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  • Crédit: Mathieu Dupuis, Sépaq

Les parcs nationaux ont 30 ans - Un réseau encore fragile

Le réseau des parcs nationaux du Québec souffle ses 30 bougies. S’il attire massivement les visiteurs, des promoteurs flairent la bonne affaire et convoitent aussi ces terres. Entre exploitation et protection, l’État est tiraillé devant les choix à faire pour l’avenir des parcs. Depuis l’adoption de la Loi sur les parcs en 1977, les parcs nationaux du Québec ont connu des hauts et des bas. Coresponsable de la commission Aires protégées de Nature Québec, Mélanie Desrochers résume : « Le réseau est né dans l’espoir (années 70); à l’adolescence, on a vu la multiplication des parcs (années 80); jeune adulte, le réseau n’avait pas d’argent et était en quête d’identité (années 90); au début de la trentaine, le réseau s’affirme et on espère que d’autres parcs naîtront bientôt. » Jean-Marc Girard, ancien directeur de parc (Oka et Mont-Orford), se rappelle que, de 1972 aux années 1980, les parcs se sont « superbement » développés. « On avait de l’argent, ça roulait avec de gros budgets d’opération. Dans les années 1990, les parcs étaient gérés par l’État et subissaient des compressions au même titre que les autres ministères. On a alors coupé sur ce qui ne paraît pas, comme l’entretien préventif ». En 1996, un comité d’experts externes a remis un rapport sur la situation des parcs nationaux en faisant état de leur faible notoriété, d’une absence de vision commune pour leur gestion et d’un besoin d’investissements publics. La Sépaq amène le renouveau   En 1999, le gouvernement confie la gestion des parcs à la Sépaq. Raymond Desjardins, vice-président exploitation à Parcs Québec (Sépaq) depuis le début, rappelle les quatre décisions prises à ce moment : créer une unité de gestion intégrée, gérer tous les parcs comme des parcs de conservation (et pas seulement de récréation), établir un mode de fonctionnement en réseau qui implique des standards de qualité et augmenter le financement public. « C’était le début du renouveau dans les parcs, affirme Jean Hubert, qui a œuvré comme directeur de parc et au sein de différents ministères.Il y a eu une injection de capitaux pour retaper ce qui avait été dégradé (les installations d’accueil entre autres). » Raymond Desjardins se souvient que la Sépaq a alors embauché des gens pour la conservation et l’éducation, a amélioré la surveillance, a instauré des activités éducatives, a pris un virage vert et a mis en place un programme de formation des employés. Tous s’entendent pour dire que la Sépaq a donné une vitrine exceptionnelle aux parcs québécois et a permis aux Québécois de mieux les connaître et de s’y attacher. Selon Jean Hubert, qui est aujourd’hui consultant et bénévole chez Nature Québec,le fait que les parcs représentent tous les milieux naturels du Québec crée une appartenance sociale : « On s’attache à certains coins de pays, dit-il. On s’approprie notre territoire ». La fréquentation des parcs nationaux a d’ailleurs augmenté au cours des dernières années. En 2007, on y a accueilli 3,6 millions de visiteurs, une hausse de près de 30 % depuis 2001. Dualité exploitation/protection La popularité des parcs met de l’avant l’exploitation des activités récréatives. Pour Laurent Bourdeau, directeur du Département de management à l’Université Laval « les parcs sont des produits que l’on doit commercialiser », et il félicite la Sépaq pour son marketing. En 2006-2007, la Sépaq a dépensé près de six millions de dollars en seuls frais de marketing. Jean-Marc Girard est d’accord avec cette exploitation, mais selon lui, les parcs sont aussi créés pour les générations futures et bénéficieraient d’être mieux protégés : « Tous les parcs doivent connaître leurs milieux biophysiques et leurs potentiels d’utilisation récréative, dit-il. Ensuite, on aménage selon ce que le milieu peut supporter ». Il illustre un mauvais exemple au parc d’Oka : « C’est un peu con d’avoir aménagé 1250 sites de camping dans un mille carré! Quand on aménage à l’intérieur d’un parc, on ne peut pas copier l’entreprise privée. Par exemple, pour le ski alpin, y a‑t‑il moyen d’aménager sans tout déciboirer? Comme à Orford, où il y a des stationnements à perte de vue… » Charles Langlois, qui a été responsable de la conservation au parc du Mont-Tremblant en 2005 et 2006, abonde dans le même sens. « Au Mont-Tremblant, on ne connaît même pas le cheptel d’orignaux, de loups, etc. », affirme-t-il. Il estime nécessaire d’investir pour connaître le portrait exact de ce qu’il y a à conserver dans les parcs. Mais il croit également que la Sépaq ne devrait pas être la seule à porter le fardeau de la conservation : le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) devrait aussi s’impliquer.

Les leçons d’OrfordCrédit: Steve Deschênes, Sépaq

La protection des parcs est loin d’être acquise. De récents événements l’ont prouvé. En 2006, le gouvernement a adopté la Loi 23 permettant la vente de 459 hectares du parc du Mont-Orford à un promoteur privé. Devant la pression populaire, il recule en 2007, empêchant la vente de ces terres qui demeurent publiques, mais exclues du parc.

