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  • Crédit: Laurence Labat

Mylène Paquette : 129 jours sur l’océan

La navigatrice québécoise a terminé sa traversée de l’Atlantique à la rame en solitaire après 129 jours de mer. Partie d’Halifax le 6 juillet dernier, elle a atteint les côtes bretonnes le 12 novembre, après avoir ramé 2 700 milles nautiques (environ 5 000 kilomètres). Elle devient ainsi la première rameuse nord-américaine à réussir cet exploit.

Comment vous sentiez-vous à votre arrivée?

Je ne comprenais pas encore très bien ce qui se passait. J’avais encore de la difficulté à saisir l’ampleur de la médiatisation de mon aventure. En fait, on est tous un peu surpris des proportions que cela a pris. J’ai dû refuser une trentaine d’entrevues lors de mon arrivée, car c’était trop. Le premier jour, j’en ai réalisé 15 rien qu’avant de débarquer de mon bateau, puis deux conférences de presse, une quinzaine le soir... Au total, je me suis adressée à environ 60-70 médias. En anglais, en français. Je mélangeais les phrases. Je me sentais comme un citron que l’on presse. Le lendemain, j’ai limité le tout à huit. J’étais trop fatiguée. Je n’ai dormi que deux heures lors de mes deux premières nuits. Je n’arrivais pas à m’endormir. Le lit ne bougeait pas comme sur l’océan…

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Vous vous êtes blessée plusieurs fois, notamment une commotion cérébrale. Dans quel état physique étiez-vous à votre arrivée?

Très fatiguée. J’ai passé un bon moment à l'hôpital de Bretagne Sud à passer tous les tests : scanneurs, électroencéphalogramme, etc. J’ai aussi rencontré un psychologue, celui qui s’occupe des navigateurs internationaux quand ils finissent le Vendée Globe. Je me suis sentie comme une V.I.P.! Ensuite, le problème s’est situé au niveau de mes jambes : les muscles qui permettent de se tenir debout étaient atrophiés, notamment au niveau de mes hanches, les abducteurs et les mollets, parce que mes jambes étaient souvent pliées ou en position pour ramer. J’ai aussi eu la plante des pieds enflée, car pendant quatre mois, je n’ai jamais vraiment mis mon poids sur mes pieds. Tout cela rendait ma marche difficile. Je ne me sentais pas autonome pour faire cent mètres toute seule! Même me tenir debout était compliqué. Je me sentais faible. J’ai perdu du poids et je ne pouvais pas lever de grosses charges. Après mon choc à la tête, deux semaines avant mon arrivée, j’étais épuisée.

Cette traversée était-elle plus difficile que vous l'imaginiez?

Oui, mais ce n’est pas la chose la plus difficile dans laquelle j’ai mis les pieds. L’été dernier, j’avais fait un voyage en voile avec plusieurs personnes. Il n’y a rien de pire que de ne pas s’entendre avec quelqu’un qui est sur le même bateau... Dans les moments durs, je me disais : « C’était pire l’année passée! »

Crédit: Mylène PaquetteVous avez quand même subi des conditions climatiques compliquées…

J’ai eu 30 dépressions, dix tempêtes avec des vents à plus de 55 nœuds (environ 100 km/h), dix chavirages. Mais au-delà de se faire brasser, cela m’a appris l’humilité. On a beau chialer ou rager, c’est toujours la mer qui a le dernier mot. Il faut être prudent, car tu risques ta vie. Mais ne pas tout prendre au sérieux et avoir un bon sens de l’humour m’ont aidé à passer au travers de ces moments-là. J’avais aussi des petits moyens pour créer des moments magiques, cocasses ou ridicules en faisant des bulles à savon. Tous les jours, je me demandais quelles étaient les cinq bonnes choses de la journée. Mais il n’y avait parfois rien de bon. Je faisais des bulles dans ma cabine. Je me disais : « Tout le monde pense que je rame, alors que je suis pris dans une tempête, coincée dans ma cabine à faire des bulles ». C’était complètement absurde!

Vous dites avoir pensé à abandonner, surtout au début de la traversée, dans les eaux canadiennes où vous ne pouviez pas ramer. Qu'est-ce qui vous a fait tenir et continuer?

Je n’ai pas de mérite : c’était tout simplement impossible de revenir. J’étais obligée de renoncer… à ne pas renoncer! Continuer vers le nord pour Terre-Neuve aurait été plus difficile que d’établir une route vers le Gulf Stream. Pour croire encore en mes chances, je me suis mise à prendre les choses une à la fois, jour après jour. L’objectif était d’atteindre le Gulf Stream, comme un âne après sa carotte. J’essayais toujours de l’atteindre, mais je n’y arrivais pas. J’étais censée le faire au bout de deux semaines. Cela m’a pris deux mois, et au moment de l’attraper, je l’ai perdu très rapidement, en cinq jours. Je n’avais pas de chance. Mais je me suis toujours concentrée sur la journée en cours, une par une, étape par étape. C’est comme ça que j’ai relevé les défis.

Qu'est-ce que vous avez appris sur vous-même durant cette traversée?

