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Cauchemar à Kicking Horse

Une cascade de petits événements peut rapidement se transformer en cauchemar, comme l’a constaté Stéphane Boisvert, lors d’une journée de planche à neige dans l’Ouest canadien. À la recherche de poudreuse, le planchiste s’est retrouvé perdu dans l'arrière-pays, le forçant à passer sept jours et six nuits en mode survie...

Pour profiter de la grande quantité de poudreuse de l'Ouest canadien, Stéphane Boisvert avait prévu un voyage en solo de quatre jours en planche à neige, en janvier 2017.

Avant d’aller rejoindre des connaissances à Banff, il a d’abord choisi de profiter des pistes de la station de Kicking Horse, à Golden, en Colombie-Britannique. Mais la poudreuse n’était pas au rendez-vous, faute de chutes de neige depuis près de dix jours. « La surface était très dure et j’étais en quête de plus belle neige », raconte-t-il aujourd’hui.

Après quelques descentes, des skieurs lui racontent qu’il y a encore de la poudreuse fraîche dans le secteur Terminator, alors qu'il se trouve dans la gondole qui l’emmène au sommet. Parti sans carte, Stéphane se renseigne alors pour savoir comment y accéder.

À la sortie des remonte-pentes, il doit traverser un secteur plat pour se rendre jusqu’en haut de la piste, mais il décide plutôt de mettre ses fixations tout de suite, pour couper à travers la montagne, en passant sous une corde indiquant l’entrée dans un secteur hors-piste.

« Après une vingtaine de mètres, je me suis arrêté et je me suis mis à douter, parce que je ne voyais pas d’autres traces, dit-il. Si c’était un secteur connu, je ne devais pas être le premier à y aller ». En scrutant la pente, il remarque finalement une trace fraiche de planche à neige. C’était le signal qu’il attendait. « J’ai suivi cette trace-là jusqu’au bout », dit-il.

La descente est belle, avec de la poudreuse, mais la ligne semble tout de même douteuse. Arrivé en bas, les traces qu’il suit s’évanouissent et il ne trouve aucun signe d’un chemin à suivre. (Il apprendra plus tard que la personne qui avait fait ces traces s’était elle-aussi perdue, passant deux jours dans le secteur avant d’être secourue.) Le doute s’installe. « Je n’étais pas équipé pour le backcountry. J’ai essayé de grimper avec mon board, mais je n’avais aucune prise dans la neige pour remonter ».


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Aucune trace de motoneige à l’horizon. Aucun indice pour se sortir de là. Stéphane ne comprend pas trop ce qu'il lui arrive. « Je suis tombé un peu en mode panique en réalisant que j’étais perdu et que j’étais vraiment dans le trouble ».

L’homme prend alors quelques minutes pour se calmer et réfléchir pour trouver la meilleure solution possible. Dans son sac à dos, il a une pomme et quelques barres tendres. Il a aussi un sifflet, mais son briquet est resté dans son sac de voyage après son vol en avion.

Avec de la neige qui monte jusqu’en haut des hanches lorsqu'il avance, il décide de suivre le chemin de la rivière, qui est glacée en grande partie et où la neige est plus dense. « En me rendant à la montagne, je me souvenais être passé sur un viaduc et je me suis dit que cette rivière m’amènerait jusqu’au chemin », dit-il, en ajoutant qu'elle lui permettait aussi d’avoir de l’eau à portée de main en tout temps. Marcher sur une rivière gelée est toutefois risqué, et Stéphane défonce la glace puis se mouille le pied droit.

En écoutant de la musique, le planchiste essaie de garder un état d’esprit positif en se disant qu’il va s’en sortir. Pour maintenir les animaux à distance, il siffle à fréquence régulière.

Après avoir marché pendant près de sept heures, Stéphane voit le soleil disparaître derrière les montagnes. En une dizaine de minutes, tout devient noir. « Je me suis fait prendre par la noirceur ». Il entreprend alors la construction d’un abri sommaire. Habillé chaudement, il arrive à dormir un peu, sans feu, malgré une température qui descendra à -26 °C cette nuit-là.

Le lendemain matin, un lundi, Stéphane enfile sa paire de bas secs et il décide de tracer un gros HELP dans la neige avant de poursuivre son chemin pour franchir un maximum de distance. Au cours de la journée, la glace cède à nouveau sous ses pas et ses deux pieds sont complètement mouillés. Stéphane décide de s’arrêter quelques heures avant la noirceur pour se faire un abri plus confortable. Sur le flanc de montagne, il trouve alors une petite grotte qu’il aménage du mieux qu’il peut pour passer une deuxième nuit, perdu dans les Rocheuses.

