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  • Crédit : Scott Sporleder, Adventure Canada

Terre-Neuve-et-Labrador : croisière-expé en terre inuite

Qu’ont en commun un Viking, un pêcheur de baleines et un chasseur inuit? Un territoire mythique et une histoire millénaire à raconter. Partons à leur rencontre lors d’un périple maritime le long des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador.

Décrits par les Vikings dans leurs sagas nordiques comme une « région de grandes forêts peuplées de nombreux ours », l’île de Terre-Neuve et surtout le Labrador ont peu changé depuis l’exploration de ces marins scandinaves, qui ont vraisemblablement été les premiers Européens à fouler le sol nord-américain, autour de l’an 1 000.

Si leur périple les a conduits du Groenland à Terre-Neuve, à travers la mer du Labrador, j’ai pour ma part effectué le chemin inverse, en naviguant de St John’s jusqu’à l’extrême nord du Labrador à bord d’un bateau de croisière-expédition, l’Ocean Endeavour. Récit d’escale en escale.

Jour 1 : Iceberg Alley

Crédit : Dennis Minty

Avec sa coque renforcée digne d’un brise-glace, l’Ocean Endeavour se fraye un chemin à travers les glaçons géants qui parsèment Iceberg Alley, le long des côtes du Labrador et de Terre-Neuve. Chaque année, de 10 000 à 40 000 de ces masses de glace se détachent de la banquise groenlandaise et flottent sur une distance de 3 000 km pendant deux à trois ans, avant de s’en aller fondre sur les côtes de Terre-Neuve… ou bien au fond d’un verre! Tradition à bord, on souhaite la bienvenue en préparant un « Iceberg cocktail ». Verdict : ça goûte l’eau plate…

Nous accostons au port de St.Anthony, à la pointe de « l’index » de Terre-Neuve. C’est là que nous trouvons des traces de nos Vikings voyageurs. Au Lieu historique national de L’Anse-aux-Meadows, Leif Erikson en personne (un guide costumé, en fait) partage l’histoire de la fondation de sa colonie dans l’une des maisons de tourbe reconstituées, telles qu’elles devaient être en l’an 1 000. Ce marin à la barbe rousse raconte que, malgré la brutalité réputée des Vikings, les multiples heurts avec les communautés amérindiennes de Terre-Neuve ont finalement réussi à refroidir leur désir d’exploration du continent nord-américain, leur faisant faire demi-tour après seulement dix années de colonisation.

Jour 3 : Traversée du détroit de Belle-Isle

À bord de notre drakkar des temps modernes, nous franchissons le détroit de Belle-Isle, entre Terre-Neuve et le Labrador. Une autre rencontre particulière nous attend alors, lors de la seconde escale du périple. Cette fois, c’est Ana qui nous accueille (son incarnation moderne, à tout le moins) au Lieu historique national Red Bay, où son époux, feu Juan Martinez de Larrume, était pêcheur de baleines au 15e siècle. Pas moins de 2 000 marins basques chassaient ici la baleine boréale, il y a plus de 500 ans.

Ana nous conduit à travers les replis herbeux de Saddle Island, une petite île faisant partie du site historique, jusqu’aux vestiges des fours où étaient fondus les épais morceaux de graisse des cétacés. Commerce lucratif pour les pêcheurs basques, l’huile de baleine permettait aux Européens de s’éclairer et de se chauffer à très bon marché à l’époque. La population de baleines boréales et de baleines noires ne s’est jamais remise de cette pêche excessive; le détroit de Belle Isle est, depuis, devenu un désert de cétacés.

Nous essuyons notre première tempête marine en pleine mer du Labrador. La houle fait dangereusement glisser les verres à vin sur les tables de la salle à manger, en partie désertée par certains passagers dont le teint est soudainement devenu verdâtre. Les vagues se déchaînent au large et une pluie froide s’abat violemment sur le pont. Un temps de rêve pour une croisière en plein mois de juillet!

Jour 6 : Au cœur du Nunatsiavut

Après deux jours mouvementés en mer, nous arrivons devant un paysage de toundra et de roches différent de celui du sud du Labrador, plus boisé. Le navire jette l’ancre à quelques encablures de Nain, village aux maisons blanches et aux toits colorés, qui est aussi la capitale du Nunatsiavut, le territoire inuit du Labrador. À notre arrivée, une drôle de vision nous attend sur le toit de l’église : un orchestre de cuivres est en train de jouer de la musique classique à plus de six mètres de hauteur. « C’est l’accueil à la mode inuite », badine Karrie Obed, le ténor de la chorale du village qui chante des cantiques… en inuktitut!

