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  • Crédit: Espaces

La genèse du premier numéro

À la naissance de la revue Espaces, il y avait beaucoup de monde autour du bébé. Le copain dévoué qui conduisait son Econoline pour la distribution de la revue pour un aller-retour de Montréal à Chicoutimi le même jour, avec des arrêts à Québec et Trois-Rivières. Les amis qui ont prêté leurs économies. La graphiste avant-gardiste qui défiait les nuits blanches. L'infatigable et talentueux photographe. L'amoureuse qui remplissait le frigo et qui a donné son « fax-ultra-moderne ». Et tous les collaborateurs-journalistes qui ont trempé leurs plumes pour donner vie à une nouvelle publication qui évolue encore. Petite, on la voyait déjà grande, influente et omniprésente. Nos compétiteurs, eux, la souhaitaient au cimetière aussitôt sortie de l'incubateur!

Le projet éditorial était précis : publier un magazine de qualité qui répond aux besoins des adeptes d'activités de plein air d’ici. Où aller? Quoi acheter? On voulait susciter l'étonnement, inciter le dépassement, créer le mémorable. Bref, un magazine qui déclencherait la réflexion et l'action. À cette époque, les magazines anglophones prenaient beaucoup de place. Mais ils présentaient des produits indisponibles ou des « destinations week-end » situées à 600 km de Montréal ou de Québec! À titre d'éditeur, je voulais un magazine inspirant et pertinent, doté d'un code d'éthique journalistique, et qui aurait de l'impact. Lancé à 30 000 exemplaires en septembre 1995, Espaces a depuis augmenté son tirage régulièrement pour atteindre les 70 000 exemplaires aujourd’hui.

Après plus de 15 ans, on ne se trompe pas en disant que la revue a contribué à la réalisation de fabuleux voyages et que des propositions de lectures, de conférences et de festivals ont suscité des rencontres marquantes, que des enquêtes ont porté à réflexion et que des conseils ont été vraiment utiles.

Traiter avec rigueur des thèmes reliés aux destinations, à des essais de produits ou à des enjeux d'actualité fait partie intégrante (et pour encore longtemps) de notre façon de faire. Les commentaires des amis sont utiles, mais vaut mieux avoir aussi ceux des pros qui testent et comparent, qui investiguent les enjeux et les questions de société. Suis-je étonné de savoir que des publications québécoises vendent maintenant leur couvert aux plus offrants et publient des textes étiquetés « journalistiques » alors que ce sont en réalité des publireportages? Non. Ce n'est pas nouveau et la dureté du milieu de l'édition du magazine ne fait qu'amplifier cette situation. Je me console en me disant que la majorité des gens de plein air est constituée de lecteurs critiques et qu'on ne doit pas prendre ces derniers pour des valises.

En 17 ans, la pratique d'activités de plein air est passée d'un statut de relative marginalité à celui de mode de vie. Courir, grimper ou marcher en montagne, descendre des pistes de ski, pagayer sur le fleuve, s'entraîner à vélo, tout ça est maintenant mainstream. Si le plein air des générations précédentes était perçu comme « grano » – les barbes longues, les sandwichs au tofu et les bas de laine tricotés maison étaient la norme! –, celui d'aujourd'hui a radicalement changé. Le plaisir d'être actif à l'extérieur est toujours là, mais le raffinement est de mise : on exige des équipements performants, des nuitées confortables, des repas plus près de la gastronomie que du GORP. Pas étonnant que les parcs peinent à trouver preneur pour les emplacements de camping traditionnels.

Espacesen est donc à son 100e numéro. On marque le coup en augmentant notre tirage et en optant pour un papier de plus grande qualité. Résultat : une plus grande portée et une expérience de lecture enrichie.

Mais au-delà de ces bonnes nouvelles, une question mérite d'être soulevée : ne serait-il pas temps que le Québec se dote d'une véritable politique d'accès à la pratique d'activités de plein air? Contrairement aux États-Unis où l'industrie du plein air est dotée d'un puissant lobby, au Québec, à part Vélo Québec, le milieu est mollement représenté. Et ce n'est pas à cause de ses représentants, mais plutôt faute de moyens.

En 2010, la Maison-Blanche a reconnu l'importance d'inciter la population américaine en général et les jeunes en particulier de profiter davantage du grand air. L'America’s Great Outdoors Initiativevise à reconnecter les Américains avec la nature et à soutenir les efforts de la communauté afin de conserver et restaurer les lieux de plein air. Y a-t-il des chances qu'on puisse mettre en place une telle initiative qui impliquerait plusieurs ministères et organisations? Le projet Québec en forme (quebecenforme.org) s'en approche, sans être spécifiquement orienté vers le milieu du plein air.

Ceux qui gravitent dans le milieu savent que les enjeux des prochaines années concernent l'intérêt des plus jeunes pour le grand air et tout ce qui touche l'accessibilité, qu'elle soit géographique, économique ou liée au temps que nous avons de disponible. Est-ce parce qu'on a longtemps associé par erreur « plein air » et « sports extrêmes » que ce secteur de l'activité physique n'a jamais été vraiment priorisé ? Peut-être. Mais il n'est pas trop tard pour (s')investir.

De trop nombreusesétudes scientifiques arrivent à la conclusion que la disparition progressive de la nature dans la vie des enfants (et des adultes) occasionne un impact majeur sur leur santé, mentale et physique. On évoque l’obésité, les déficits de l’attention, la haute pression, l’asthme, les désordres reliés au stress, etc. À ce sujet, le livre de Richard Louv (The Last Child in the Woods: Saving our Children from Nature Deficit Disorder) et celui de François Cardinal (Perdus sans la nature) sont éclairants.

Le plein air n'est pas un remède miracle à tous nos problèmes. Mais en plus de ses bénéfices sur notre santé, il y a ceux qu'une sortie en plein air est susceptible de nous apporter : la confiance, la détermination, le courage, nos réactions face à l'imprévu et nos interactions avec nos semblables. En plus des innombrables plaisirs associés! Tiens, ça ressemble pas mal à ce qui a motivé la création de la revue et à ce qui nous incite aujourd'hui à continuer l'aventure!

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