Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit: Frédéric Dion

Frédéric Dion en Antarctique : « Une aventure presque parfaite »

Après avoir traversé intégralement le continent blanc en ski, tracté par un cerf-volant, en passant par le pôle Sud, soit 4 382 kilomètres parcourus en 54 jours, Frédéric Dion fait le bilan. Il revient sur la polémique qui a entouré son odyssée à son retour au Québec et sur la perte de cinq des huit records et premières mondiales qu’il pensait avoir réalisés.

Après une telle expédition, comment se passe votre retour?

Frédéric Dion : C’est comme une renaissance! Redécouvrir les choses que j’aimais : ma famille, ma maison… J’ai l’impression que je vais en profiter encore plus qu’avant mon départ. Le bonheur d’être au coin du feu et de s’y réchauffer. En Antarctique, j’en rêvais!

Justement, retournons en Antarctique. Quel fut le moment le plus fort de votre expédition?

FD : Je suis assez fier de la gestion du problème de traineau cassé, même si c’est l’une des mésaventures du périple. C’était la pièce d’équipement la plus importante et la seule que je ne pouvais pas avoir en double. Quand il s’est mis à faire froid, -35 °C, le plastique est devenu fragile. Il s’est brisé plusieurs fois. J’ai dû faire de la couture à plusieurs reprises pour le réparer. J’ai parcouru des centaines de kilomètres avec. J’avais la possibilité d’en récupérer un autre, prêté par Dixie Dansercoer (NDLR explorateur belge), mais plus j’avançais, plus j’avais confiance en mes réparations. Je pensais être capable de continuer avec mon traineau réparé. L’un de mes objectifs était de ne pas avoir de ravitaillement. Malheureusement, mon traineau n’a pas tenu. Il a littéralement explosé! Il était évident qu’il m’en fallait un autre. Je suis donc allé à un Fuel Depot, là où le traineau de rechange de Dixie a été livré. C’est la première fois que je voyais du monde. Dans ma tête, j’ai fait une arrivée triomphale! C’était comme un accomplissement extraordinaire, car j’ai tellement douté que je réussirais à me rendre jusque-là…

Crédit: Frédéric Dion

Quelles ont été les plus grandes surprises de cette expédition?

FD : Les sastrugi, des bosses de glace (NDLR sculptées par les vents dominants) dures comme du béton. Cela a changé le cours de l’aventure avec mon problème de traineau. Pour le reste, j’ai appris beaucoup de choses. Je pensais que l’Antarctique était un continent plutôt plat, mais c’est loin d’être le cas! J’avais une connaissance du froid au Québec, mais l’Antarctique, c’est encore plus froid! Chaque bout de peau exposé pouvait geler. J’ai d’ailleurs gelé des mains tous les jours. Cela m’obligeait à m’arrêter. Même chose pour les pieds.

Y a-t-il des éléments de l’expédition que vous avez sous-estimés?

FD : J’ai lu plein d’histoires sur l’Antarctique. Je me suis préparé et j’ai monté des expéditions sur des terrains différents. Pour moi, un sastrugi, c’était une bosse de 30 cm de haut. Il y a tellement de choses à préparer que le temps finit par manquer. J’ai aussi rencontré des gens qui sont allés en Antarctique. J’aurais pu passer des centaines d’heures à les écouter. Mes recherches se sont concentrées davantage sur l’équipement que sur le terrain en tant que tel. De là à arriver sur un terrain miné où je sentais que ma sécurité pouvait être menacée, tellement j’avais peur de tomber… Cela m’a complètement surpris!

Crédit: Frédéric Dion

Croyez-vous avoir négligé certains aspects de cette aventure?

FD : Quand on essaye d’innover et d’adopter de nouvelles techniques, il faut être conséquent et faire les tests qui s’imposent. Cela faisait quelques années que j’utilisais un kayak comme traineau. Je l’ai testé l’hiver au Québec par –30°C en frappant le plastique avec une hache. En plus, il a plusieurs fois heurté des blocs de glace. Pour moi, il était donc indestructible… sauf à des températures plus basses. C’est une belle leçon. Il faut toujours faire plus de tests. J’ai l’audace de l’inconscience. Je fais partie de ceux qui disent : "Je pense que cela va fonctionner. Je fonce!" Sauf que parfois, je me plante. Et j’ai certainement plus de chances d’échouer qu’une personne plus prudente. Je suis un aventurier, je l’assume complètement!

Qu’est-ce qui a été le plus difficile : être éloigné pendant deux mois de votre famille ou le fait d’avoir perdu le titre d’être la première personne à atteindre le Pôle Sud d’inaccessibilité à skis et en solitaire?

FD : Être loin de sa famille, ce fut très compliqué. Ce fut même un drame, parce que j’ai eu des pensées catastrophiques... Apprendre que je ne pouvais pas revendiquer le statut de « solo » n’a pas été si grave que ça. C’était plus une donnée technique. Dans les faits, sur le terrain, j’étais seul. Je ne fais pas d’expéditions pour les statistiques. J’ai beaucoup dit que je voulais être le premier au monde à atteindre le centre de l’Antarctique en solitaire, car c’était accrocheur médiatiquement. Cela permet aux gens de comprendre rapidement mon projet. Mais, sur le terrain, l’important, c’est l’expérience. Ce que je vais pouvoir en retirer personnellement et comment je vais la raconter aux gens. J’ai vécu des situations tellement extraordinaires. Une aventure parfaite… même dans ses imperfections!

En défense de l'aventure

Suite à la polémique après le retour de Frédéric Dion, certaines voix ont commenté l’affaire en remettant en cause la nécessité même de l’aventure, la qualifiant d’inutile et d’hyper médiatisée.

