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  • Crédit: Michel Fortin

24 heures pour traverser Charlevoix

C’est l’un des sentiers les plus difficiles et longs au Québec. La Traversée de Charlevoix est située entre le parc national des Grands-Jardins et celui des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie. Alors que les randonneurs le parcourent normalement en six à sept jours, Michel Fortin est le premier coureur à réussir en moins de… 24 heures!

En 1977, Eudore Fortin créait la Traversée de Charlevoix, l’œuvre d’une vie de défrichage et de balisage, tronçon après tronçon, pour en faire un sentier connu et reconnu au Québec. Trente-sept ans plus tard, le 6 septembre 2014, une nouvelle page de la Traversée a été écrite. Son neveu, Michel Fortin, court les 105 kilomètres qui le composent en 23 heures et 20 minutes et inscrit ainsi son prénom (!) dans une histoire de famille liée à la région de Charlevoix et à son arrière-pays. « J’entends parler de la Traversée de Charlevoix depuis très longtemps dans ma famille », explique ce chirurgien maxillo-facial à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus (Québec). « C’est le coin de mes ancêtres. Mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père, tous du côté paternel, ont passé leur vie dans le parc des Grands-Jardins à guider pour la chasse et la pêche. Mon oncle a développé ce sentier. L’aspect familial est tellement fort que j’étais gêné de n’y avoir rien fait. Je voulais faire la suite des coureurs des bois », ajoute le coureur de 46 ans. Évidemment, l’oncle Eudore était très fier quand il a vu son neveu franchir l’arrivée après 24 heures d’efforts : « J’étais content de le voir réussir, même si je n’en ai jamais douté. J’avais confiance en lui et ses capacités. Il a tout fait pour se préparer et il a réussi! À sa manière, il s’est réapproprié le sentier que j’ai créé! »

Avant l’accomplissement et la récompense, il y a eu d’abord toute une année de préparation minutieuse et intensive : cinq entrainements de course par semaine, du conditionnement physique et de la musculation en endurance, le suivi d’une nutritionniste, l’organisation des points de ravitaillement, la recherche de coureurs qui l’accompagneraient durant une partie du défi, l’étude du terrain et de l’itinéraire grâce à l’expertise et aux conseils du « tonton ».

 

Crédit: Michel FortinPuis, à 18 heures le 5 septembre dernier, il s’est lancé dans l’aventure. Un effort de 24 heures, face à des éléments climatiques qui ne l’ont pas aidé. Dans la nuit, vers trois heures, un orage éclate et une pluie torrentielle s’abat sur le coureur. « Ce n’était pas une simple pluie, mais une averse remarquablement forte. Je pensais que cela ne durerait pas trop longtemps... Cela a duré sans arrêt pendant deux heures! Mentalement, ce fut un choc. J’arrivais quand même à maintenir ma température par la course ou la marche rapide, à garder mon objectif, malgré un sentier très glissant. »

Heureusement, les premiers rayons du soleil viennent regonfler le moral du coureur. « Ce fut comme une bouffée d’oxygène. J’avais l’impression d’avoir dormi toute la nuit. L’effet ressenti au lever du soleil a gommé toute la fatigue nocturne. J’étais plein d’énergie! » Les blessures n’arriveront qu’entre le 40e et le 50e km : des ampoules sous les pieds, qui se déchirent et s’ouvrent. « Après quelques minutes, j’étais comme anesthésié. Je n’avais plus de douleur, j’étais très confortable, sans sensibilité. J’ai été capable de courir très bien pendant le deuxième tiers du trajet. Mon corps réagissait très bien, même après tous ces kilomètres. Ça s’est gâté au kilomètre 90. Mes ampoules sont devenues très douloureuses, comme une sensation de brulure intense. Là, je n’étais plus capable de courir ni de marcher rapidement. »

Michel Fortin finira tout de même à boucler les 105 kilomètres, après une dizaine de kilomètres lents et pénibles, mais poussé par l’envie de réussir ce défi sportif tenté au profit de la Fondation de l’autisme de Québec (pour laquelle il a amassé plus 2 000 dollars de don!). « Michel est quelqu’un de tenace, qui ne lâche pas », confie Eudore Fortin. « Il a tenu le coup, malgré ses ampoules et la fatigue. Les deux derniers kilomètres du sentier, c’est une route carrossable. Mentalement, il aurait pu craquer et abandonner, mais il est allé jusqu’au bout du sentier et de lui-même! »

