pourraient économiser de 20 à 25 calories par jour. « C’est peu. Cela représente environ 25 grains de maïs soufflé. Eh bien, au bout d’un an, cela signifie environ un kilo de graisse. Un kilo de moins autour du bedon. Pensez-y! »

Pour Gaston Godin, directeur scientifique de Kino-Québec, les Québécois ne sont pas plus paresseux que les autres peuples. On trouve chez nous, grosso modo, les mêmes proportions qu’ailleurs d’actifs et d’inactifs. Toutefois, ce professeur de l’Université Laval déplore que le ministère de l’Éducation ait laissé les cours d’éducation physique disparaître un peu plus de l’école primaire à l’occasion de la plus récente réforme. « De plus, il me semble que l’État devrait injecter plus d’argent dans le secteur de la promotion de l’activité physique. C’est de l’argent qui rapporte énormément, compte tenu du vieillissement de la population et des dépenses du système de santé », affirme-t-il.

En attendant, les Québécois peuvent compter sur la mascotte de Kino-Québec, Vasy, une espèce de Schtroumpf anorexique chargé de nous encourager à aller jouer dehors. « Il est l’icône, le symbole, le représentant de l’idée même des saines habitudes de vie », dit le site de Kino-Québec. « On verra souvent VASY. Il sera à la télévision, bien sûr; mais on pourra aussi le voir dans les médias imprimés. On le verra également en personne dans des lieux publics, à l’occasion de diverses activités qui se tiendront un peu partout au Québec. Car VASY sera recherché. Tout le monde le voudra pour ami. Tout le monde recherchera sa présence parce qu’il est créatif, interactif, rigolo, taquin, plein de bon sens. »
Au secours.

Encore plus
Réseau Canadien de la santé : phac-aspc.gc.ca
Kino Québec : kino-quebec.qc.ca
Chaire de recherche sur l’obésité (Université Laval) : obesite.chaire.ulaval.ca. Visitez pas exemple la page sur l’obésité des enfants : obesite.chaire.ulaval.ca/enfants.html

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