Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit: courtoisie Sébastien Rojo, INAQ

«La dysphasie, au-delà du sommet» : l’aventure comme thérapie

Il est des aventures qui font parler d’elles, non pas pour l’exploit sportif pur, mais parce qu’elle change la vie et les âmes de ceux qui y prennent part. L’expédition La dysphasie, au-delà du sommet» est de celle-là. Neuf adolescents québécois, entre 16 et 19 ans, atteints de dysphasie, un trouble primaire du langage entravant le développement et le fonctionnement de l'individu, sont partis du 14 au 28 novembre 2012 au Népal, encadrés de guides et de médecins, pour gravir le Khundu Ri Asa, à 4 200 mètres d’altitude. Sébastien Rojo, le chef d’expédition, instigateur du projet et également enseignant-chercheur à l’Université du Québec à Chicoutimi, revient sur cette aventure unique au Québec.

Crédit: Sébastien Rojo, INAQComment est née l’idée d’emmener des jeunes dysphasiques au Népal ?

Cela fait six ans que je travaille à l’INAQ, l’intervention par la nature et l’aventure - Québec, une coopérative d’intégration sociale qui vise des objectifs de développement, d’éducation ou de thérapie grâce au plein air. Il y a trois ans, j’ai rencontré la cofondatrice et présidente de l’Association québécoise de la dysphasie (AQD). Suite à plusieurs expériences, je trouvais intéressante l’idée de développer un projet d’ampleur et ainsi mieux faire connaître ce trouble. C’est par le biais de l’AQD que nous avons pu rencontrer les neuf jeunes qui ont pris part à l’expédition.

Quel était le but de cette aventure ?

L’idée était de provoquer une situation à même de les aider à aller mieux, à progresser, à se développer. À travers ce médium, on voulait surtout s’adresser à une population mal connue, les adolescents, en mettant l’accent sur l’interaction sociale, notamment au niveau de L’autodétermination, du libre choix éclairé. Ainsi, notre axe de développement vis-à-vis de ces jeunes dysphasiques n’était pas la simple réussite scolaire, mais également dans d’autres sphères sociales.

Comment se sont déroulées ces deux semaines au Népal ?

L’aventure a commencé pour ces jeunes le 14 novembre dernier quand ils ont pris l’avion pour Londres. C’était la première fois de leur vie qu’ils quittaient le Canada. Nous avons fait trois jours de voyage entre Montréal et Katmandou, puis une journée pour rejoindre, en petit avion, Lukla au Népal et enfin trois jours en randonnées pour aller à Namche Bazar, le point de départ de toutes les expéditions pour l’Everest. On a pris notre temps, car je souhaitais que tout le monde réagisse bien à l’altitude. La réponse physiologique des jeunes était inconnue. Il fallait donc être vigilant sur leur bonne acclimatation à la montagne.

Ils étaient accompagnés de guides de montagne professionnels, capables de communiquer leur passion auprès de nos jeunes. Nous avons tenté le défi de l’ascension du Kundhu Ri Asa, à 4200 mètres d’altitude, mais dans des conditions un peu particulières : en pleine nuit, à partir de deux heures du matin, pour atteindre le somment aux premiers rayons du soleil, afin qu’ils gardent une image marquante et inspirante de cette aventure.

Crédit: Sébastien Rojo, INAQComment ont réagi ces jeunes pendant l’ascension ?

Très bien. Ils ont été vraiment surprenants, avec une capacité incroyable d’adaptation à l’univers de la montagne. Mais le plus intéressant, c’est qu’il ait réussi le sommet en groupe. Ils ont relevé le défi ensemble, en faisant preuve de cohésion et de solidarité.

Quel type de préparation ont dû suivre les adolescents ?

Pendant les mois précédents l’expédition, on a plusieurs fois mis ces jeunes dans un contexte d’aventure, deux à trois jours en randonnées et camping dans la nature. Nous avons aussi fait une sorte de répétition générale, une préexpédition dans le parc national du Fjord-du-Saguenay, en totale autonomie, pour permettre à l’encadrement de mieux jauger leur capacité en situation réelle. Même si chacun suivait un programme physique individualisé, cela a permis de les réévaluer et de les réajuster.

Quels changements avez-vous pu observer chez ces jeunes à leur retour ?

Le projet est encore en cours. Un travail avec les jeunes est encore nécessaire pour cristalliser l’expérience. Mais, je peux déjà dire que cette expédition a permis aux jeunes de découvrir leur potentiel, eux qui croyaient ne pas en être capable. Ils en sont fiers. Rien que physiquement, on voit qu’ils ont relevé le menton. La dysphasie est un trouble qui les isole des autres. Or, ils sont très actifs sur les réseaux depuis leur retour. C’est un bénéfice collatéral en lien avec le langage. Cela montre qu’ils sont plus impliqués dans leur communauté, car ils veulent communiquer et partager cette expérience.

« Le plein air n’est pas une pilule miracle ! »

Crédit: Sébastien Rojo, INAQQuelle suite allez-vous donner à ce projet ?

Une équipe de tournage nous a suivis pendant un an avant le début de l’expédition puis sur le terrain au Népal, dans le but de réaliser un documentaire que l’on présentera au public. Il aura une teneur particulière, celle de l’aventure. Dans de tels films, on y voit des gens d’exceptions, souvent des anciens athlètes, réalisés de grandes choses. Avec notre documentaire, on veut aussi montrer que ces jeunes sont tout aussi capables d’être des aventuriers dans l’âme.

Le plein air comme outil thérapeutique est-il couramment utilisé au Québec ?

Non, ce n’est pas très répandu dans les institutions spécialisées. L’INAQ est la référence au Québec et au Canada, mais c’est hélas la seule. C’est d’ailleurs étonnant qu’au Québec, où l’on accède facilement aux activités de plein air, cette approche thérapeutique soit si peu utilisée, alors qu’elle peut avoir d’énormes bénéfices. Peut-être parce qu’elle a été quelque peu galvaudée par certains qui estimaient qu’ils suffisaient de mettre un malade dans un contexte de plein air pour qu’il se passe quelque chose. C’est une vision simpliste, c’est plus compliqué que ça. Le plein air n’est pas une pilule miracle!

Encore plus
Qu’est-ce que la dysphasie ? La vidéo explicative, réalisée par Dahu Films, à l’occasion du projet «La dysphasie, au-delà du sommet»

Commentaires (0)
Participer à la discussion!