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  • Crédit: Heiko Wittenborn

Descendre la rivière Puvirnituq

Située à 1 800 km au nord de Montréal, la rivière Puvirnituq est la plus septentrionale des rivières du Québec. Elle offre un contact direct avec la puissance brute des éléments et avec 30 000 km2 de bassin versant, elle est presque aussi grosse que la rivière George!

Prenant sa source tout près du parc national des Pingualuit, cette rivière de 420 km coule vers le sud-ouest pour atteindre la baie d’Hudson au 60e parallèle. Ajoutez à cela une température moyenne de sept degrés Celsius et des vents glacials qui soufflent « normalement » entre 40 et 50 km/h, c’est sans exagérer un terrain de jeu qui ne permet aucune erreur.   

L’objectif de notre voyage sur cette rivière est d’en faire le relevé et de produire un protocole de sécurité pour sa descente pour le compte du parc national des Pingualuit et de la communauté inuite de Kangiqsujuaq, afin d’évaluer le potentiel touristique de ce cours d’eau. La rivière Puvirnituq, avec les rivières Koroc et à l’Eau Claire, sont les trois seules rivières du Nunavik qui ont obtenu la cote de cinq étoiles dans le guide des parcours canotables du Québec et sont aujourd’hui au cœur de trois parcs nationaux récemment créés par Nunavik Parks. Cette cote de paysages de cinq étoiles est édifiante et signifie : « Scènes grandioses, parmi les plus belles du territoire québécois. Des paysages exceptionnels qui inspirent le respect et suscitent l'émerveillement. »

Partis de Kuujjuaq le 28 juin, nous sommes dans le parc national des Pingualuit depuis sept jours. En trois jours, nous avons avancé de seulement huit kilomètres. Le vent souffle toujours à 60 km/h, mais heureusement il ne pleut plus… il grêle! On est tous d’accord pour dire que ça n’a aucun bon sens de partir dans ces conditions, mais tannés d’être dans nos tentes, on décide quand même d’essayer. Deux heures plus tard, on se retrouve sur la glace en train de tirer notre canot, avec de la grêle en pleine figure. Pieds et mains gelés, on avance tranquillement sur la glace qui craque sous nos pieds. Vers 15 h, le vent tombe, ce qui nous permet d’avironner dans une bande d’eau libre sur les bords, pour faire les 22 km de lacs qu’il nous restait à franchir pour atteindre la rivière Puvirnituq à 22 h 30.

UNGAVA

« Nom inuit qui évoque le mystère, l’endroit où résident les Anciens, la terre où la fragilité de la vie fait contraste avec la dureté du climat. Ici on ne défie pas les éléments : on les respecte, sous peine d’y perdre la vie. Le visiteur qui possède l’humilité de l’âme, l’ouverture du cœur et la vitalité du corps sera choyé par la terre et par le ciel. À chaque coup d’aviron, à chaque instant dans l’attente d’un vent plus clément, à chaque fois que le soleil le bénira de sa courte présence, une parcelle de sagesse lui sera accessible. Au pays des aurores boréales où tout est au-dessus de la dimension humaine, les aventuriers d’occasion sont exclus. Ici n’est pas la place pour prouver quoi que ce soit. Les Inuits, gardiens de cet endroit, peuvent en témoigner. »

– Extrait du guide des parcours canotables du Québec (FQCK).

Enfin les lacs sont derrière nous, mais demain c’est la section la plus technique de la rivière qui nous attend. Étant seuls ici, voyageant dans notre canot duo, on n’a vraiment aucun droit à l’erreur.

La pente moyenne des soixante premiers kilomètres est de 0,3%, incluant une section de 8 km à 0,6%, ce qui se traduit par une suite de gros rapides continus. Cette première section de la Puvirnituq coule dans un magnifique canyon de 120 mètres. Par chance, le temps est superbe et les berges nous permettent de reconnaître en sécurité tous les rapides. Entourés de falaises et de pentes encore à moitié enneigées, on écoute le cri des faucons qui virevoltent dans cet environnement grandiose.

Après la section de gros rapides, on monte le versant pour aller voir un ancien support à kayak dont Avataq, l’institut culturel inuit, nous a donné les coordonnées. Cet ancien campement était utilisé par les Inuits pour réparer leurs kayaks.