Cette crise a démontré la volonté populaire de protéger les parcs et levé le voile sur la fragilité du réseau. Jean-Marc Girard considère que le danger a toujours été présent pour le Mont-Orford : « C’est la même chose qu’en 1979 », témoigne-t-il (NDRL : il en était alors le directeur). Il estime que le débat reviendra « tant que le gouvernement n’interviendra pas pour intégrer le ski alpin au parc et le différencier de Bromont, Sutton, etc. »

D’autres parcs sont aussi à risque en raison d’un territoire sous bail : les Îles-de-Boucherville, le Mont-Tremblant, le Mont-Saint-Bruno et le Bic. Outre l’immobilier, d’autres conflits d’usage menacent aussi certains parcs. Celui des Monts-Valin doit entre autres composer depuis sa création avec un sentier local de motoneige qui permet d’accéder à l’un des plus hauts sommets du parc.

Quand on se compare, on se désole

Membre de la commission Aires protégées de l’Union mondiale pour la nature, Harvey Locke considère que le réseau québécois est « minuscule comparé à la superficie du Québec ». La stratégie du gouvernement québécois était de protéger 8 % de son territoire en 2005. On espère maintenant l’atteindre d’ici la fin 2008. Le Québec compte actuellement 4,8 % d’aires protégées, contre 8,5 % au Canada et une moyenne mondiale de 13 %.

Selon Harvey Locke, la province manque de volonté pour instaurer des aires protégées : « En Gaspésie, le parc a le potentiel pour prendre sa place à la table des grands parcs du monde, mais est bien trop petit pour protéger ses caribous ». Il estime que le Québec ne réalise pas encore son énorme potentiel. « Le réseau du Costa Rica est du même âge que celui du Québec, mais il est beaucoup plus grand », compare-t-il.

Des parcs pour tous?Crédit: Jean-Sébastien Perro

Aires protégées ou pas, l’amateur de plein air recherche des endroits encore sauvages. Si les plus férus d’aventures jugent que les parcs québécois sont trop aménagés, les acteurs du milieu défendent le principe d’accessibilité. « L’aménagement, c’est la garantie de conservation, estime Jean Hubert. Pour éviter la dégradation, il faut canaliser les gens, sinon ils vont partout. »

Le président-directeur général de la Fédération québécoise de la marche,Daniel Pouplot, soutient aussi cette orientation. Pour lui, les parcs sont la porte d’entrée au plein air : « On peut ensuite amener les gens dans différents réseaux, comme la Vallée du Bras-du-Nord, le Sentier international des Appalaches, le Sentier national, etc., où l’on retrouve d’autres défis. »

En 1995, la Loi sur les parcs a été modifiée pour y introduire la notion de tarification pour l’accès aux parcs (comme cela se faisait déjà ailleurs en Amérique). Cette tarification (3,50 $) a été mise en place par la Sépaq il y a six ans. Malgré les réactions négatives, la fréquentation des parcs a augmenté. Les coûts d’accès n’ont donc pas empêché les gens de fréquenter les parcs : « En payant, le visiteur contribue au développement des activités, estime Laurent Bourdeau. Les gens sont prêts à payer pour aller sur un lac où il n’y a pas de bateaux à moteur. »

Les frais d’entrée permettent à la Sépaq de maintenir les investissements dans les parcs, car le financement gouvernemental ne cesse de diminuer au cours des dernières années. En effet, de 2003 à 2004, les investissements sont passés de 31 à 14 millions de dollars et n’étaient plus que de 13 millions de dollars en 2006. Et chaque parc doit compter avec les sommes qui lui sont allouées. « Il devrait y avoir un fonds d’investissement global pour l’ensemble des parcs, suggère plutôt Jean Hubert. Pour que le réseau soit attractif, il faut investir. Dans certains parcs, des équipements sont encore désuets. C’est inconcevable qu’il n’y ait qu’une chiotte extérieure lorsqu’on arrive en ski de fond au lac-à-l’écorce dans le parc du Mont-Saint-Bruno! »

Et l’avenir?

Plusieurs projets de parcs nationaux sont toujours dans l’air, pour la plupart dans le Nord québécois. Seulement deux se situent au sud du 50e parallèle. Les audiences publiques pour la création de celui autour du lac Témiscouata sont prévues ce printemps. « Le réseau est bien solide, mais des dangers le guettent », estime Jean Hubert. Pour assurer une pérennité, il propose que les limites des parcs soient enchâssées dans la loi et qu’elles soient soumises à une consultation publique. Il suggère aussi de développer une connaissance approfondie des écosystèmes d’un parc et d’élaborer des plans directeurs d’aménagement révisés périodiquement avec la participation du public.

Michel Bélanger, président de Nature Québec, croit aussi que la situation demeure fragile en raison des utilisations nuisibles près des parcs. Il pointe du doigt les coupes forestières près du parc de la Jacques-Cartier, les droits de forage à Miguasha, les mines dans le Nord, l’immobilier à Orford et Tremblant, la motoneige, les VTT et les motomarines.

Daniel Pouplot note que si les gouvernements se disent d’accord pour le développement d’aires protégées, ils doivent maintenant poser des gestes concrets pour préserver ces acquis naturels. Ce qui demande du courage et une vision à long terme. « S’il y a de l’opposition pour la création du parc Témiscouata, sera-t-on prêt à perdre des votes pour une question de principe? », questionne-t-il.

Seul l’avenir permettra de savoir si les parcs du Québec pourront résister à l’ère de privatisation qui plane sur le réseau. Sera-t-on en mesure de protéger ces territoires, tout en conservant leur attrait pour les visiteurs? Chose certaine, le récent dossier du Mont-Orford a prouvé que les Québécois y tiennent toujours.

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