Qui de mieux que les aventuriers pour réagir et prendre la défense de l’aventure? Nous avons posé à quatre d’entre eux la même question : « Que répondez-vous à ceux qui disent que les aventuriers devraient arrêter d’embêter le public avec la médiatisation de leurs défis? »

Voici leur réponse.

Mylène Paquette (en 2014, traversée de l’Atlantique Nord à la rame, en solitaire)

« Embêter? Je n’embête personne. Le public qui nous suit vit l’aventure par procuration. On a besoin de modèles qui nous inspirent. L’aventure a pleinement sa place dans notre société. C’est un laboratoire humain qui sert à tous, pour la recherche scientifique, pour témoigner de l’état de l’environnement, soutenir une lutte contre une maladie… Bon, je vous laisse, je vais "embêter" 300 élèves et bien d’autres encore! »

Maxime Jean (alpiniste et conférencier)

« La preuve de l’intérêt croissant envers ces aventures, c’est le nombre important de personnes qui nous suivent en conférence. J’en ai fait plus de 600 en dix ans. Il faut croire que certains sont intéressés. Dire que cela n’est pas digne d’en parler est très réducteur. C’est décider pour les autres ce qu’ils devraient penser et aimer. »

Alexandre Byette (XP Antarctik, 41 jours dans une région inexplorée de l’Antarctique pour grimper des sommets jamais escaladés)

« On ne veut embêter personne. L’aventure, ce n’est pas qu’atteindre un sommet, c’est surtout le chemin, le moyen pour atteindre l’objectif. En racontant nos aventures, on veut toucher le public, faire réfléchir les gens sur leur propre vie, leurs désirs et les atteindre. L’actualité est pleine de mauvaises nouvelles. On ne met pas assez l’accent sur les belles réalisations, dont l’aventure fait partie. Valorisons donc les aventuriers au lieu de taper sur la tête de ceux qui réussissent! »

Gabriel Filippi (alpiniste et conférencier)

« Chacun est libre de faire ce qu’il veut dans la vie. Certains sont des spectateurs d’aventures parce que ces événements viennent les chercher. L’aventurier s’insère alors dans leur quotidien, mais uniquement parce qu’ils l’ont souhaité. Comme aventurier, je sais très bien que je m’adresse à une minorité. La majorité se moque bien de mes ascensions mais cela ne m’empêchera jamais d’en faire. »
 

Quelle expérience retirez-vous de la perte des « premières » et autres records?

FD : La communication de l’après-expédition a été très édifiante pour moi. C’est bien beau de vivre des aventures et de sortir de la boîte, mais il ne faut jamais oublier qu’il y a une boîte. Je réalise qu’avec le statut que j’ai acquis, je fais dorénavant partie de l’actualité. Désormais, les gens connaissent mon nom. C’est à mon retour au Québec que je l’ai vraiment compris. Ce nouveau statut m’impose une plus grande rigueur pour le futur.

Crédit: Frédéric Dion

Certaines personnes estiment que vous avez volontairement gardé pour vous les informations de perte des « premières » pour des raisons en lien avec les commandites ou par pur égocentrisme d’aventurier. Que répondez-vous à cela?

FD : Cela fait 12 ans que je suis aventurier et conférencier. J’ai appris à médiatiser mes communications pour que la presse parle de moi, car elle ne le faisait que très peu. J’ai géré les communications avant mon départ comme cela. Et de la même façon durant la traversée, en mettant en avant les mots « records », « premières mondiales ». Pas parce que je voulais absolument que l’on reconnaisse ces records, mais surtout pour que l’on parle de l’expédition. Je tire mes revenus, non pas de mes expéditions mais de mes conférences. La veille de mon arrivée au Québec, quand mon équipe m’a dit de corriger les faits, je pensais que cela allait briser tout ce que j’avais réalisé. J’ai décidé que le communiqué ne serait diffusé qu’après mon retour. J’ai veillé à rectifier l’erreur lors des entrevues avec les médias. Certains ont décidé que la question des records n’était pas essentielle, car c’était trop technique. Mais lorsque la polémique est sortie, là c’était devenu primordial. Ce fut deux semaines de communication très extrêmes!

Y a-t-il des choses que vous regrettez?

FD : J’ai commis des erreurs. Mais ce qui est plus important encore que de se donner le droit d’en faire, c’est de savoir pourquoi on les a faites. On dit qu’en marketing, il n’y a pas de place pour la modestie. J’applique ce principe dans mes communications. J’ai besoin de la couverture médiatique pour publiciser des conférences et gagner ma vie. Je pense qu’à l’avenir, dans mes prochaines communications, je mettrais un bémol à ce principe.

(NDLR) Le pôle Sud géographique est le point le plus au sud de la surface de la Terre. À environ 878 km de là, se trouve le pôle Sud d'inaccessibilité, le point du continent le plus éloigné de toute côte. Il fut atteint pour la première fois en 1958 par une expédition soviétique. Un buste de Lénine, vestige de l’ancienne station russe, y trône toujours.

Son expédition en chiffres

4 382 kilomètres parcourus en 54 jours.

626,6 km, la plus longue distance parcourue sans s’arrêter. Réalisée en 24 heures et 53 minutes.

137 kg : le poids de son traineau chargé :.

-57 °C : la température la plus froide de son périple (enregistrée par MétéoMédia).

120 km/h : la vitesse maximale du vent.
entre 4 000 et 5 000 calories : le nombre de calories absorbées par jour.

8 heures de sommeil par nuit en moyenne. Selon les conditions de vent, Frédéric Dion dormait entre 2 et 12 heures.
 

Commentaires (0)
Participer à la discussion!