Une performance qui force le respect et l’admiration, pas seulement de son entourage, mais aussi de la communauté des coureurs. Parmi eux, Pierre-Étienne Vachon, qui va aussi tenter la Traversée en courant à la fin octobre, après avoir collaboré avec lui dans la préparation technique et géographique : « Ce qu’a réalisé Michel est impressionnant! Je lui tire mon chapeau, car il a enduré des conditions épouvantables. Il s’est perdu trois fois. Il a fait preuve d’une ténacité incroyable. Il a montré à tous que c’était réalisable de le faire, malgré tous les échecs dans l’histoire. » Comme il l’a fait envers son oncle, d’autres coureurs vont désormais pouvoir suivre le chemin maintenant tracé par Michel Fortin.

Lire l'entrevue de Pierre-Étienne Vachon, qui a lui aussi réussi à courir la Traversée de Charlevoix en moins de 24 heures.

Crédit: Courtoisie Pierre-Étienne VachonPierre-Étienne Vachon réussit la Traversée... en 21 heures !

Ils sont désormais deux à être membre du club très restreint de personnes à avoir réussi la Traversée du Charlevoix à la course en moins de 24 heures. Après Michel Fortin au début du mois de septembre 2014, c’est au tour de Pierre-Étienne Vachon, quelques semaines plus tard, les 21 et 22 octobre, de réussir ce défi sportif, en courant les 105 km de la Traversée et les 3 300 mètres de dénivelés positifs en 21 heures (dont 14 heures de progression). Pierre-Étienne Vachon nous raconte sa traversée.

Pourquoi tenter vous aussi cette Traversée de Charlevoix en courant ?

Pierre-Étienne Vachon : La Traversée de Charlevoix a toujours été pour moi un sentier mythique, de mon enfance. Je ne l’avais jamais parcouru, mais je suis un gars de plein air, qui a voyagé, travaillé en montagne... Etant dans ce monde-là, la Traversée revenait toujours. Quand j’ai commencé à courir, c’est devenu rapidement un objectif à atteindre, car c’était une espèce de légende, avec des histoires d’horreur et de difficultés qui en ressortaient. C’était aussi naturel de chercher une belle et grande distance. C’est donc devenu comme évidence. J’aimerais davantage être un aventurier/explorateur qu’un coureur. C’est aussi pour cela que je coure des longues distances.

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées pendant ces 21 heures ?

P-É V : D’abord, la blessure de mon chien Sputnik. J’ai dû le porter sur mes épaules alors qu’il nous restait 12 km à faire avant le prochain ravitaillement. Cela a été le plus grand questionnement auquel j’ai dû faire face. Chaque pas que je prenais était comme monter deux marches à la fois, sur de la glace, de la roche... Ce défi sportif, comme dans toutes aventures, on peut le voir comme des probabilités : "Quelles sont mes chances de réussir ?" Quand un événement de la sorte intervient, le pourcentage de réussite baisse radicalement car tu hypothèques ton corps, ton énergie à sortir un blessé. Tu te demandes si tu vas pouvoir réussir à finir. Finalement, j’ai réussi à passer à travers, en passant à tous ceux qui m’avaient aidé à préparer cette traversée, les gens qui la suivaient en direct, les commanditaires...
Le terrain était aussi un défi en soi : la glace et la neige qui recouvrait le sol, les cours d’eau glaciales à traverser. J’en ai compté 153 sur les 105 km de la Traversée. Plus d’un au kilomètre ! En bout de ligne, cela peut atteindre le moral et remettre en cause la réussite du défi.
Il y a eu aussi d’autres petits événements comme la rencontre avec un ours, à 15 pieds de moi, en avant du sentier. Il ne bougeait pas. J’ai été obligé de lui parler tranquillement en attendant qu’il s’en aille. Cela réveille les esprits ! Tous ces défis, ces contraintes font partie du processus. Tout projet comme le mien a son lot d’aventures, de péripéties et de difficultés. Au final, ça l’enrichit.

