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  • Crédit: Kellie Stewart

L’hiver sur deux roues

15 novembre. Au Québec, on ferme les pistes cyclables pour l’hiver. À Copenhague, on s’apprête à les déneiger pour qu’elles soient opérationnelles à l’heure de pointe. Deux pays, un climat similaire, et deux façons d’envisager l’hiver en ville!

Il y a 25 ans, lorsque je roulais en vélo l’hiver, le commentaire le plus fréquent que j’entendais était : « As-tu des pneus d’hiver? » suivi de petits ricanements. Je souriais et j’expliquais aux gens que faire du vélo l’hiver est plus facile qu’on ne le croit. En effet, les rues montréalaises ne sont pas couvertes de neige pendant six mois comme on le prétend et, bien habillée sur mon vélo, j’ai plus chaud que les gens qui attendent l’autobus. Au fils des ans, j’ai cessé de faire du vélo l’hiver pour me convertir à la marche, mais ma pratique du vélo s’étend facilement sur neuf mois dans l’année.

À quel signe reconnaissons-nous l’arrivée de l’hiver? L’hiver arrive en ville quand les bancs publics et les poubelles de trottoirs vont hiberner dans des entrepôts municipaux, où ils sont rapidement rejoints… par les poteaux des pistes cyclables et les supports à vélo, qui étaient auparavant boulonnés sur les trottoirs. Et ce, bien avant l’arrivée de la première neige. Ce retrait du mobilier urbain diminue beaucoup la convivialité de la ville pour les piétons et les cyclistes.  Pour la plupart des municipalités québécoises, on ne fait pas de vélo l’hiver. On ferme donc les pistes aux cyclistes et on enlève les supports à vélo.

L’opération « Hibernation du mobilier urbain » n’a qu’un seul objectif : faciliter le déneigement. Car contrairement à la croyance populaire, ce n’est pas parce que les cyclistes ne font plus de vélo à cause du froid ou de la neige que l’on ferme les pistes; c’est plutôt pour permettre de déneiger les rues et les trottoirs. Loin de moi l’idée qu’on ne fasse pas le travail de déneigement correctement. Mais est-ce nécessaire de déshabiller systématiquement les trottoirs l’hiver venu? On s’interroge peu sur les effets bénéfiques que pourraient avoir l’ouverture des pistes cyclables à l’année malgré le temps froid. Nous vivons dans un pays dit « tempéré », nous faisons du ski et du patin, alors pourquoi décourager les cyclistes et les marcheurs pendant la saison froide? Probablement à cause de vieilles habitudes qui nous dictent que l’hiver en ville, ça se vit entre quatre murs, et aussi parce que la logistique du déneigement prime sur notre mode de vie.

Répondre à un besoin

Il y a 3,6 millions de cyclistes au Québec. De ce nombre, 270 000 personnes affirment faire du vélo au moins à une occasion entre les mois de décembre et mars, alors que 70 000 personnes bravent l’hiver et font du vélo 12 mois par année. Selon nous, si des voies cyclables utilitaires (par opposition aux voies cyclables récréatives) étaient ouvertes à l’année, ce dernier chiffre bondirait. Car circuler en plein hiver en partageant la route avec des automobilistes qui ne s’attendent pas à voir des cyclistes constitue un frein à la pratique hivernale du vélo, sans compter l’absence de stationnements adéquats pour vélo.

Des solutions simples

En 2005, la Ville de Montréal approuvait le Plan d’accès et de mobilité des cyclistes au centre-ville, une proposition de Vélo Québec qui se voulait un plan concret visant à développer un réseau cyclable dans cette partie de la ville. Dans cette proposition, Vélo Québec présentait une solution à l’augmentation importante de la pratique du vélo à des fins utilitaires : la bande cyclable* et l’ouverture des voies réservées aux autobus et aux cyclistes (voies élargies), des solutions peu coûteuses permettant d’avoir un réseau cyclable ouvert à l’année.

L’exemple le plus récent de ce type d’aménagement est la bande cyclable sur la rue Saint-Urbain que la Ville de Montréal a inauguré cet automne (2,1 km entre les rues Laurier et Milton). Praticable en tout temps pour les cyclistes qui se rendent au centre-ville, la bande cyclable, peinte au sol, sera déneigée en même temps que la rue cet hiver. Cette initiative de la Ville est à mon avis un pas dans la bonne direction, tout comme l’allongement d’un mois de la période d’ouverture des pistes, désormais en vigueur du 15 mars au 15 novembre.

Envisager l’hiver autrement

À l’image des pays scandinaves, comme le Danemark et la Suède, les villes québécoises pourraient offrir aux cyclistes des axes cyclables utilitaires ouverts à l’année ainsi que des stationnements pour vélos. La diminution du va-et-vient de démontage et de remontage du mobilier urbain pourrait même représenter des économies pour les villes.

Si les pays d’Europe du Nord, à qui nous n’avons rien à envier côté météo, ont intégré le vélo comme un mode de transport toute l’année, la question se pose : pourquoi pas au Québec? Saviez-vous qu’à Copenhague les pistes cyclables au centre-ville doivent être déneigées avant 7 h le matin afin qu’elles soient opérationnelles pour l’heure de pointe? Il est sûr qu’avec l’engouement que connaît le vélo ici, offrir aux cyclistes urbains la possibilité de se déplacer de façon confortable toute l’année ainsi que des stationnements de vélo encouragerait la pratique hivernale et arrêterait la marginalisation des cyclistes qui roulent l’hiver.

Au Québec, les autorités municipales pourraient facilement décider de déneiger certains axes cyclables utilitaires (en opposition à des pistes cyclables récréatives comme le Canal de Lachine à Montréal, moins sollicitées en hiver). Un arrondissement de la Ville de Montréal le fait déjà avec la piste cyclable sur la rue Rachel (une piste traditionnelle à double sens qui existe depuis le début des années 90). Mais cette piste déneigée en hiver est une exception.

En fait, il existe des solutions à la pratique hivernale du vélo sur les pistes cyclables : il faut assouplir les règles de déneigement – dans le but de laisser en place les stationnements à vélo et les poteaux qui séparent des pistes cyclables traditionnelles et utilitaires (les pistes à double sens, séparées de la circulation automobile) – et développer un nouveau réseau de bandes cyclables qui ont fait leurs preuves ailleurs.

 

Œuvrant dans le monde du vélo depuis plus de 25 ans, Suzanne Lareau est présidente-directrice générale de Vélo Québec. Cet organisme a pour mission d’améliorer la santé, l’environnement et le bien-être des citoyens par la création, la production et la promotion d’activités, des biens et de services dans les domaines du vélo et du transport durable ainsi que du plein air, du tourisme, du sport et du loisir. Suzanne Lareau est diplômée en enseignement de l’activité physique de l’Université du Québec à Montréal

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