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  • Crédit: Vadim Petrakov, Shutterstock

Roulette russe dans l’Himalaya

Traverser le glacier Khumbu, sur la route du sommet de l’Everest, équivaut à jouer à la roulette russe. Le nouveau tracé mis en place récemment par le gouvernement népalais ne réduit ni les risques d’avalanche, ni les crevasses et les chutes de glace, menaçant constamment grimpeurs et sherpas.

Chaque année, aux pieds du Toit du monde, quelques centaines de tentes viennent colorer le paysage blanc et gris du camp de base de l’Everest. L’oxygène s’y fait déjà rare et un coup d’œil au glacier Khumbu laisse présager des dangers qui menacent la vie des grimpeurs. Lors d’un trek au camp de base de l’Everest en 2008, deux avalanches ont déferlé sur le glacier en moins de deux heures. Comment trouver l’équilibre entre la sécurité et le développement économique du Népal dans un environnement extrêmement hostile où des montagnes vivantes peuvent prendre des vies à n’importe quel moment?
 
La vache à lait du Népal
 
Au printemps dernier, le plus grave accident de Sagarmatha (la plus haute montagne sur terre, en népalais) est venu secouer le monde de l’alpinisme lorsqu’une avalanche sur le glacier Khumbu a coûté la vie à 16 sherpas entre le camp de base et le camp 1. 
 
Cet évènement tragique a déclenché une rébellion des sherpas, qui luttent pour obtenir de meilleures conditions de travail. Plus de 400 d’entre eux ont alors déserté le camp de base pour protester contre le gouvernement. Par respect et solidarité, plus de 300 alpinistes ont aussi quitté la montagne, remettant leur rêve d’atteindre le Toit du monde, à plus tard.
 
Grâce aux droits d’accès de 10 000 $ payés par les grimpeurs, le gouvernement népalais récolte entre trois et quatre millions de dollars annuellement. Malgré ces sommes, aucun plan d’évacuation d’urgence n’a été mis en place. Il a d’ailleurs fallu plus de cinq heures avant qu’un hélicoptère n’arrive en renfort après l’avalanche meurtrière... De plus, les familles des grimpeurs décédés au printemps 2014 n’ont reçu que 400 $ pour payer les frais des funérailles. 
 
De l’importance des sherpas dans la réussite d’une ascension d’un sommet en Himalaya
 
Améliorer la sécurité sur l’Everest
 
La tragédie a réveillé le gouvernement, qui est désormais plus conscient de l’importance de la sécurité sur l’Everest, mentionne Jinesh Sindurakar, directeur général de la Nepal Mountaineering Association. Pour rectifier le tir et rassurer guides et alpinistes, Katmandu (la capitale népalaise) a récemment annoncé une série de mesures. D’abord, une nouvelle route a été tracée pour traverser le glacier Khumbu afin d’éviter les avalanches. Depuis 1997, ce sont les icefall doctors, formés par le Sagarmatha Pollution Control Committee (SPCC), sous l’autorité du gouvernement népalais, qui préparent la route, en dressant les cordes, ponts et échelles fixes, nécessaires à la traversée du glacier. « La nouvelle route, située au milieu du glacier, sera plus longue que l’ancienne, car nous devrons éviter les énormes séracs et les crevasses. Elle sera toutefois moins sujette aux avalanches, donc plus sécuritaire pour les sherpas et les alpinistes », explique Yangji Doma Sherpa, responsable des relations publiques pour le SPCC. Il faudra désormais compter au moins deux heures de plus pour se rendre du camp de base au camp 1.
 
La nouvelle route n’élimine toutefois pas tous les dangers. « Travailler sur le glacier Khumbu, l’endroit le plus dangereux sur la route vers le sommet, est assurément un risque », remarque Yangji Doma Sherpa. Un seul docteur du glacier a perdu la vie, en 2013, lorsqu’il est tombé dans une crevasse. 
 
Pour Gabriel Filippi, seul alpiniste québécois qui a atteint le sommet de l’Everest par ses deux versants, ce nouvel itinéraire est une bonne nouvelle. « Ça sera plus sécuritaire pour éviter les avalanches. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a constamment des dangers, car le glacier bouge d’un mètre par jour ».
 

Statistiques

4 000 + : nombres de personnes qui ont atteint le sommet de l’Everest. 
1953 : première ascension de l’Everest par Edmund Hilary et Tenzing Norgay.
 
250 : nombre de morts sur l’Everest depuis 1922. 
88 : nombre de sherpas morts sur l’Everest depuis 1922.
 
8 848 m : altitude au sommet de l’Everest.
5 364 m : altitude au camp de base de l’Everest.
 
50% : taux d’oxygène disponible à 5 500 mètres d’altitude.
30% : taux d’oxygène disponible au sommet de l’Everest.
 
Entre 40 000 $ et 90 000 $ : prix payé par un alpiniste pour gravir l’Everest.
10 000 $ à 35 000 $ : salaire moyen d’un guide étranger pour une saison sur l’Everest.
2 000 $ à 8 000 $ : salaire moyen d’un sherpa pour une saison sur l’Everest.
 
