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Traversée de Charlevoix : en ski nordique ou en rando alpine?

Si on peut compléter toute l’année la célèbre Traversée de Charlevoix, cette longue randonnée se prête bien à la glisse de refuge en refuge, l’hiver venu. Mais quel type de ski devrait-on privilégier pour en tirer le maximum?


Voilà trois fois en 30 minutes que je me retrouve la tête sous les sapins. Mon sac à dos m’empêche de me retourner. J’imagine mes compagnons qui s’inquiètent de mon retard. Moi-même, je me demande si je me rendrai à la ligne d’arrivée, étant donné mon choix d’équipement hasardeux.

Car j’ai pris le pari de faire la longue traversée de Charlevoix avec des skis de randonnée alpine, alors que mes compagnons ont plutôt opté pour des skis nordiques. La dame à la réception, au point de départ, n’a pas voulu prédire qui aurait le plus de plaisir. Elle s’est contentée d’affirmer : « Je vois de tout pour faire la traversée. »


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Notre itinéraire de 105 kilomètres doit nous mener de la zec des Martres jusqu’au mont Grand-Fonds, en passant par les gorges de la rivière Malbaie. Pour le défi, nous effectuons une traversée en 6 jours/5 nuits, plutôt que les 7 jours/6 nuits recommandés. Aussi, nous réalisons cette expédition en totale  autonomie, en traînant notre nourriture et notre matériel pour dormir. Les refuges sont toutefois équipés en vaisselle, poêle à combustion lente et lampes au propane : le gros luxe, quoi! D’ailleurs, j’ai remplacé le matériel dont nous n’avons pas besoin par des extras en nourriture et en articles de confort – erreur!

Après m’être extirpé de sous les sapins, j’évalue ce qui, entre les extras de bagages, l’équipement ou le type de neige, explique mes chutes à répétition. Nous redistribuons certains extras : ça, ce sont de vrais coéquipiers! Le centre de gravité de mon sac abaissé, mon équilibre s’améliore et je peux profiter du paysage. D’énormes faces rocheuses du cratère météoritique de Charlevoix semblent nous observer, alors que nous suivons, aujourd’hui et demain, des sillons surcreusés à l’époque glaciaire.

Il est déjà tard et la neige mouillée crée des talons de glace sous mes bottes, me forçant à arrêter souvent. Nous arrivons au refuge de la Marmotte à la frontale, bien après le coucher du soleil. C’est dans une atmosphère de crépitements du poêle et dans l’odeur alléchante d’une fondue chinoise – ces extras qui m’en ont fait baver cet après-midi et me font saliver maintenant – que nous discutons de la journée. Je jauge le défi à venir au nombre d’ampoules sur mes pieds en ce premier soir.

La Noyée

Au réveil, je laisse au refuge support, brûleur et gaz à fondue : ceux qui passeront ensuite riront de mon hubris et profiteront de la fondue! Mon objectif en ce deuxième jour : respecter le rythme de mon équipement.

Nous gravissons bientôt une belle forêt boréale, au départ des bouleaux clairsemés, remplacés ensuite par des pins gris aux aiguilles courtes et à l’aspect délabré. La montée est soutenue et sans vallons. C’est parfait pour mon équipement. De plus, la neige est sèche, ce qui évite les tracas de la veille.


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Toute l’équipée est fatiguée par la journée précédente et nous empruntons un sentier alternatif pour éviter de gravir La Noyée, un parcours plus corsé. À l’embranchement, qui termine la boucle de ce parcours, je constate cependant qu’il s’agit d’un chemin forestier couvert de poudreuse. Je laisse mon sac à la croisée des chemins et effectue l’ascension tandis que mes compagnons continuent au refuge. Au sommet, les sapins ressemblent à des fantômes. Je flotte sur la poudreuse en redescendant : voilà toute la pertinence de mon équipement de randonnée alpine. Ces quatre minutes de descente me coûtent une heure de montée, mais je suis heureux en retrouvant mon sac au carrefour.

En arrivant au refuge de la Chouette, je me dévoue à la cause de l’eau, à coups de hache dans la glace du lac. Pour sécher nos vêtements, nous surchauffons le refuge, et le sauna suffocant raccourcit notre nuit.

Les hautes gorges de la rivière Malbaie

La troisième journée s’amorce avec une averse de neige féérique. Seul hic : elle est collante. Pas de bon augure pour 21 kilomètres! J’hésite entre un raccourci et le long chemin tout en montées, au bout duquel se trouve une descente sur quatre kilomètres. L’attrait de la descente dans la poudreuse l’emporte. Mais je regrette bientôt mon choix. C’est la répétition du jour 1. La neige colle autant sur que sous mes larges skis. Au sommet des descentes, les peaux me clouent sur place, et soudainement, elles se libèrent comme un élastique : je pars d’un coup sec, catapulté dans le décor.

Heureusement, au kilomètre 15, le chemin s’élargit. Je jubile à l’idée de descendre quatre kilomètres dans un corridor de poudreuse. Tandis que je me prépare et retire mes peaux, le front froid annoncé pour les trois prochains jours se fait sentir. Un vent intense se lève et la texture de la neige passe de la colle au styromousse rapidement. Si mes compagnons font du chasse-neige pour ralentir, moi je saute carrément dans les fossés poudreux pour freiner.

