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  • Crédit: Alain Thibault

Plan Nord et plein air : à la croisée des chemins

Entendez-vous les pépines, les pelles mécaniques et les foreuses qui piaffent d'impatience qu'on ouvre les vannes du Nord? Qu'en est-il du développement touristique dans ce nouvel eldorado? La question se pose, mais les réponses se font attendre...

Avec tout le battage médiatique qu'il suscite, personne ne doutera que le Plan Nord constitue dorénavant le principal fer de lance du gouvernement pour vendre le Québec et ses richesses au reste du monde et prétendre assurer notre futur économique pour les décennies à venir. À d'autres époques, des ambitions de nature similaire auront procuré à notre vocabulaire les mots « Manic » puis « Baie-James », sans oublier une ruée vers le fer qui aura mis la Côte-Nord sur la carte minière mondiale.

Mais au-delà de la vente de nos ressources qui s'y trouvent et grâce aux beautés de ce territoire grandiose, on peut également y importer des touristes. Ce n'est pas nouveau que l'on tente de faire découvrir ce territoire aux aventuriers : les pourvoyeurs de chasse et de pêche ont depuis belle lurette investi les espaces autrefois gérés par la Compagnie de la Baie d'Hudson, au plus grand plaisir des fortunés touristes étrangers. Mais hormis cette « chasse gardée », à quoi se résume le tourisme au Nord? À une longue traversée pour aller visiter les barrages à Radisson ou au nord de Baie-Comeau? À skier les monts Groulx en autonomie? À faire de la motoneige avec des Français à Chibougamau? Ou encore à des voyages inabordables au pays des Inuits? Il y a bien quelques réserves fauniques et zones d’exploitations contrôlées au-delà du 48e parallèle (et depuis peu, deux parcs nationaux au Nunavik), mais il faut trimer dur pour dénicher un produit touristique qui sort des créneaux convenus et qui interpelle une clientèle un plus large.

 

Entente et attente
En mai 2011, la présentation en grande pompe du Plan Nord faisait la part belle aux industries minière, forestière, de l'énergie et des transports, avec en complément la formation de main-d’œuvre, la protection du territoire et une vague ambition de « faire du nord du 49e parallèle, d’ici à 2021, une destination de tourisme durable de classe mondiale ». Le Ministère concerné avait laissé entrevoir la possibilité d'une annonce officielle dès l'automne 2010, laquelle fut reportée à l'été suivant puis à l'automne. C'est finalement en novembre dernier que le premier ministre présentait les orientations générales du Plan Nord touristique : 20 % du territoire déclaré comme aires protégées, 30 % soustraits à l'exploitation d’ici 2035 (pour un total de 50 % du territoire protégé), 32 M$ investis par le gouvernement provincial, des recettes touristiques annuelles évaluées à 140 M$ et 200 000 nouveaux visiteurs espérés par année. En janvier, la ministre du Tourisme, Nicole Ménard, visitait deux communautés de la nation crie et inuite pour annoncer différentes aides financières pour l'aménagement d'hébergements touristiques.

Crédit: Stéphane Cossette

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres : « Je n'ai même pas encore reçu les sous pour des aides financières accordées avant l'annonce du Plan Nord », dit Dany Girard, fondateur d'Escapade Boréale, une des rares entreprises de plein air dignes de ce nom en Jamésie. Malgré tout, il demeure prudemment optimiste : « Je ne crois pas que l'on va assister à une ruée vers le nord étant donné que l'on ne sait toujours pas ce qui sera proposé. Mais nous allons tout de même de l'avant avec le développement de produits adaptés aux réalités d’ici qui sont au diapason des aspirations locales. »

Les notions de concertation et de consensus sont des éléments-clés pour la réussite, qu'importe le type d'industrie. Mais selon Jean Chartier, directeur général de Tourisme Baie-James et délégué sectoriel à la Table des partenaires du Plan Nord, l’industrie du tourisme manque particulièrement de concertation, un problème exacerbé par une destination aussi vaste et disparate que le Nord québécois. « Ce pays est si grand! Les contextes géographique, culturel et social ne sont pas semblables si l'on se trouve à Radisson, à Chibougamau, à Sept-Îles ou à Kuujjuaq. Il ne peut y avoir de développement tangible et durable sans une vision et une volonté partagée, avec un appui gouvernemental fort. » Il pense aussi que le Plan Nord est l'opportunité de faire un grand bond en avant : « Il y a un intérêt pour le tourisme nordique au niveau international. Nous avons un produit de qualité, mais nous ne sommes pas concurrentiels en termes organisationnels. » C'est bien là l'une des rares choses sur laquelle tout le monde s'entend : infrastructures d'accueil déficientes (hébergement et restauration), rareté d’une main-d'œuvre qualifiée, transports laborieux et rudesse géographique et climatique constituent des obstacles au développement du tourisme dans ces régions éloignées.

