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  • Réserve faunique de Matane © Sépaq

Sauvetage sur le sentier international des Appalaches : le labyrinthe

Ce n’est pas parce que la réserve faunique de Matane est truffée de chemins forestiers qu’il est facile de s’en extirper, en cas d’urgence. Même que ceux-ci peuvent nous compliquer davantage la vie. Jusqu’où gruge-t-on nos forêts de l’intérieur? 


En juillet 2018, ma sœur et moi nous lançons sur le tronçon québécois du sentier international des Appalaches (SIA) pour quelques jours de marche dans la réserve faunique de Matane. Départ du lac Matane et arrivée prévue au pied du mont Nicol-Albert, quatre jours plus tard. Une section difficile du SIA, mais reconnue pour ses points de vue spectaculaires, en particulier depuis ce sommet et ceux des monts Pointu et Blanc. 

Il fait beau. Il fait surtout chaud, très chaud. Et humide. C’est la canicule comme jamais en Gaspésie, comme à La Havane au mois de juillet ou presque. Avec toute cette chaleur, la montée de plus de 700mètres de dénivelé entre le lac Matane et notre site de camping au lac du Gros Ruisseau devient exigeante. Une fois rendues, nous profitons du lac pour nous rafraîchir avant le coucher du soleil. 

Le lendemain matin, nous partons tôt afin de profiter du temps frais du matin, mais la fraîcheur avait quitté la forêt et s’était réfugiée sur les rivages du Saint-Laurent. Ici, à l’intérieur des terres, dans la réserve, il fait chaud et humide dès 7h. Encore plus que la journée précédente, nous semble-t-il. 

Après quelques heures de marche, je remarque que ma sœur ralentit le pas, qu’elle a besoin de plus de pauses. Vers l’heure du midi, les choses prennent une autre tournure. Ma sœur ne va pas bien: faiblesse, vomissements, diarrhées... Les symptômes d’un coup de chaleur. Nous prenons une très longue pause et, voyant que la situation ne s’améliore pas, je décide d’appeler mon mari à la rescousse. 

Appel à l’aide 

À l’endroit où nous nous trouvons, le sentier est en altitude et dégagé, et mon cellulaire fonctionne. J’explique à mon mari qu’il devra venir nous rejoindre sur un chemin forestier que nous traverserons dans environ un kilomètre et que je lui enverrai les coordonnées GPS avec notre appareil satellitaire (inReach) lorsque nous y serons. Il se trouve alors à Matane, et nous devrons attendre quelques heures avant qu’il nous sorte du bois. Ce que je ne savais pas encore, c’est que nous allions devoir patienter plus de 24heures à cet endroit. 

Mon conjoint a en main nos coordonnées GPS et des cartes détaillées de la réserve faunique. Il conduit un 4x4 qui lui permet d’emprunter les chemins forestiers les plus difficiles, et je m’attends donc à ce que ce soit une «sortie d’urgence» sans histoires. Mais c’était sans compter la toile d’araignée de chemins que les compagnies forestières ont tissée depuis des décennies, partout dans la réserve. Des chemins en cul-de-sac, des chemins non balisés, des chemins qui vont partout où il y a des arbres à récolter... donc vraiment partout. 

Le chemin forestier sur lequel nous nous trouvons, ma sœur est moi, est large et en bonne condition. Il donne donc à croire que c’est une route importante, facile à trouver et à suivre. Après moins d’une heure d’attente, une voiture approche. Je vais à sa rencontre et je jase avec le chauffeur. Je lui explique que mon conjoint, Francis, est en route pour venir nous chercher. Mais bientôt, une phrase de notre conversation résonne encore dans ma tête. Sur le coup, je n’ai pas allumé, mais durant les très longues heures d’attente qui ont suivi, elle jouait en boucle dans mon esprit inquiet: «Les routes ici, c’est un labyrinthe.» 

Tout le reste de la journée et une partie de la nuit, Francis poursuit sa quête dans ce dédale mal répertorié sur les cartes, incomplètes. Même les employés de la réserve n’ont pas de bonnes cartes pour tous ces chemins. Alors nous attendons, encore et encore. Heureusement, nous trouvons une source d’eau et un site pour installer notre tente. 

Nuit d’attente 

C’est une magnifique nuit de pleine lune avec une vue spectaculaire sur le mont Blanc, nous avons de la nourriture pour au moins quatre jours, l’état de ma sœur s’est stabilisé, voire amélioré, mais l’inquiétude affecte mon jugement. Je ressasse mes lectures sur les risques d’un coup de chaleur et à savoir comment une telle situation peut rapidement se détériorer. Toute la nuit, je crois entendre le bruit rassurant d’une voiture qui approche. 

Le lendemain, changement de tactique. Mon conjoint trouve un point d’accès au sentier à quelque trois kilomètres de nous. Il décide donc de venir à notre rencontre à pied. Un sympathique couple de Granby croisé plus tôt se porte volontaire pour l’accompagner. Quel soulagement de finalement les voir arriver en fin de matinée! 

Nous marchons ensuite ensemble, très lentement et avec beaucoup de pauses, pour retourner à la voiture. Entretemps, les policiers de la Sûreté du Québec ont été alertés et sont aussi à notre recherche. Deux d’entre eux commencent même à marcher sur le SIA avec tout leur équipement. En apprenant que nous sommes sur le chemin du retour, ils annulent leur appel pour du renfort avec un hélicoptère et des VTT — tout de même! —, puis nous accueillent avec beaucoup de gentillesse, ainsi qu’une ambulance pour parer à toute éventualité. Nous n’avons que des mots de remerciements pour tous les premiers répondants… Après coup, plusieurs réflexions me viennent cependant à l’esprit. 

D’abord, en cette ère de haute technologie, il n’est pas certain que les secours puissent aisément se rendre à nous facilement en cas de pépin, et ce, même s’ils connaissent nos coordonnées GPS. Être repéré, c’est relativement possible; être retrouvé, ça peut être plus compliqué. 

Ensuite, les compagnies forestières du Québec transforment nos forêts alors que la majorité d’entre nous n’en sait rien. Cette mésaventure m’a convaincue que je dois en apprendre davantage sur l’aménagement de notre territoire. Qui décide quels chemins forestiers peuvent être tracés? Est-ce que l’exploitation forestière a lieu dans toutes les réserves fauniques? Et les caribous, qu’en pensent-ils de ce labyrinthe? 

Cet été-là, j’ai mieux compris que la randonnée, c’est tout autant aller à la découverte de notre territoire que de toutes les décisions qui sont prises à son sujet…


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Commentaires (1)
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Flabbe - 17/09/2020 06:57
Vous posez des questions pertinentes. J’ajouterais celle-ci pour résumer. Est-ce que les forestières font ce qu’elles veulent, sans surveillance, dans les réserves fauniques ? Le gouvernement devrait les obliger à cartographier de façon précise, tous les chemins qu’elles tracent et rendre ça public. Probablement qu’elles en traceraient moins.