La roulette russe

« Il y a peu de montagnes où les alpinistes sont prêts à prendre autant de risques », soutient Patrick Morrow, le deuxième Canadien à atteindre le sommet de l’Everest en 1982. « La nouvelle route, qui passe au milieu du glacier Khumbu, est potentiellement tout aussi mortelle. Des chutes de séracs (d’énormes blocs de glace) ont coûté la vie a plusieurs alpinistes et sherpas par le passé ». Le caméraman de l’expédition, dont il faisait partie en 1982, y a d’ailleurs laissé la vie, tout comme six sherpas en 1970...
 
Le glacier Khumbu bouge constamment, créant d’énormes crevasses de plusieurs dizaines de mètres de profondeur et parfois jusqu’à 10 mètres de large. Lors d’une expédition menant au sommet, un sherpa traverse le glacier entre 20 et 30 fois pour amener l’équipement jusqu’aux camps situés plus en altitude.
 
Selon Morrow, traverser aussi souvent ce glacier mortel équivaut à jouer une partie de roulette russe, car non seulement les avalanches et les chutes de glace menacent la vie des sherpas, mais ceux-ci risquent aussi de devoir venir en aide à des touristes en danger ou de récupérer des cadavres gelés! « La seule façon de réduire les risques est de plafonner le nombre d’alpinistes sur la montagne ou encore de demander aux touristes de porter eux-mêmes une partie des bagages », ajoute ce dernier. 
 
Réduire le nombre d’alpinistes ou la quantité de bagages signifie qu’une partie des guides locaux perdraient leurs emplois ou du moins, subiraient une diminution de salaire. Mais plusieurs familles dépendent des revenus générés sur l’Everest. Les meilleurs sherpas gagnent jusqu’à 8 000 $ par saison, soit dix fois plus que le salaire annuel moyen au Népal! 
 
Gabriel Filippi croit que c’est aux sherpas de décider s’ils veulent réduire leurs activités. Il explique que le service de luxe fait augmenter le nombre d’alpinistes sur l’Everest : « Si l’on enlève le service clé en main pour la clientèle qui désire un certain confort sur l’Everest, les revenus du gouvernement et des sherpas vont baisser ». 
 
Pour sa part, Pasang Sherpa, guide de montagne et vice-président de l’Association nationale des guides de montagne du Népal, croit que le plus important demeure la gestion du risque sur la montagne. « Tous les intervenants doivent être conscients de l’importance de la sécurité de tous les membres de l’expédition », dit-il. Si tous les guides agissent ainsi, il n’y a pas de raison de réduire la quantité d’alpinistes sur l’Everest, ajoute ce dernier. 
 
Conserver les revenus et améliorer le service
 
Plus de 400 alpinistes tentent de gravir le sommet chaque année et la population au camp de base peut atteindre jusqu’à 1 000 personnes en incluant le personnel de soutien aux expéditions. Le gouvernement népalais ne souhaite pas amoindrir cette source de revenus. Il a plutôt opté pour améliorer, légèrement, les conditions de travail et la sécurité sur l’Everest à compter de la saison printanière qui s’échelonne du 1er mars au 31 mai.
Une équipe d’experts qui publiera des prévisions météorologiques détaillées à fréquence régulière a donc été mise sur pieds. De plus, des discussions sont en cours pour implanter un système de positionnement GPS pour les grimpeurs afin de suivre avec précision leur progression sur le parcours.
 
En augmentant les primes payées par les alpinistes, le gouvernement a aussi majoré l’assurance-vie des sherpas, la faisant passer de 10 000 $ à 15 000 $, ainsi que les assurances médicales et autres avantages sociaux.
 
Dans le passé, il y avait deux ou trois médecins au camp de base. Désormais, quatre médecins seront postés en permanence à 5 300 mètres dans une tente destinée aux urgences. De plus, les hélicoptères de sauvetage seront en mesure de secourir les blessés en moins de 90 minutes, tandis que chaque équipe devait planifier son propre plan de sauvetage l’an dernier.
 
La Nepal Mountaineering Association a pour sa part décidé de créer un fond pour venir en aide aux familles des victimes lors des désastres, en finançant entre autres l’éducation des enfants de sherpas morts sur l’Everest et des formations sur la sécurité pour les guides de montagnes.
 
Des études sont en cours pour évaluer les impacts sociaux et environnementaux du transport par hélicoptère jusqu’au camp 1. Un tel service réduirait toutefois la charge de travail des sherpas et pourrait avoir des effets néfastes sur le glacier.
 
Après la tragédie du printemps 2014, ces mesures améliorant la sécurité et les conditions de travail des guides népalais, ramènent un certain vent d’optimisme prudent au pied du géant de l’Himalaya. Mais une chose est sûre, l’Everest continuera à prendre des vies et les changements climatiques compliqueront davantage le travail sur les glaciers en haute altitude.
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