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Élections provinciales : l’environnement est-il au programme?

Face à l’urgence climatique et au recul de la biodiversité, le prochain gouvernement provincial aura fort à faire en matière d’environnement. Quelles actions devra-t-il prioriser?


En avril dernier, Julie Reid Forget, entrepreneure et écologiste, écrivait dans une lettre ouverte publiée dans Le Soleil : « L’environnement doit être à l’avant-plan de la campagne électorale [des élections du 3 octobre 2022 prévues au Québec] pour que tous les partis s’interrogent sincèrement et bonifient leurs programmes. »

Madame Reid Forget est l’une des voix du Regroupement des universitaires, lequel rassemble des enseignants et des diplômés qui prennent position publiquement pour proposer des solutions en réaction à la dégradation de l’environnement. En guise de conclusion, elle invitait les lecteurs à participer à la marche pour le climat du 8 mai « pour que nos enfants puissent vivre dans un monde vivant qui continuera de les émerveiller. Pour vieillir avec de l’air pur, de l’eau propre, des forêts naturelles, des sols riches et de la vie sauvage. »

À trois ans de l’irréversibilité climatique annoncée par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), le prochain gouvernement élu aura donc la responsabilité d’intégrer la cause environnementale à l’ensemble de ses décisions, tant économiques que sociétales. Alors, quelles mesures devraient figurer dans le programme environnemental du prochain parti au pouvoir?

Un bilan peu convaincant


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« Ces quatre dernières années, le gouvernement n’a pas priorisé l’environnement; il a même reculé sur la question des changements climatiques et de la biodiversité, explique Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie à Greenpeace. Il faut non seulement que ces enjeux soient débattus, mais aussi que le prochain gouvernement s’engage à la mesure de la crise que nous vivons. »

En effet, selon l’Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre, publié par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, les émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent d’augmenter graduellement depuis trois ans : elles ont progressé de 1,6 % en 2021 par rapport au taux observé en 2018. On est très loin de l’objectif de Québec de les diminuer de 37,5 % d’ici 2030! D’autant que François Legault persiste à proposer des mesures incitatives pour l’achat de véhicules électriques, sans pénaliser les propriétaires de véhicules utilitaires sport (VUS) et de camionnettes.

Pour un virage vert

Greenpeace est l’un des 23 organismes environnementaux (avec une centaine de regroupements citoyens) qui ont signé, en 2018, la campagne Vire au vert, dont « l’objectif est de remettre les enjeux environnementaux au cœur de chaque campagne électorale, qu’elle soit provinciale, fédérale ou municipale, explique Marie-Ève Leclerc, chargée de projet à Équiterre. Nous voulons ainsi outiller les citoyens pour qu’ils s’informent du programme des candidats et leur mettent de la pression pour passer à l’action. »


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Vire au vert recense 48 propositions autour de sept axes : Climat et énergie, Transport et aménagement, Agriculture et alimentation, Biodiversité et milieux naturels, Écofiscalité et économie circulaire, Gestion intégrée de l’eau et, enfin, Gouvernance environnementale et climatique équitable. « Je travaille en mobilisation citoyenne et je vois que le public est prêt aux changements de comportements, souligne Marie-Ève Leclerc. Le gouvernement a écouté la science durant la pandémie; il doit donc en faire de même au sujet des changements climatiques. »

Selon l’écologiste, la crise environnementale doit être vue comme une crise globale : humanitaire, sociale et économique. « Ça concerne tout le quotidien des citoyens; on ne peut pas se contenter de 15 minutes de questions sur l’environnement pendant un débat électoral de deux heures », soutient-elle. Du 18 au 25 septembre auront lieu, partout dans la province, les débats Vire au vert opposant les candidats dans leur circonscription grâce au soutien de comités citoyens et d’organismes locaux. Les groupes impliqués dans cette campagne veulent aller plus loin en demandant « un débat des chefs portant exclusivement sur l’environnement, la crise climatique et les solutions proposées par les partis politiques », débat soutenu par 56 % des Québécois, selon un récent sondage Léger.  

Mieux protéger le territoire

Certes, le gouvernement caquiste a réalisé deux bons coups durant son dernier mandat : l’arrêt de l’exploitation gazière et pétrolière sur le territoire, et la désignation d’une trentaine de réserves de territoire aux fins d’aire protégée (RTFAP), faisant passer le pourcentage de protection du territoire au taux inégalé de 17 %. De plus, il s’est engagé à protéger 30 % du territoire d’ici 2030.


À lire aussi - Aires protégées au Québec : l'arbre qui cache la forêt


« Pour un parti qui n’avait pas l’environnement dans son ADN, ça a été une belle avancée, concède Alice de Swarte, directrice principale de la Société pour la nature et les parcs du Canada, section Québec (SNAP Québec). Mais nous demandons que le gouvernement décuple ses efforts avec un meilleur équilibre en protégeant un tiers des territoires situés au sud du 49e parallèle. » En effet, 99,2 % de ces espaces naturels mis sous protection sont situés dans le Grand Nord, ce qui nuit à la représentativité des écosystèmes et à l’accès à la nature.

« Le prochain gouvernement devra mieux faire le lien entre santé publique et accès à la nature », résume Alice de Swarte, invoquant la recommandation de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) selon laquelle chaque citoyen devrait avoir accès à un milieu naturel à moins de 300 m de son lieu d’habitation.

Urgence sur nos plans d’eau!

« Les aires protégées devront aussi concerner les berges des cours d’eau, insiste André Bélanger, directeur général de la Fondation Rivières, qui souligne cette année 20 ans d’activisme pour la protection des milieux aquatiques.


