Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit: Arnon Phutthajak

Apnée sportive : la première bouffée d’air

Je remonte, la tête levée vers la lueur bleuâtre de la surface. Quelques brasses encore, mais j’expire déjà. Les bulles remontent et m’effleurent le visage. J’émerge et aspire aussitôt une grande bouffée d’air. Les champions québécois d’apnée sportive, Nathalie Hébert et Philippe Beauchamps, me fixent du regard après cette première tentative : « Tout est O.K. ! »

Je remonte, la tête levée vers la lueur bleuâtre de la surface. Quelques brasses encore, mais j’expire déjà. Les bulles remontent et m’effleurent le visage. J’émerge et aspire aussitôt une grande bouffée d’air. Les champions québécois d’apnée sportive, Nathalie Hébert et Philippe Beauchamps, me fixent du regard après cette première tentative : « Tout est O.K. ! »

La première édition des championnats du monde d’apnée sportive a eu lieu en 1996. Avant cette date, il n’y avait ni fédération ni protocole de sécurité rigoureusement défini et l’apnée sportive était pratiquée par des athlètes en quête de records – comme ceux dépeints dans le film de Luc Besson Le Grand Bleu (1988). De cette époque on a gardé les noms d’Enzo Mairoca (le premier en 1961 à atteindre 50 mètres, une profondeur alors considérée comme létale) et Jacques Mayol (100 mètres en 1976). Dans les années 90, ce sont Umberto Pelizzari, puis Francisco « Pipin » Ferreras et Audrey Mestre qui inscrivent leur nom au tableau d’honneur. Ces deux derniers formeront un couple tristement célèbre puisqu’Audrey Mestre, grande amatrice de no limit, décédera lors d’une plongée en 2002. James Cameron prépare d’ailleurs un film sur leur histoire. Depuis, les choses ont changé et les activités sont encadrées par l’Association Internationale pour le Développement de l’Apnée (AIDA). La no limit n’est pas considérée comme une discipline de compétition.

Pour ma première tentative à vie, nous sommes dans les eaux du lac Kahnawake. Avant de nous lancer à l’eau, mes deux instructeurs testent ma capacité pour retenir ma respiration. À l’instar des acteurs et des chanteurs, il faut d’abord gonfler son abdomen avant de remplir la cage thoracique. Mon temps : deux minutes. Philippe se lance dans une démonstration, après quelques instants, ses côtes se contractent violemment. C’est son diaphragme qui cherche à regonfler ses poumons. Le champion québécois contrôlera plusieurs contractions de ce genre avant de reprendre son souffle. Maîtriser son diaphragme est l’une des techniques de base de l’apnéiste : il faut accepter la sensation de manque d’air. Cela nécessite une très bonne connaissance de soi… et beaucoup de pratique.

Leur truc
Pour se concentrer, certains apnéistes se focalisent sur une couleur ou une partie de leur corps. Nathalie écoute (et se remémore pendant la descente) la reprise hawaïenne de Over the rainbow par Israel Kamakawiwoʻole. Le rythme de cette chanson l’apaise et lui permet d’évacuer toute pensée parasite. Philippe écoute les Gymnopédies d’Erik Satie pour se préparer, mais fait le vide total en descente. 

Je passe une combinaison isothermique et les regarde se parer. Ils enfilent un collier de plombs qui compense la flottaison de leur combinaison. Celle de Nathalie est lisse et sans fermeture éclair pour limiter les pertes de chaleur. À partir de sept mètres, la température de l’eau chute brutalement à 12°C. Les palmes sont immenses et le volume du masque minuscule : avec la pression qui augmente durant la descente, il faudra y souffler de l’air avec le nez.

Crédit: Fred Buyle (nektos.net)Le vent est tombé et la surface du lac est lisse. Nous arrivons à une bouée d’où plonge une corde de 30 mètres. Philippe se prépare. Il inspire à grands poumons puis effectue une manœuvre étrange appelée « la technique de la carpe » : il remplit sa bouche d’un peu d’air en gonflant ses joues puis « l’avale ». Il peut ainsi augmenter son volume pulmonaire de 10 à 15 %. Il se courbe et plonge la tête la première. En quelques secondes, il disparaît en ondulant à grands coups de palme dans la brume du fond, là où convergent les rayons du soleil. J’ai la tête dans l’eau. De longues minutes passent et j’ai le temps de reprendre deux fois ma respiration avant de voir sa main réapparaître. Il longe la corde sans la toucher. L’un des apnéistes qui nous entourent plonge à sa rencontre pour l’accompagner dans sa remontée. Une procédure de sécurité obligée.