Le mardi matin, ses bottes sont complètement gelées, tout comme ses deux paires de bas. « J’ai dû me mettre nu-pieds dans mes bottes et ça m’a pris 45 minutes pour les enfiler », dit-il. À partir de ce moment, il décide de ne plus les enlever. Alors que l’énergie diminue constamment, il mange sa dernière barre tendre.

« Dans ma tête, je faisais le décompte des jours pour estimer quand les secours pourraient venir, dit-il. Je devais retrouver des connaissances le dimanche et je me disais qu’une opération de secours était possible le mercredi. Sinon, la personne qui m’avait prêté son véhicule commencerait peut-être à s’inquiéter si je ne le lui rendais pas d'ici trois ou quatre jours. Et comme cette voiture était restée dans le stationnement, le personnel de la station se rendrait peut-être compte que quelqu’un manquait à l’appel. Enfin, ma mère devait venir me retrouver à Montréal le samedi matin. Au pire, on viendrait me chercher le dimanche. »

À partir de ce moment, Stéphane se met en mode survie et limite ses dépenses d’énergie au minimum. Il trace un SOS au sol, « pimp » sa grotte autant que possible et limite ses déplacements pour aller chercher de l’eau à la rivière, à une quinzaine de mètres, deux fois par jour. Le reste du temps, il tente de dormir et de se reposer. « Esti que c’était long! », se souvient-il, en ajoutant qu'il est plongé dans l'obscurité de 16 h 30 à 7 h 30.

Mardi, mercredi, jeudi... les journées filent et Stéphane tente de rester positif en se concentrant sur les solutions. Il sent ses pieds se crisper et ses orteils sont comme pris dans un bloc de glace. Une sensation d’hypothermie le saisit et il se met à frémir comme du « bacon dans une poêle ». En respirant calmement, comme il l’a appris dans ses cours de yoga, il arrivera à se calmer et à reprendre le contrôle.

Par moments, il fait la rétrospective de sa vie, et se demande s’il pourra continuer son métier de professeur d’éducation physique.

Ce n’est finalement que le samedi matin, au lever du jour, qu’il entendra le son des hélicoptères venant à sa rescousse. C’est la présence de son véhicule, resté dans le stationnement depuis le dimanche, qui a alerté les secours, après avoir passé sept jours et six nuits seul en forêt, à 8 km de la station de ski. À leur arrivée, les émotions débordent. Stéphane tombe à genoux et remercie la vie autant que les sauveteurs qui le rejoignent avec du chocolat chaud.


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Stéphane est sauvé, mais il n’est pas au bout de ses peines. Victime d'engelures majeures, il subira 11 opérations sur une durée de quatre mois afin d'enlever les parties nécrosées. Au final, sa jambe droite sera amputée sous le genou et il perdra quelques orteils ainsi que son talon de la jambe gauche.

Grâce aux orthèses qui lui sont fournies par l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ), il apprendra à marcher à nouveau en deux semaines. L’équipe de l’Institut lui permettra de vivre une « réadaptation merveilleuse » en près de cinq mois, lui donnant la chance de se remettre à pratiquer plusieurs sports comme le tennis, le golf, le vélo et la planche à pagaie. « J’ai essayé de faire du ski, mais j’ai dû recommencer à faire la pointe de tarte », lance-t-il.

Stéphane a décidé de parler de son histoire pour conscientiser les gens à la gestion des risques. « C’était une erreur de partir seul dans le backcountry », dit-il, avant d’ajouter qu’il aurait dû respecter son plan de départ.

De plus, il souhaite inciter les stations de ski à implanter de meilleures mesures de secours dans les zones de hors-piste. Kicking Horse a déjà répondu à l’appel en installant un refuge à l’endroit où il s’est perdu (comme plusieurs autres personnes), ainsi que des panneaux de signalisation. Le protocole devrait aussi être modifié pour que les signalements soient plus rapides lorsqu’un véhicule reste dans le stationnement plusieurs jours.

L’automne dernier, Stéphane a recommencé à enseigner l’éducation physique à l’école secondaire. Même s’il doit faire certains deuils, comme celui de ne plus jouer au soccer et de faire de la course à pied, l’homme de 38 ans demeure positif, car plein de belles choses s’offrent à lui dans sa deuxième vie. « La vie continue malgré tout », conclut-il.


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Miser sur un ange gardien

Peu importe où vous planifiez votre prochaine sortie en plein air, qu’elle dure trois heures, trois jours ou trois semaines, vous devriez toujours informer quelqu’un de votre plan de match, estime Manu Tranquard, professeur du Laboratoire d’expertise et de recherche en plein air de l’UQAC et expert en survie. Après l’activité, contactez cet « ange gardien », pour l’informer que tout s’est bien déroulé. S’il ne reçoit pas de nouvelles, il peut alors alerter les secours, ce qui réduit grandement le temps de recherche.

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