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Boréal Design : la dernière vague

*** MISE À JOUR :: 25/04/2012 >> lisez notre blogue pour les derniers détails *** Coup de tonnerre dans le monde du kayak : le manufacturier québécois Boréal Design, spécialisé dans la fabrication d’embarcations de mer, déclare faillite. Ses 50 salariés doivent ranger définitivement leurs pagaies, la mort dans l’âme.

Depuis le 6 février dernier, Boréal Design a officiellement déposé son bilan. Chez tous les professionnels du nautisme, c’est la stupeur, car rien ne laissait présager une telle chose. Yves Paquette, président de l’Association maritime du Québec (AMQ), admet que « les causes de la faillite nous sont inconnues. C’est une vraie surprise. J’avais entendu ici et là que les objectifs n’étaient pas atteints, mais ce n’étaient que des rumeurs. » Des bruits de couloirs qui étaient fondés : « Nos chiffres de ventes n’étaient pas à la hauteur des objectifs, confirme Antoine Charbonneau, acheteur et principal conseiller à la boutique de Boréal Design. On essayait pourtant de redresser la barre. On y a cru jusqu’au dernier moment ».

Pour Yves Paquette, Boréal Design avait les armes pour s’installer durablement dans le marché du kayak : « Boréal Design est une compagnie qui aurait dû réussir, car un véritable marché existe. On déplore cette faillite d’autant plus que c’est un manufacturier québécois dans une niche économique très intéressante. » Les retombées de l’industrie du nautisme sont évaluées à près de 5,8 milliards de dollars au pays. Une étude de Print Measurement Bureau, datant de 2011, montrait que 10 % de la population québécoise avait fait au moins une excursion en canot dans les 12 derniers mois. C’est donc un marché potentiel de 684 000 personnes!

Alors, comment expliquer un tel épilogue? « Boréal Design ferme ses portes, non pas à cause de problèmes de production au niveau de la qualité et de la quantité de produis fabriqués, mais plutôt à cause d’une crise de liquidité, un manque d’argent pour faire face à nos engagements », précise Éric Blouin, président et cofondateur de l’entreprise en 1991. Depuis 2008, et comme beaucoup d’entreprises, Boréal Design devait naviguer à contre-courant face à la crise économique. Antoine Charbonneau confirme que les chiffres de ventes « n’étaient pas à la hauteur des objectifs fixés. Moins de commandes, cela se traduit forcément par moins de rentrées d’argent. » Bien que disposant d’un réseau enviable de détaillants un peu partout au Canada et à l’international (notamment aux États-Unis, en Europe et dans les pays scandinaves), l’entreprise de Saint-Augustin-de-Desmaures devait aussi faire face à un taux de change élevé du dollar américain : « Il est aujourd’hui plus facile d’importer des produits que d’exporter les nôtres  », affirme Yves Paquette.

Les yeux plus gros que le ventre

Pour pérenniser l’activité, de nombreux investissements avaient été engagés, entre autres en 2009 avec l’acquisition du fabricant Beluga et la signature d’un partenariat de fabrication avec le manufacturier Maelström Kayak. En voulant trop se diversifier, Boréal Design a ainsi péché par orgueil. « Cela devait permettre de nous relancer et d’augmenter notre part de marché, confesse Éric Blouin. Avec du recul, ce n’était peut-être pas le meilleur moment pour prendre cette décision. Nous n’avons pas été assez rigoureux dans la gestion de nos affaires. L’erreur est collective. » Une analyse partagée par les salariés : « C’est un peu la faute de tout le monde, convient Antoine Charbonneau. Il manquait un vrai financier dans l’entreprise, un gestionnaire pour contrebalancer, car nous étions surtout des passionnés. »

À ces difficultés économiques se sont greffés des problèmes d’ordre organisationnel, à la fin de l’année 2011. Ainsi, les deux associés d’Éric Blouin (Jacques Boulanger, le directeur général, et Guy Bourassa, le directeur des ventes) se sont successivement retirés de Boréal Design, seulement deux ans après leurs arrivées comme partenaires exécutifs. Toutes les tentatives pour retrouver rapidement de nouveaux investisseurs n'ont pas abouti. Même la mise au chômage technique des salariés en janvier pour faire des économies n’aura pas suffi à éviter le sort de l’entreprise québécoise.

