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  • Crédit: Jean-Pierre Huard, Sépaq

Espèces menacées : Un discours confus

Le discours sur les espèces menacées de disparition est confus. Certains animaux qui figurent sur les listes des espèces menacées étaient déjà peu nombreux… au début de la colonisation! D’autres sont en voie d’expansion ailleurs. Comment s’y retrouver?

Une tuile environnementale de plus est tombée sur le bureau du premier ministre canadien en mars dernier : le Bureau du vérificateur général du Canada blâmait le gouvernement fédéral pour son inertie en matière de protection des espèces menacées. On apprenait alors que les échéances requises par la Loi sur les espèces en péril n’étaient pas respectées par les élus. 

Pour empirer la situation, ce bilan de la situation n’a été réalisé que pour 55 des 228 espèces visées. Et pour terminer en beauté, le commissaire à l’environnement, Ron Thompson, expliquait que le gouvernement fédéral n’avait pas encore d’inventaire détaillé des espèces en péril sur son territoire. À quoi sert la liste alors? Et comment protéger les « bonnes » espèces? Difficile de ne pas être confus devant une situation aussi mal ficelée.

Un statut contradictoire

Au Québec, 76 espèces ou populations animales sont considérées en difficulté, selon le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP). De ce nombre, seulement 34 espèces ont fait l’objet d’études ou d’inventaires. Et seules 14 espèces ont fait l’objet d’un plan d’action. 

Coordonnateur provincial pour les espèces menacées et vulnérables au ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), Daniel Banville précise : « Légalement parlant, il y a sept espèces ou populations désignées menacées et 11 désignées vulnérables ». Sur le terrain, ce ne sont pas toutes les espèces qui se prêtent à des inventaires : « Il n’est pas nécessaire d’avoir fait un inventaire détaillé du carcajou au Québec pour déterminer son statut d’espèce menacée, poursuit-il. Il a été désigné à partir de ses effectifs réduits, de la réduction de son aire de répartition historique et de son déclin à moyen et à long terme. »

Responsable de la commission Biodiversité pour Nature Québec, Charles-Antoine Drolet abonde dans le même sens : « Certaines espèces sont trop rares ou trop dispersées pour s’assurer de dénombrer les individus avec assez de précision ». Cet ex-biologiste du Service canadien de la faune reconnaît volontiers que l’État fait surtout des suivis pour des espèces ayant une importance économique, comme le gros gibier et les oiseaux migrateurs. « Nos gouvernements n’ont pas les moyens d’inventorier toutes les espèces! », dit-il.

Une perception ambiguë

Les causes directes de déclin varient d’une espèce à l’autre. Anciennement, on croyait les ressources inépuisables. La chasse qui était peu réglementée a eu des effets dévastateurs sur certaines espèces, comme la tourte (qui est aujourd’hui disparue) et de plusieurs espèces de baleine. Ces tueries marquent la croyance populaire. Mais au Québec, la chasse (légale) d’aujourd’hui ne menace plus aucune espèce.

La pollution a aussi un impact, mais certains animaux en sont plus affectés que d’autres. Le déclin des populations de faucon pèlerin (une espèce désignée vulnérable) a notamment été attribué à une baisse de reproduction causée par l’usage répandu du dichlorodiphényltrichloroéthane(DDT), un pesticide autrefois répandu qui est maintenant interdit.

Ces activités humaines sont néfastes pour la faune, mais plusieurs espèces qui figurent sur la liste des espèces fauniques menacées ou vulnérables du Québec étaient déjà rares au début de la colonisation ! « Si la liste des espèces désignées s’allonge trop, on n’aura pas la possibilité d’accroître indéfiniment le nombre de plans d’action », estime Charles-Antoine Drolet.

Pour sa part, Yves Marchand, professeur en techniques du milieu naturel au Cégep de Saint-Félicien, est catégorique : « L’État n’a pas les moyens de sauver une par une les espèces menacées. C’est impossible! ». Il propose un modèle plus global de sauvegarde et cite en exemple la rareté du chevalier cuivré dans la rivière Richelieu qui, depuis ses premières recensions, rend cette espèce « encore plus sensible aux perturbations de son milieu comme la pollution agricole et la circulation nautique ». Préserver tout le milieu naturel de cette espèce profitera aussi aux autres du secteur.

Charles-Antoine Drolet renchérit sur cette idée : « De nouvelles façons de faire comme l’approche écosystémique vont améliorer la situation de plusieurs espèces. Pensons aux changements climatiques qui affectent l’ensemble des écosystèmes ou à l’hypoxie des eaux profondes qui affecte plusieurs espèces de poissons de fond ». Une telle révision des modes d’action mettrait la liste des espèces menacées elle-même en péril…

Des règles pour ne pas nuire aux espèces vulnérables

Faucon pèlerin   vs   Escalade

Désigné espèce vulnérable au Québec, le faucon pèlerin niche sur des falaises et demeure sensible à la présence des grimpeurs. Plusieurs voies d’escalade sont d’ailleurs fermées durant la période de nidification. Il faut donc vérifier avant le départ. Un dépliant a été publié pour sensibiliser les grimpeurs sur le sujet par la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade (FQME), mais il s’agit d’un processus continu.