Ce campement, dressé au bout d’un portage de huit kilomètres, entre les bassins versants des rivières Puvirnituq et Vachon, est parfaitement situé puisqu’il permet d’éviter la section la plus technique de la haute Puvirnituq en plus d’épargner 10 km sur la distance totale. Les Inuits utilisaient ces rivières en automne lors de leurs chasses aux caribous, lesquels se réfugient sur les hauts plateaux battus au vent pour éviter les mouches.

C’est démentiel de penser que les Inuits voyageaient sur ces rivières sans rien, dans un tel climat, il y a plus de cent ans! Ici, au cœur de la toundra, pour ajouter à notre inconfort, il n’y a absolument rien pour faire du feu. Encore aujourd’hui, les Inuits sont fiers de dire : « We don’t need trees! » Ouf, quelle force physique et mentale doivent-ils avoir pour survivre ici!

Les 60 km suivants coulent dans une belle petite vallée. Des rapides faciles et agréables se succèdent presque continuellement et l’on se perd dans nos pensées en regardant les centaines de caribous sur les versants. Lorsqu’un groupe détale, on peut toujours voir un loup derrière qui leur court après. Des centaines de bernaches nidifient sur les berges. Aucun mot ne peut décrire la magie et la pureté de ces lieux figés dans le temps.

Ce soir, on atteint la limite nord de la toundra. Autour de notre campement, il y a plein d’arbustes peuplés de dizaines d’oiseaux. Ça gazouille de partout! Pas étonnant qu’on trouve ici deux autres vieux campements inuits : nous sommes à la limite du boisé et d’une longue section d’eau calme de 90 km, le lac Allemand. En tout, nous découvrirons sept vieux campements inuits non répertoriés.

Étendu dans la toundra avec mon iPod, j’écoute des chants de gorges inuits mixés avec de la musique irlandaise en regardant le coucher de soleil. En juillet, au 61e parallèle, le soleil longe l’horizon beaucoup plus longtemps qu’au sud. Les belles lumières de fin de jour se succèdent et n’en finissent plus de finir, c’est magnifique…

Deux jours plus tard, à l’embouchure du lac Allemand, la rivière Puvirnituq a triplé de volume. Un peu traumatisés, nous regardons la grosseur du rapide devant nous. Je me souviens subitement ce que le président de Nunavik's Anguvigaq Hunters and Trappers Organization, Paulusie Novalinga, m’a dit lorsque je l’ai rencontré à Montréal avant de partir : « This river is strong as hell! » Les rapides sont tellement géants, tellement larges, qu’ils méritent deux cotations différentes : une pour la rive droite et l’autre pour la rive gauche! Heureusement, il y a souvent un « chiken line » de RIII-IV, de quelques mètres sur les bords. Mais disons que nous sommes un peu nerveux en passant dedans avec des vagues de 4-5 pieds qui menacent de nous envoyer au centre de la rivière. Pour ajouter à l’ambiance des rapides, il fait toujours gris et froid, avec un vent qui oscille entre 40 et 60 km/h. Des conditions normales ici.

Crédit: Éric Leclair

Les deux jours suivants, malgré un vent incessant, on arrive quand même à faire 60 km de plus.

Mais ce soir, étendu dans ma tente, je suis vidé et j’ai le dos défait. Ce voyage-là, c’est vraiment une grande leçon d’humilité : la rivière est immense, l’eau est glaciale, et il nous reste encore une semaine à faire, à côtoyer ce monstre d’énergie qui ne pardonne aucune erreur.

Au matin du 18 juillet, Gaston me réveille à 6 h 30. Il fait froid et gris. Et… il vente. Nous avons avancé de seulement un kilomètre dans les deux derniers jours. Il y a encore des moutons sur l’immense baie devant nous, mais Gaston veut tenter le coup. Il avoue volontiers que ça n’a aucun bon sens, mais il a raison : il faut avancer. Finalement, on avancera de 16 km durant cette journée. Il n’y a pas de mots pour décrire la douleur endurée à ramer des journées entières avec le vent en pleine face. Gaston dit que c’est les pires conditions de pagaie de sa vie. Honnêtement, ça n’a juste pas d’allure! Un chavirement dans ce vent et ces vagues signifie une mort certaine dans l’eau glaciale. Juste se maintenir au-dessus de l’hypothermie, assis dans le canot et dans ces conditions, c’est déjà tout un défi. Ce soir, il souffle des rafales de 80 km/h avec une forte pluie!