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L’un des enjeux les plus importants est la renaturalisation de quelque 2500 lacs bétonnés du Québec, à l’aide d’une bande riveraine de végétation naturelle qui prévient le déversement du phosphore à cause des engrais agricoles. » Qui plus est, ces bandes riveraines préviennent l’érosion et offrent un habitat à la faune.

La biodiversité du fleuve Saint-Laurent se prépare, en prime, à une bombe à retardement : si la présence de phosphore y est identifiée depuis longtemps, on a observé récemment de fortes concentrations d’azote dans les zones profondes, qui ont pour effet de diminuer le brassage des eaux, propice à la vie marine. Pour ralentir le manque d’oxygène dans les eaux profondes, sans oublier l’érosion des berges qui obstruent les frayères et la vie aquatique, le gouvernement devra s’atteler à transformer les pratiques agricoles en réduisant l’usage des engrais. « Le parti caquiste gouverne par sondages dans une approche pragmatique, dit André Bélanger. Le prochain gouvernement devra avoir le courage de prendre des décisions basées sur la science, même si elles sont impopulaires. »

Question de gouvernance


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Une réflexion en profondeur devra être lancée pour répondre à un enjeu d’efficacité environnementale. « Nous demandons que les mandats liés à la faune et aux parcs soient restitués au ministère de l’Environnement, pour faire face à l’obstruction systématique du ministère des Forêts dans le dossier des aires protégées, notamment », dit Alice de Swarte, de la SNAP Québec, qui ajoute : « Tout ça en plus d’une révision de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables qui menace la souveraineté provinciale, comme on le voit dans le dossier des caribous. Nous avons besoin d’une loi forte et efficace, et nous proposons l’instauration d’une Agence québécoise de la biodiversité pour arriver à une meilleure cohérence entre les acteurs gouvernementaux. »

Plus encore, l’un des objectifs des groupes écologistes est de faire sortir la protection du territoire du giron du ministère de l’Environnement et de l’« intégrer à toute la question de l’aménagement du territoire, de la santé et de la mise en valeur des forêts », selon Alice de Swarte, qui insiste sur l’importance de prendre en compte les besoins de tous les usagers du milieu naturel : promoteurs de la conservation, unités régionales de loisir et de sport (URLS), guides en tourisme d’aventure, pourvoyeurs, etc. « Il faudrait aussi renforcer le pouvoir décisionnel des municipalités et des municipalités régionales de comté (MRC) quand vient le temps de protéger les milieux fragiles », poursuit-elle.

Une vision en matière environnementale, et pas seulement quelques actions isolées : c’est ce qui devra s’imposer comme l’un des points forts de la campagne électorale. Et du prochain gouvernement qui aura à tenir ses promesses. 


Les mauvais coups du gouvernement actuel, selon Équiterre


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  • Pas de politique efficace de transports collectifs; faible intérêt pour la mobilité active  
  • Le troisième lien
  • Le Plan pour une économie verte : aucune intention d’augmenter la cible précédente de 2015
  • Écofiscalité : les transports, qui représentent 43 % des GES, ne sont pas concernés.

Les oublis

  • Politique d’aménagement : ni plan ni mesures concrètes
  • Stratégie de développement durable : échue en 2020, promise en 2022… À suivre?
  • Obsolescence programmée : débat ajourné en 2021

De l’art de virer au vert

Voici quelques exemples des recommandations que devrait suivre tout gouvernement au pouvoir au Québec, telles que formulées dans le cadre de la campagne Vire au vert.

  • Établir une stratégie renforcée de réduction des émissions de GES en vue d’atteindre une réduction jusqu’à 65 % d’ici 2030, incluant un renforcement du marché du carbone;
  • Éliminer les subventions aux combustibles fossiles;
  • Mesurer l’empreinte carbone du gouvernement et de ses instances et s’engager, par exemplarité, à la réduire de 65 % d’ici 2030;
  • Financer des projets d’aménagement urbain durables partout au Québec à hauteur de 100 M$ par année afin de créer des quartiers complets favorables aux déplacements actifs et collectifs;
  • Accélérer la décarbonation du secteur des transports en devançant en 2030 l’interdiction de vente des véhicules à essence et en adoptant une norme véhicules zéro émission (VZE) pour les transports lourds et mi-lourds;
  • Cesser tout dézonage agricole sur le territoire québécois;
  • Poursuivre et accélérer la réduction des pesticides et rediriger tout soutien direct et indirect favorisant leur usage vers le soutien pour l’adoption de bonnes pratiques agroenvironnementales.
  • Protéger la biodiversité par une planification territoriale visant l’atteinte progressive de 30 % de milieux terrestres et marins protégés d’ici 2030, notamment par la mise en place de corridors écologiques ;
  • Adopter un Plan sur la protection et la renaturalisation des milieux naturels qui institue une zone naturelle permanente couvrant le territoire non urbanisé;
  • Permettre aux municipalités d’exproprier au motif de la protection de l’environnement et définir un mécanisme accéléré de mise en réserve de ces territoires;
  • Revoir à la hausse la redevance payée par les préleveurs d’eau et réduire la quantité quotidienne autorisée sans frais dans les bassins versants ayant des récurrences de stress hydriques;
  • Adopter un nouveau cadre environnemental pour l’extraction des ressources minérales, en interdisant notamment de déverser des déchets miniers dans les lacs;
  • Adopter une loi obligeant le gouvernement d’octroyer au minimum 1 % de son budget global au Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques;
  • Intégrer de façon formelle dans les curriculums scolaires l’éducation relative à l’environnement, à l’écocitoyenneté et à la citoyenneté mondiale ainsi qu’une éducation sur l’histoire des Premières Nations, Inuits et Métis.

Pour consulter toutes les recommandations : vireauvert.org

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