Yves Ouellet, journaliste, chroniqueur voyage et auteur du guide Kayak de mer au Québec, aux éditions Ulysse, met en avant d’autres pistes pour expliquer cette débâcle. « Au début, Boréal Design ne souffrait d’aucune concurrence. Elle avait le vent en poupe avec une production importante et de qualité. Puis, de nouveaux fabricants sont arrivés, avec des produits moins chers. Le kayak est devenu à la mode, mais pas forcément le kayak de mer. L’esprit a également changé. Beaucoup de gens peu informés se sont tournés vers l’achat de kayaks à moindre coût. » Franck Soucy, superviseur de production chez Boréal Design, l’admet : « Le kayak de mer reste un sport de luxe. Boréal Design ciblait le haut de gamme, avec des kayaks à 1 500 dollars. Nous aurions peut-être dû produire des modèles moins chers, entre 300 et 400 dollars. »

Tristesse et surprise

Face à cette annonce, la déception fut bien sentie chez les salariés : « C’est beaucoup d’émotions, avoue Franck Soucy, superviseur de production. Ça fait 13 ans que j’ai rejoint l’équipe de Boréal Design. C’était une grande et belle famille avec des gens formidables, dévoués à faire du bon travail. Je suis aussi triste pour Éric. Boréal Design, c’était son bébé. Vingt ans de sa vie à travailler fort pour y arriver. » Pour Stéphane de Broucker, salarié saisonnier à la boutique, l’abattement est d’autant plus grand que rien ne laissait penser à cette issue radicale : « On n’a pas vu le coup arriver. On savait que les temps étaient difficiles, avec la crise économique mondiale, mais on était loin d’imaginer des problèmes qui conduiraient à une faillite aussi rapide. Quelques semaines avant, le discours de la direction se voulait clair, mais pas alarmiste. C’est un joli rêve qui s’écroule, car nous faisions du bon travail. »

L’annonce du dépôt du bilan du manufacturier québécois a fait réagir les acteurs du monde du kayak. Dans un communiqué publié sur leur site internet, le Sentier maritime du Saint-Laurent et la Fédération Québécoise de Canot et Kayak (FQCK) rendent hommage à l’entreprise « reconnue pour ses produits de qualité supérieure et sa passion pour les sports de pagaies (…) partagée par une équipe dynamique et dévouée. »

Parmi les compagnies d’aventure québécoises, dont certaines s’approvisionnaient exclusivement en kayaks et accessoires chez Boréal Design, c’est aussi la surprise totale. « C’était un fournisseur que l’on aimait beaucoup. Tous les ans, nous achetions de nouveaux produits chez eux. Nos relations ont toujours été parfaites. Un rapport qualité-prix excellent », dit Sylvie Major, propriétaire de Fjord En kayak. Un sentiment partagé par Pierre Hersberger, président de Mer et Monde Écotour : « Je suis très surpris de cette nouvelle, qui arrive quasi du jour au lendemain. J’ai toujours connu Boréal Design comme une entreprise leader qui vendait beaucoup de kayaks et toujours à des prix qui correspondaient au marché. C’est une grande perte, car cette société avait permis de démocratiser le kayak de mer au Québec. Sur 100 kayaks sur l’eau, 90 étaient de Boréal Design. »

Un dernier chapitre doit encore s’écrire avant de fermer définitivement le livre des aventures de Boréal Design. Un appel d’offres pour solder les actifs de la société a été publié. Trois lots sont en vente : les moules de fabrication des kayaks, le matériel et accessoires et la boutique. « Beaucoup d’entreprises sont intéressées, rapporte Éric Blouin. Plusieurs discussions sont en cours, mais aucun groupe n’a encore fait d’offres fermes et sérieuses. » Un mince espoir pour certains de voir perdurer le savoir-faire du manufacturier. « Je crois fermement au produit de chez nous, assure Franck Soucy. Boréal Design est une bonne marque, qui fabrique du bon matériel. Je ne peux pas croire que ces produits disparaissent... »

Depuis 1991, Boréal Design s’était, au fil des années, bien implantée dans le marché, au point d’être considérée par beaucoup comme la référence en matière de kayak de mer. « Une jeune entreprise qui offrait un catalogue complet et diversifié où chacun pouvait y trouver son compte », assure Yves Ouellet. « Quand on a commencé l’aventure Boréal Design, notre rêve était de fabriquer les meilleurs kayaks sur le marché », confie Éric Blouin, la voix gorgée d’émotion. Presque 21 ans plus tard, la compagnie québécoise peut se féliciter du sillon qu’elle a tracé au fil du temps.