Le lendemain matin, en commençant à pagayer − toujours avec le vent en pleine face −, je me surprends à penser : « Aide-nous Seigneur! » Sorti de ma zone de confort, je suis totalement connecté avec l’environnement. Je scrute le paysage autour de moi, à la recherche d’indice pour évaluer la force et la direction du vent. Je tente de trouver l’angle optimal du canot et de profiter de chaque petite veine de courant. Je suis à la recherche du maximum d’efficacité avec le minimum d’efforts. Je suis présent dans le moment. Il y a longtemps que je ne m’étais pas senti comme ça. Quel bonheur d’être totalement connecté avec tout ce qui m’entoure!

Puis, le miracle se produit et le vent diminue peu à peu. Coup d’aviron après coup d’aviron, on avance en silence. Pas un mot, pas un seul arrêt avant des kilomètres. Pas question de laisser filer cette accalmie providentielle. On passe les rapides après une reconnaissance de base à partir du canot. Les seuls rapides où l’on débarque pour faire du repérage sont les RIV et +. À la fin de la journée, nous sommes crevés. J’avais oublié une règle de base dans ces voyages d’agrément : si tu n’es pas prêt à souffrir, tu n’avances pas!

Deux jours plus tard, après une série de rapides vraiment impressionnants, la partie sur la rivière est terminée et l’on débouche sur l’immense lac Puvirnituq. Quelques heures plus tard, nos amis inuits arrivent. La première question de Muncy me va droit au cœur : « Avez-vous faim? » Ces gens-là connaissent parfaitement leur territoire et savent exactement ce que l’on vient de vivre. J’ai un immense respect et une profonde admiration pour ces gens, qui ont su s’entraider et survivre depuis des millénaires dans cet environnement hostile, mais tellement magique. Un tel voyage au cœur de l’Ungava, ça ne s’oubliera jamais!

Crédit : Éric Leclair

La rivière Puvirnituq

Description
Cette expédition de 412 km peut être divisée en quatre sections : la première section (30 km) se compose de lacs et est située dans le parc national des Pingualuit. La seconde (122 km) se traduit par une série de rapides qui coulent au cœur d’un magnifique petit canyon. Le lac Allemand (56 km) constitue la troisième section. Finalement, la quatrième section (204 km) se caractérise par une alternance d’eau calme et de gros et puissants rapides.

Durée de l’expédition
Compter trois semaines pour l’expédition plus l’aller et le retour.

Période navigable
La meilleure période est juillet. Un départ dans les deux premières semaines de juillet est idéal.

Transport et logistique
- Il est possible d’acheter des places individuelles, à partir de Kuujjuaq, sur les vols nolisés de Twin-Otter qui se rendent dans le parc national des Pingualuit, ce qui réduit sensiblement les coûts d’une telle expédition. (Réservations : info@inuitadventures.com)
- Depuis que les nouvelles règles de Transport Canada interdisent aux passagers de voyager avec des canots rigides à l’intérieur des Twin-Otter, et considérant les coûts élevés d’un deuxième vol, l’option d’apporter des canots gonflables, ou pakboats, demeure la solution la plus économique. Si vous préférez une embarcation rigide, une alternative moins dispendieuse consiste à envoyer votre canot à l’automne par bateau, via la compagnie Desgagnés, et de demander au Parc de le transporter durant l’hiver par motoneige, sur un komatik, pour qu’il vous attende l’été suivant au cratère.

Niveau de difficulté
Cette rivière s’offre à tous ceux qui sont à l’aise dans du RIII et qui ont une solide expérience en plein air. La rivière Puvirnituq coule dans un environnement exceptionnellement éloigné et sauvage et les conditions climatiques sont telles, que les services d’urgence peuvent prendre des jours à arriver... C’est ici que les mots prévention et jugement prennent tout leur sens.

Enregistrement
Avant de partir, vous devez obligatoirement vous enregistrer auprès des autorités du parc des Pingualuit.

Adresses et informations utiles
Air Inuit : 1 800 361-2965 — airinuit.com
First Air : 1 800 267-1247 — firstair.ca
Parc des Pingualuit : 819 338-3282 - nunavikparks.ca
Tourism Coordinator of Kangiqsujuaq : 819 338-1270

Carte guide et protocole de sécurité
Le relevé de la rivière Puvirnituq ainsi qu’un protocole de sécurité détaillé sont disponibles à www.cartespleinair.org, dans la section cartes de l’onglet canot. (Bassin 10 - Éric Leclair)

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