Après la descente, nous suivons les traces d’une motoneige, même si les balises disent le contraire. Nous voilà bientôt perdus. Le vent en rafales rend l’atmosphère d’autant plus inquiétante. Retourner sur nos traces impliquerait plusieurs kilomètres supplémentaires. À l’aide des cartes topographiques et des pitons environnants, nous nous repérons à la limite du parc des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie. Du haut d’un promontoire, nous avons une vue saisissante du soleil qui se couche, illuminant des falaises multicolores de l’autre côté de la rivière.

La lune éclaire nos derniers kilomètres aux abords de la réserve écologique des Grands-Ormes. Nous arrivons, épuisés, au refuge du Geai Bleu. Quel bonheur de démarrer le foyer, d’allumer les lampes, d’étendre le linge et de faire fondre la neige! Autant de rituels nous imbriquant dans une tradition de randonneurs.

La journée la moins exigeante

La cinquième journée s’amorce avec le chatoiement du soleil qui est d’une blancheur éclatante sur la rivière Malbaie. Nous longeons tout d’abord la rivière, puis nous montons le long du ruisseau Chouinard, en forçant toujours de la même jambe à flanc de montagne. Après le lunch, écourté par la froidure, nous abordons une section interminable de conifères, où je me désennuie en calculant ma vitesse entre les bornes, aux 500 mètres. Nous dormons au Coyote, dont l’isolation est déficiente, vu la température qui chute durant la nuit.

Le chalet le Coyote © Page Facebook de la Traversée de Charlevoix

Le lendemain, nous nous réveillons tôt pour cette avant-dernière journée : 20 kilomètres au programme, dont une descente d’au moins quatre kilomètres. Avant de partir, nous apercevons un lièvre blanc; peu après le départ, des traces d’orignal; puis, la scène d’un drame matinal : un trou près duquel gisent en pagaille les plumes d’une grosse perdrix, passée sous les pattes d’un renard. Tant de présages pour le reste de la journée!

En avant-midi, nous avançons bien malgré les -20 degrés. La longue descente tant attendue survient après le lunch. Lorsque je suis prêt, la fixation du ski droit ne fait pas le déclic habituel : elle est cassée! Je descends un pied en mode alpin et l’autre en mode marche. Le présage du matin, c’était celui du crime : quel gâchis, ces kilomètres de poudreuse restée vierge! Au refuge de l’Épervier, nous étirons cette dernière soirée au bord du feu, déjà nostalgiques parce que l’expédition se termine le lendemain.

L’arrivée

La dernière journée, la neige s’est transformée en meringue friable. Après la montée au kilomètre 7, je pense déjà à la poutine de sortie des sentiers. Au kilomètre 6, ça se corse toutefois : la descente est abrupte, en lacets serrés. À partir du kilomètre 4, je vais au ralenti sur les vallons de ski de fond de la station du mont Grand-Fonds. Je finis seul, après mes compagnons. Je les rejoins, heureux d’avoir réussi la traversée en autonomie… ce que je referai assurément, mais avec des skis nordiques!


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Skis de rando alpine ou skis nordiques?

Les skis de randonnée alpine (ou skis touring) sont dotés d’une fixation à talon mobile, ce qui permet de grimper grâce à des peaux d’ascension et à des bottes dotées d’un mode « marche ». Quant aux skis nordiques, ce sont des skis de fond munis de carres métalliques, et qui sont plus larges que ceux utilisés sur les pistes de station damées.

Avec mes skis de rando alpine, je m’attendais à suivre mes compagnons dans les montées et à les dépasser dans les descentes longues et/ou abruptes. Ce fut le cas. Toutefois, je ne m’attendais pas à me faire autant larguer dans les sections vallonnées. Il est coûteux en temps et en chaleur d’enlever les peaux pour les petites descentes, nombreuses certaines journées. Je les effectuais donc avec mes skis en mode marche et avec les peaux, en faisant du chasse-neige. Sur le plat, pour éviter de glisser vers l’arrière, je devais garder mes peaux et aller à un rythme de tortue, de 3 à 4 km/h avec mon gros sac à dos sur les épaules.

Du reste, la texture de la neige influence beaucoup la qualité de la glisse. Là aussi, les skis nordiques ont l’avantage. S’ils peuvent être munis de peaux d’ascension, ils peuvent aussi être fartés (ce qui n’est pas le cas pour le ski de randonnée alpine) pour éviter de glisser vers l’arrière, tout en glissant beaucoup plus vers l’avant qu’avec des peaux. À méditer, donc...


Services et prix

Le prix pour la Traversée de Charlevoix en 6 jours/5 nuits est de 226 $/pers., incluant les nuitées en refuge et les permis de la Sépaq et du mont Grand-Fonds. Il existe aussi une version demi-traversée de 4 jours/3 nuits. L’organisme responsable de la Traversée offre un service de transport des bagages pour 380 $ par nuit, un service de dépôt de nourriture pour 255 $ ainsi qu’un service de transfert de véhicule pour 144 $ (ces prix comprennent les taxes).

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