Karrie nous raconte comment la région a été colonisée par des missionnaires moraves d’Europe de l’Est, au 18e siècle. La communauté de Nain s’est ensuite développée lors du regroupement forcé, par le gouvernement, des populations nomades inuites autrefois disséminées sur tout le territoire. Nain est également la porte d’entrée symbolique du parc national des Monts-Torngat. Ce territoire est situé bien plus au nord du Labrador, mais Nain est le quartier général des gardes-parcs et abrite le centre d’information des visiteurs. Ce parc a la particularité d’être cogéré par Parcs Canada et par les communautés inuites du Nunatsiavut, dont les ancêtres ont autrefois habité le territoire.

Avant de mettre le cap sur les fjords monumentaux du parc national des Monts-Torngat, notre navire fait une dernière escale au village fantôme de la Mission-Hebron. Il s’agit justement du premier établissement des missionnaires moraves au Labrador, qui y ont construit la première école inuite au delà-du 57e parallèle, ainsi qu’un dispensaire, une église et un poste de traite. Le site est aujourd’hui abandonné, mais permet des randonnées magiques au cœur de la toundra subarctique.

Depuis notre escale à Nain, des guides inuits armés nous accompagnent et se déploient sur un large périmètre, afin de nous prémunir contre la curiosité du maître des lieux, l’ours polaire. N’oublions pas que nous sommes ici au cœur de ses quartiers d’été…

Jour 9 : Dans les fjords des Torngat

Crédit : Frédérique Sauvée

Ce matin-là, difficile de croire ce que je vois à travers le hublot de ma cabine : j’enfile à la hâte mes bottes, ma tuque et mes mitaines, et me voilà qui grimpe sur le pont supérieur. À cette heure encore matinale, je suis seule. À travers une brume épaisse apparaît le pied des géants de roche que sont les monts Torngat. Nous sommes au cœur du Saglek Fjord, le plus beau site du parc national qui les abrite. Derrick Pottle, notre guide inuit en chef, a aperçu à tribord un ours polaire et son petit. Une trôlée de passagers encore en pyjama accourt sur le pont. On aperçoit en effet deux petites boules de poil blanc qui gravissent les pentes du fjord, fouillant du nez le lichen, à la recherche de baies sauvages. Puis, nous jetons l’ancre à Ramah Bay pour une randonnée au milieu de la toundra en fleurs.

Après une courte ascension à travers des champs de roches et de lichens, nous atteignons le point de vue le plus spectaculaire du voyage. Sous nos yeux se déploie toute la splendeur du Labrador sauvage. Au pied d’une chute d’eau qui se jette dans la mer, le guide pointe du doigt d’étranges griffures sur la roche. Il y a moins de 30 minutes, un ours polaire a laissé sa trace lors de sa quête de nourriture.

Si les plantigrades descendent si bas sur le continent en été, c’est parce qu’ils chassent les phoques qui sont nombreux sur les côtes, explique Derrick. Carnivores, ils doivent également se rabattre sur les baies que l’on trouve à foison dans la toundra pour compléter leur alimentation estivale. Conséquence du réchauffement climatique? Il nous assure que l’ours polaire a toujours été présent dans le parc, puisque Torngat signifie « lieu habité par les esprits », que les Inuits représentaient sous la forme d’ours polaires gigantesques.

Jour 12 : À la frontière du Nunavik

Nous quittons cette terre mystique pour arriver à la pointe boréale du Labrador, qui marque la frontière avec le Nunavik québécois. En 12 jours, nous avons parcouru 1 500 km et passé du 50e au 60e parallèle nord. Je regarde défiler les collines arctiques en même temps que mes souvenirs de rencontre avec Leif Erickson le Viking, Ana la Basque, Karrie le musicien de Nain et Derrick, notre gardien d’ours inuit, dont les esprits m’habiteront pour le reste de mes jours.


Infos pratiques

Adventure Canada propose une croisière-expédition de 12 jours avec escales à Terre-Neuve et au Labrador, du 29 juin au 11 juillet 2016. À partir de 4 995 $/personne.
adventurecanada.com

Le MV Northern Ranger est un traversier qui effectue des liaisons entre le port de Happy Valley-Goose Bay, dans le sud du Labrador, et six villages côtiers du Nunatsiavut, pour les passagers (sans voiture). À partir de 157 $/pers. l’aller simple jusqu’à Nain (2,5 jours).
labradorferry.ca 

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