Mon tour vient. Après quelques rappels de base sur la manœuvre de Valsalva (qui permet de compenser la pression en soufflant de l’air par le nez tout en pinçant ce dernier), je me lance. Mon cœur résonne violemment dans ma cage thoracique. Soudain, je sens que ma flottaison s’inverse : je coule. Je viens d’atteindre ma sink phase. À partir de ce point, il ne reste plus qu’à relaxer et se laisser glisser lentement vers le fond. Grisant paraît-il, mais je suis tellement surpris par cette sensation nouvelle que je fais demi-tour et remonte à la surface.

L’apnée sportive n’est pas plus dangereuse que n’importe quel sport comme l’escalade ou le parachutisme. À condition de respecter les protocoles de sécurité. « Il ne viendrait à l’idée de personne de se jeter dans le vide ou de partir à l’assaut d’une montagne sans un minimum de préparation! », dit Philippe Beauchamps.

Sans précautions, une syncope anoxique peut survenir brutalement et le plongeur s’évanouit sous l’eau. S’il est remonté à l’air libre, il suffira de quelques petites claques et de lui souffler sur les yeux pour qu’il reprenne connaissance. Mais sans secours, c’est la noyade. Il ne faut donc jamais tenter le tout seul, même dans sa baignoire, sans être encadré ni avoir reçu une formation. Pour ceux qui descendent à plusieurs centaines de mètres de profondeur, d’autres risques s’ajoutent : l’organisme est soumis à des pressions colossales. Il faut un long entraînement pour s’y adapter.

Crédit: Fred Buyle (nektos.net)Étape suivante : la monopalme. Presque tous les apnéistes professionnels l’utilisent. Elle s’apparente à une grosse queue de sirène. La nage devient fluide et esthétique et les nageurs vont beaucoup plus vite, à tel point qu’ils jaillissent hors de l’eau jusqu’aux genoux à la remontée. La puissance développée par ces palmes est impressionnante, mais la nage s’avère difficile et contraignante. En quelques minutes, des crampes m’enserrent les mollets. La monopalme nécessite un réel effort et une technique particulière : selon les pros, il faut adopter un mouvement du bassin similaire à celui d’un homme en plein ébats amoureux…

Nous sortons de l’eau et restons sur la rive à discuter. Je cherche à comprendre ce qui les pousse à aller toujours plus loin, à endurer les contractions du diaphragme. Nathalie me confie rechercher sans cesse cette sensation de la première gorgée d’air. Quant à Philippe, il avoue trouver son plaisir en sentant la progression de la descente, qui lui donne l’impression de voler et durant laquelle il fait le vide : « Quand j’entends le décompte en compétition, tout se ferme. C’est une expérience très pure. Je perds le son et la lumière. Pendant une minute ou deux, il n’existe plus rien. » Chaque apnéiste développe une relation intime (quasi mystique) avec sa pratique de l’apnée. Le sport permet d’approfondir sa connaissance de soi et de développer un parfait contrôle de ses capacités physiques. Un vrai voyage intérieur. Mais pour comprendre, il faut l’essayer.

J’ai donc retenté l’expérience autour de l’île Bonaventure, au large de Percé. Au pied d’une immense falaise, depuis le zodiac du Club Nautique de Percé, l’émerveillement est immédiat. À un mètre à peine sous la surface, je croise déjà de minuscules et magnifiques créatures marines : des cténophores (du plancton). De vrais extraterrestres marins multicolores. Je remonte prendre mon souffle et m’assurer que mon accompagnateur est toujours là. Je replonge et réalise à quel point la ceinture de plombs est indispensable pour compenser la flottaison de la combinaison. Arrivé au fond, je m’accroche à un rocher, me concentre et observe. Des formes noires et massives tournoient au loin : des phoques gris, qui sont nombreux autour de l’île. Curieux, ils s’approchent et m’entourent. Je dois remonter reprendre de l’air et redescends aussitôt. Cette fois, l’un d’entre eux se prend de passion pour mes palmes : il y frotte son visage moustachu et les mordille! Il fait soudainement demi-tour et plonge dans les herbiers de laminaires, ces longues algues brunes qui ondulent au gré du ressac. Il m’observe par en dessous tout en jouant dans les algues avec l’énergie d’un jeune chien. Sa fourrure mouchetée ondule à chacun de ses mouvements.