Premiers arrivés, premiers servis?
Le Plan Nord comporte d'emblée une série de mesures pour s'attaquer à ces problèmes avec des investissements prévus pour les routes et le développement socio-économique des communautés. Mais on va trop vite en voulant construire des chambres d'hôtel pour des touristes dans des communautés autochtones où il y a depuis des années une crise non résolue du logement. « Difficile de parler d'une seule et même voix, explique Dave Laveau de Tourisme Autochtone Québec. Les réalités des différentes nations concernées (Cris, Innus, Inuits et Naskapis) sont très différentes. Certaines d’entre elles ont déjà une bonne idée de ce qu'on veut accomplir en termes de développement touristique et travaillent en partenariat avec des gens du sud. Les autres sortent à peine de leur vase clos. » Le directeur de l'association touristique sectorielle (à ne pas confondre avec une association touristique régionale), qui se veut à la fois un facilitateur au développement des entreprises autochtones et le porte-voix des Premières Nations au niveau de l'industrie, croit que le Plan Nord représente néanmoins une occasion à saisir. Lui aussi attend impatiemment de voir la suite...

Crédit: Jean-François Lamarre, MDDEP

Chez Escapade Boréale, le silence  des autorités gouvernementales n'empêche pas le bouillonnement d'idées et d'initiatives qui pourraient servir d'exemples aux gens tentés par l'aventure du Plan Nord touristique. En même temps qu'il lorgne du côté des monts Otish, un massif au moins aussi intéressant que les monts Groulx qui sera bientôt bordé par la progression de la route 167, Dany Girard a lancé à l'été 2011 un projet-pilote de canot-trek-camping avec des guides cris. Son intention est de nourrir cette collaboration tant recherchée avec les communautés présentes sur le terrain : « Je ne crois pas que ceux qui se désintéressent du contexte local ou ne le respectent pas puissent faire long feu ici. »

Le Nord inabordable?
À la direction des parcs québécois, on semble avaliser cette même philosophie de développement, qui tend à se tenir loin du tourisme de masse. Serge Alain, directeur du service des parcs au Ministère du développement durable, de l'environnement et des parcs, note que sur le terrain « on ne veut pas d'envahissement, même si les retombées économiques peuvent paraître alléchantes. Au Nunavik, depuis l'avènement récent des parcs des Pingualuit et Kuururjuaq, nous constatons que la population locale développe un sentiment d'appropriation à l'égard de ces nouvelles entités territoriales. » Même scénario chez les Cris, plus au sud, qui seront carrément les gestionnaires du futur parc Albanel-Témiscamie-Otish, l’un des rares au monde qui englobe une communauté établie (celle de Mistissini). On veut donc poursuivre dans cette voie avec l'autre réserve de parc autour de la rivière Assinica, toujours en Jamésie. Compte tenu de son accessibilité par la route, on peut supposer que cette région concernée par le Plan Nord pourra attirer une certaine clientèle québécoise…

Tout en haut, dans la toundra et la taïga inuites, les premières bases jetées par les parcs des Pingualuit (autour du fameux cratère météoritique du Nouveau-Québec) et Kuururjuaq (qui remonte la rivière Koroc jusqu'aux majestueux Torngats) devraient permettre à deux autres parcs de voir le jour avant la fin de la décennie. Celui de Tursujuq met en vedette une spectaculaire enclave de lacs qui mènent à la côte hudsonienne, alors que celui des monts Pyramides exhibe la géologie particulière du plateau de la rivière George. « Ce sont des produits d'appel exceptionnels par leur virginité, autant que les parcs en Patagonie ou même dans l'Himalaya. On y privilégie évidemment des forfaits encadrés (plutôt que des visites en autonomie), compte tenu du caractère imprévisible du territoire et du fait que cette façon de faire renforce la participation locale », spécifie Serge Alain. Ici, c'est essentiellement la clientèle étrangère (et bien nantie) qui est concernée, car à moins d'une révolution dans la tarification du transport aérien au nord, peu de Québécois se payeront ce voyage.

Alors, que pourront y changer les velléités du Plan Nord? Si la portion la plus au nord demeure un produit de niche relativement exclusif, la partie sud pourrait se développer et devenir plus accessible. Mais 32 millions de dollars suffiront-ils à la tâche? À titre de comparaison, la ville de Westmount, à Montréal, se dotera bientôt d'un nouveau complexe sportif, au coût de 37 M$. L'avenir (et beaucoup de patience) nous dira si le tourisme au nord du 49e parallèle est un projet viable.

Commentaires (1)
Participer à la discussion!

SNAP Québec - 04/04/2012 10:11
Agissez pour protéger nos parcs dans le Nord!

Le gouvernement s'apprête à prendre une décision sur le sort de la majestueuse rivière Nastapoka, signez notre pétition pour demander sa protection :
http://salsa.democracyinaction.org/o/2463/l/fre/p/dia/action/public/?action_KEY=9192

Pour plus d'information : http://snapqc.org/campaigns/riviere-nastapoka

Marie-Eve Allaire,
Société pour la nature et les parcs - SNAP Québec