Commentaires (1)
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Authentic Diving - 08/05/2012 23:46
Consterné... mais pas étonné...
Je tiens à préciser d'emblée que je suis conquis par la qualité des produits Boréal Design et la philosophie d'entreprise qui avait été développée.
Toutefois, bien que je sois vraiment déçu par ce qui est arrivé (certes, moins que la cinquantaine de collaborateurs passionnés et licenciés), je ne suis pas surpris de ce qui est arrivé...
Durant l'année 2010, j'ai tenté d'établir un contact commercial avec Boréal Design. Le potentiel de vente en Europe est énorme mais la réaction de son responsable commercial a été de me renvoyer à leur importateur "exclusif" pour l'Europe. Le premier problème est que cet importateur, bénéficiait d'une exclusivité pour un territoire immense mais qu'il n'effectuait aucune promotion efficace des produits Boréal Design. Bien que situé en Allemagne, cet importateur n'est présent à aucun salon du nautisme, même pas à « La Boot » de Dusseldorf (équivalent du DEMA américain pour l'Europe), dans son propre pays ! Ni ceux de Paris, Gênes ou Barcelone alors que les côtes de la mer méditerranée sont un véritable paradis pour la pratique du kayak de mer... Second problème, compte tenu de la chute de l'Euro, cet importateur a pratiqué des ajustements de tarifs des plus fantaisistes, totalement déraisonnables. Troisième problème, les points de vente soit disant mentionnés sur son site Internet, ne correspondent pas à la réalité. Bien que plusieurs magasins étaient mentionnés sur le site de l'importateur pour l'Europe, je défie quiconque de trouver des kayaks de mer ou autres produits Boréal Design sur le territoire français...! A plusieurs reprises, j'ai expliqué par e-mail, la situation au directeur commercial de Boréal Design. J'ai proposé de reprendre la distribution pour le marché francophone (France et Suisse) afin de dynamiser les ventes et de faire connaître les produits Boréal Design auprès des clubs, revendeurs et du public, en participant au minimum au salon du nautisme de Paris, tout en allant rencontrer les clubs et points de vente sur le terrain. La seule et unique réponse qui m'a été donnée était de m'adresser à leur importateur pour l'Europe. Qu'une société cherche à favoriser son importateur et qu'elle veuille respecter un contrat d'exclusivité est fort louable. Encore faut-il que cet importateur réalise un certain chiffre d'affaires, qu'il ne fasse pas n'importe quoi en termes de tarification et qu'il assure une promotion efficace des produits sur le territoire qu'il est censé couvrir ! Au regard de l'attitude du responsable commercial de Boréal Design, j'ai fini par en conclure que les ventes devaient être excellentes et qu'ils devaient être très satisfaits des résultats commerciaux effectués en Europe, raison pour laquelle j'ai finalement abandonné toute négociation et renoncé à acquérir des kayaks Boréal Design. Lorsque je lis qu'en réalité, les objectifs de vente fixés n'étaient pas atteints, je ne peux que regretter et déplorer un tel gâchis ! Assurément, si j'étais à la place de certains anciens responsables de Boréal Design, je culpabiliserais par rapport à ce qui est arrivé à cette entreprise et à ses employés et ne manquerais pas de procéder à une sérieuse remise en question... L'avenir des produits Boréal Design n'est pas pour autant garanti car comme chacun sait, le savoir-faire est essentiel dans ce genre de production et la perte de l’immense majorité des employés risque de peser lourd, sans parler des standards qualité souvent pas atteints lors de délocalisation. Il reste toutefois à espérer que la qualité des produits Boréal Design soit maintenue sous leur nouveau mode de production afin que tous les efforts des fondateurs et employés qui ont oeuvrés durant tant d'années à leur élaboration ne soient pas définitivement perdus... Afin aussi, que tous les passionnés et adeptes des ces magnifiques kayaks puissent continuer de sillonner les eaux du Saint-Laurent et d'ailleurs... C'est ce que je souhaite très sincèrement.