Crédit: Kris Butler, Shutterstock

Cette initiative de répertorier les sites de nidification en paroi s’ajoute aux efforts de conservation sur le terrain : « Depuis 1980, les plans de rétablissement et l’introduction de fauconneaux élevés en captivité ont porté fruit, estime Isabelle Gauthier, biologiste au MRNF. Au Québec, la population est passée de 17 à 36 couples nicheurs entre 2000 et 2005. »

fqme.qc.ca
quebecoiseaux.org

Caribou en Gaspésie   vs   Randonnée pédestre

Avec une population d’à peine 250 têtes, le caribou de la Gaspésie est désigné vulnérable. « Vers la fin des années 1980, le cheptel a diminué jusqu’à 150 caribous », se rappelle Alain Desrosiers, un biologiste du MRNF habitué aux inventaires aériens de gros gibier dans la région. « Il fallait agir à la fois sur le contrôle des prédateurs et sur l’accès des randonneurs aux sentiers ». Des mesures sont maintenant prises pour contrôler la randonnée pédestre. Pour ne pas repousser les faons en forêt où se trouvent ours et coyotes, l’accès n’est parfois pas autorisé avant 10 h ou après 16 h. Les principaux sommets du parc (mont Jacques-Cartier, mont Albert) sont fermés en octobre durant la période du rut.

Crédit: Liz Leyden, iStock

Il y a aussi des animaux en voie d’expansion!
Les manchettes sur les espèces menacées de disparition nous ont donné la fausse impression que rien ne va plus dans le royaume des animaux. Pourtant, certaines espèces sont plus abondantes que jamais, à la suite de l’intervention humaine!

Mieux adaptés à la présence humine
Depuis l'ère industrielle, les modifications rapides du paysage ont bousculé la place de plusieurs animaux. L'ouverture de routes, le passage des voies ferrées et le morcellement de la forêt par l'agriculture ont fini par éloigner loups, caribous et orignaux.

Par contre, le coyote (bien adapté aux territoires colonisés par l'homme) a pris la place du loup. Le chevreuil (ou cerf de Virginie) s'est retrouvé dans les petites forêts abandonnées par l'orignal. Il va même jusqu'à en tirer profit, en allant manger dans certains champs agricoles ou dans les vergers. Le cerf de Virginie est devenu si nombreux que le gouvernement du Québec a augmenté le nombre de jours de chasse pour réduire les dommages qu’il cause aux cultures et les accidents de la route qu’il provoque.  

Chasse et gestion faunique       
Dans le nord de la province, le cheptel de caribous est estimé à un million de bêtes. Les aménagistes de la faune estiment là aussi la chasse nécessaire pour contrer une éventuelle surpopulation qui pourrait causer la dégradation de leur habitat. Dire que cette population avait presque disparu entre 1890 et 1910! Aujourd’hui, les prédateurs peu nombreux ne suffisent plus à maintenir l'équilibre.

L’oie des neiges (mieux connue sous le nom d’oie blanche) a également atteint le cap du million d’individus. Pourtant, cette espèce regroupait à peine 3000 individus au début du siècle. Sa chasse a alors été interdite. Le nombre d'oies a tellement augmenté que dans la Réserve nationale de faune du cap Tourmente, le Service canadien de la faune a instauré une chasse contrôlée dans les années 1970. À partir de cette date, la population n’a jamais cessé de croître. Depuis 1999, une chasse printanière est aussi permise, ce qui a permis de stabiliser cette croissance.

Le chevalier cuivré
Désigné espèce menacée, le chevalier cuivré (confiné dans la rivière Richelieu, en aval de Chambly) a fait l’objet d’une reproduction artificielle. Depuis 1999, un plan de rétablissement vise à assurer la survie de l’espèce en milieu naturel, mais aussi à en éviter la disparition en gardant des spécimens en captivité. Comme le chevalier cuivré est une espèce unique au Québec, le gouvernement provincial et ses partenaires fauniques ont mis le paquet en injectant près de 2,5 millions de dollars pour sa conservation entre 2003 et 2006.

Il y a maintenant 565 espèces inscrites aux diverses catégories de risque du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) :
• 235 espèces sont en voie de disparition ;
• 
143 espèces sont menacées ;
• 152 espèces sont préoccupantes ;
• 22 espèces sont disparues du pays (c.-à-d. on ne les trouve plus à l'état sauvage au Canada) ;
• 13 espèces sont disparues ;
• 
45 espèces font partie de la catégorie données insuffisantes.

Source : COSEPAC (25 avril 2008) > cosepac.gc.ca

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