D’autres, plus imposants, me suivent à une distance respectable. Il y en a au moins sept qui disparaissent dans la brume aquatique. Je croise une méduse que j’évite avec soin et je découvre dans les herbiers un phoque, les yeux fermés, ses nageoires repliées sur son ventre. En m’approchant, il se réveille et s’éloigne mollement. Ces animaux sont capables de rester en apnée plus d’une dizaine de minutes et en profitent pour faire des siestes sous-marines. Chaque fois que j’expire en remontant, le bruit des bulles les fait fuir. Ils me jettent un dernier regard. L’eau commence à se faire froide et je dois laisser mes compagnons aquatiques pour rejoindre le bateau. Ce qui est certain, c’est que je suis désormais accro à l’apnée!

 

Les différentes disciplines

En piscine et compétition :
Statique : le record du monde est de 11 min 35 s! 
Dynamique : la performance est mesurée en distance.

Profondeur en compétition :
• Poids constant avec palmes (descente sans autre aide que celle de palmes)
• Poids constant sans palme (descente en brasse)
• Immersion libre (descente sans palmes mais en s’aidant d’une corde à la descente comme à la remontée)

Hors compétition : le plongeur est entrainé vers le fond par une gueuse.
• No limit (remontée avec un parachute gonflé depuis le fond)
• Poids variable palmes (remontée à la simple force des palmes)

Encore plus
• Association Internationale pour le Développement de l’Apnée : aidacanada.org
• Club d’Apnée Sportive de Montréal : casm.info


Comment s’entraînent les pros 
Tous les exercices qui permettent d’améliorer la tolérance de l’organisme à un taux de CO2 sont intéressants. Pour les pros : spinning en apnée, piscine et entraînement en lac dans des conditions de compétition. Tous les exercices sont réalisés sous la supervision d’une personne compétente. Nathalie Hébert et Philippe Beauchamps pratiquent également le yoga régulièrement. Avant une compétition, ils s’entraînent quatre à cinq fois par semaine. Hors de la période de compétition, leur fréquence d’entraînement est de trois fois par semaine.

 

Nathalie HébertCrédit: Laura Strom
33 ans | Employée chez Air Transat et instructeur de plongée bouteilles

Performances en compétition

• Poids constant avec palmes : 20 mètres
• Poids constant sans palmes : 20 mètres – record québécois
• Immersion libre : 29 mètres

Performance en apnée statique
4 min15 s

Discipline préférée
Immersion libre

Son endroit préféré pour plonger
La côte de Kalamata, en Grèce

Philippe Beauchamps
35 ans | Professeur d’histoire au Cégep Champlain a Saint-Lambert

Performances en compétition
• Poids constant avec palmes : 53 mètres
• Poids constant sans palmes : 46 mètres – record québécois
• Immersion libre : 60 mètres – record québécois

Performance en apnée statique
5 min18 s

Discipline préférée
Le sans palmes : « Plus technique, plus pur. »

Son endroit préféré pour plonger
Les récifs des îles d’Utila, au Honduras

Crédit: Laura Strom

Les meilleurs endroits pour plonger au Québec
Pour la découverte du milieu marin et le plaisir d’une initiation : autour de l’île Bonaventure, à Percé.
Pour l’entraînement : le lac de carrière Kahnawake (à 30 minutes de Montréal) et celui de la carrière Flintkote dans la région de Thetford Mines.

5 conseils de pro
1. Ne pas s’improviser apnéiste : ne jamais plonger sans avoir reçu une formation et ne pas se surestimer.
2. Ne jamais plonger seul. Toujours avec une personne compétente et formée.
3. Ne jamais plonger si l’on est stressé, fatigué ou irrité. L’apnée nécessite calme et maîtrise de soi. L’adrénaline ne fait pas bon ménage avec ce sport.
4. Oublier la performance et se concentrer sur ses sensations.
5. Découvrir, se laisser aller. L’apnée procure un sentiment de liberté peu commun qui constitue la quête de chaque apnéiste.

Commentaires (0)
Participer à la discussion!