Pourquoi être accompagné de votre chien ?

P-É V : J’ai commencé à courir avec lui. C’est même à cause de lui que j’ai commencé à courir, car il nécessitait une grande dépense d’énergie. Il a toujours aimé courir. C’est comme un jeu. Dans un projet solo de ce type, cela aide beaucoup au niveau du moral. Il est aussi très utile pour transporter de l’équipement de survie, de communication. C’est un trotteur, un chien pas très rapide sur les courtes distances, mais une bonne endurance et constance sur 40, 50, 60 kilomètres. Dans les compétitions, on a souvent un lapin ou un peacer. Sputnik, c’est mon lapin !

Crédit: Pierre-Étienne Vachon, 500px.comEt les bons moments ?

P-É V : On met souvent l’accent sur les difficultés, mais 80% du temps, c’était juste des beaux moments. Je fais cette traversée parce que j’aime ça, pas parce que cela me tente de me mettre nécessairement dans le trouble. Il y a des sections, comme celle pédestre des Hautes Gorges, qui est absolument fantastique à l’automne. On court à environ 400 mètres des falaises et des grosses parois de granite. L’été, on ne voit pas ces ravins car il y a trop de feuilles. Le sentier est beau, à travers des pins. C’est une satisfaction de courir là-dedans, de prendre conscience de ce que l’on est en train de faire. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de douleur, mais c’est un plaisir de faire ce trip-là, de découvrir ces paysages, des panoramiques extraordinaires sur le Charlevoix avec le fleuve, les gorges. C’est magnifique et merveilleux !

Quelle préparation physique, mentale, logistique avez-vous suivie ?

P-É V : La préparation physique et mentale a pris une dizaine de mois. Au mois de juin 2014, j’ai parcouru le sentier de l’Orignac, qui part du Mont-Grands-Fonds jusqu’à Saint-Siméon et qui croise la Traversée de Charlevoix. Cette course de 44 kilomètres, très technique, était une répétition générale, pour tester mes capacités et celles de mon chien. De juin à septembre, j’ai fait tous les segments de la Traversée, certains à plusieurs reprises. Trouver aussi les chemins d’accès pour les ravitaillements dans ce labyrinthe de chemin forestier, pas vraiment indiqué et difficile d’accès quand on ne connait pas la région. Toute cette préparation logistique s’est mis en place durant quatre mois, durant une grande partie de mon temps libre : tester l’équipement, notamment de réparation et de survie ; prendre des photos et mémoriser les sections... Selon moi, il faut avoir toutes ces connaissances pour augmenter les chances d’un bon passage.

Quel était votre profil de sportif avant ce défi ?

P-É V : J’ai fait beaucoup de voyages plein air, en Australie, en Nouvelle-Zélande, dans l’ouest américain et canadien... Le plein air était toujours un loisir et même un travail par moments, avec un goût prononcé pour l’exploration. J’ai 37 ans et je suis d’une génération plus proche de celle d’avant, dans son désir de découvrir de nouvelles choses, mais en prenant le chemin le plus pour s’y rendre. Je n’ai jamais fait de sport organisé en soi, mais plutôt marcher dans une expédition avec un gros sac à dos d’escalade en montant une pente de 40 degrés. Pour moi, l’ultra-distance, c’est un moyen de découvrir et d’explorer de grands environnants dans un court laps de temps et d’une façon plus légère et plaisante qu’en expédition.

Quels enseignements et expériences en retirez-vous ?

P-É V : Pendant quelques années, j’ai concentré mes énergies sur la construction de mes entreprises. Je suis tombé dans la routine quotidienne du travail, en délaissant ma passion du plein air. Avec la course, je l’ai retrouvée. Ce projet était une façon de revivre, de retrouver ce que je suis. La preuve que pour être heureux dans la vie, j’ai besoin de jouer dehors, de parcourir du territoire. Cette fibre exploratrice est ancrée solidement en moi. Je pense que j’avais besoin d’en prendre conscience et ce projet m’a aidé à le réaliser.


Crédit: Courtoisie Pierre-Étienne Vachon

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