L’attitude est la seule que l’on peut contrôler. Il faut que ces leçons me suivent, car je suis une fille chialeuse en général. Il faut que je puisse garder une bonne attitude. J’aimerais conserver ces leçons et les appliquer dans la vie de tous les jours. On dirait que c’est plus simple, seule sur l’océan. Même si tu es bien entourée par ton équipe de sol, tu dois arrêter de te plaindre. Il n’y a personne pour te prendre dans les bras et te consoler. Il faut que je conserve cette attitude. J’ai appris à développer mon humour. Je peux être drôle! La créativité aussi. Je me souvenais que j’étais très bonne en création artistique plus jeune. Mon talent de photographe est un peu revenu à la surface. À la toute fin de la traversée, je n’avais plus d’électricité. Je ne pouvais plus prendre de photos vidéo. Je me suis rendu compte que j’avais besoin de créer. J’ai donc commencé à réparer plein de choses, même si cela n’était pas nécessaire.

Quels ont été les beaux moments de la traversée?

Ma rencontre avec le Queen Mary II fut la plus belle journée de ma vie, encore plus que mon arrivée à Lorient. C’était hors contexte. Cela sortait de nulle part. Voir ces milliers de personnes sur le ponton crier mon nom, je n’y croyais pas. J’étais émue. J’ai pleuré de joie après leur départ. Cela m’est resté pendant deux ou trois semaines. Je me mettais à pleurer dès que l’on m’en parlait. Cela m’est arrivé pendant une entrevue à la radio. Cela venait me chercher. J’avais touché du doigt la fraternité des gens de la mer. De voir que ce gros bateau savait que j’existe et qu’il s’est déplacé pour moi, c’était particulier.

Crédit: Mylène Paquette

Pas trop difficile ensuite de les quitter et de retourner dans cette solitude de navigatrice?

Non, cela ne m’a pas fait de peine. Le lendemain de cette rencontre, j’ai ouvert les ballots. Ma sœur me demandait : « Pourquoi tu ne les ouvres pas tous? Il y a peut-être de la crème glacée! » J’avais du café et plein d’autres choses : des fruits, des viennoiseries, des légumes. Un rutabaga. Je ne savais pas quoi faire avec ça! J’ai étiré cela pendant deux semaines. J’avais plein de petit bonheur tous les jours. Quand le Queen Mary II a accosté à Southampton, des passagers m’ont envoyé des messages, publiés des photos et des vidéos sur les réseaux sociaux. J’ai donc surfé là-dessus pendant trois semaines au moins. Je n’ai pas éprouvé de tristesse après leur passage.

Avant votre départ, vous nous disiez : « Quand je suis sur mon bateau, je ne pense ni au passé, ni au futur, mais au moment présent. Je suis dans une espèce de transe, où je ressens mieux ce qui m’entoure, l’environnement, les étoiles. Je ne pense pas à ma déclaration d’impôts! » Vous avez pu ressentir cette transe?

C’est vrai, je n’ai pas pensé à mes impôts! J’ai ressenti cette transe une bonne partie du voyage, surtout quand ça allait bien et que je pouvais avancer. Les meilleures journées sont celles où j’ai ramé. Les plus difficiles, celles où j’étais enfermée. Les gens mettent beaucoup l’accent sur : « Hey, tu as vraiment ramé! » Moi j’aimerais mieux qu'on dise : « Hey, c’était tough de rester enfermée! »

Comment ça se passe la vie en mer?

Les journées où je ramais, je me levais vers 7 ou8 heures. J’étais en phase avec le soleil, malgré le fait que je marchais à l’heure internationale. Vers 9 h, j’avais fini mon déjeuner et je faisais ma job de communication : choisir les meilleures photos de la veille pour les envoyer sur les réseaux sociaux. Puis, vers 11 h, je m’alignais pour ramer deux blocs de trois heures. Quand les conditions étaient bonnes, je faisais deux fois quatre heures, avec une pause au milieu. J’arrêtais de ramer une fois le soleil couché. J’ai pu ramer quelques fois de soir, quand je pouvais planter mes deux rames dans l’eau en même temps, ce qui n’est pas simple quand on ne voit pas les vagues et la houle. Je finissais toujours la journée avec mon rapport météo à Rimouski.

Crédit: Mylène PaquettePlus vous avanciez, plus on sentait que les gens s'intéressaient à vous, postaient des messages d'encouragement sur les réseaux sociaux. Est-ce que vous avez pu également constater cet engouement?

Je parlais tous les jours aux personnes responsables de mon compte Twitter et Facebook. Elles me donnaient le feedback de ce qui se passait sur les réseaux sociaux : le nombre de partages, d'admirateurs, leurs gouts pour telles ou telles photos. J’avais des données, mais pas nécessairement de commentaires. J’ai peut-être eu une dizaine de courriels avec une cinquantaine de commentaires chacun. Je pouvais deviner l’engouement, mais ce n’était pas tangible. Je ne pouvais me connecter sur les réseaux sociaux moi-même. J’envoyais, tôt le matin, des courriels à mon équipe au sol, dans lequel je dictais le texte et j’indiquais l’heure de publication.

L'un des objectifs de cette traversée était « de parler de la mer, de sa fragilité, des nombreux déchets qui y sont déversés ». Qu'est-ce que vous avez pu observer sur le milieu et la faune marine?

Ce qui m’a vraiment impressionnée, c’est le nombre de déchets. J’en voyais beaucoup, une grosse quantité, surtout quand je suis arrivé sur le Gulf Stream. La mer est un milieu vivant. Il y a tellement d’espèces animales! J’ai pu en observer quelques-unes : des oiseaux tout le temps, des dauphins régulièrement, une quarantaine de baleines. Certains me suivaient, comme un globicéphale. Quand ils entraient en contact avec moi, je leur donnais un nom, une petite personnalité. Je pense que le public aimait ça : Velcro, Dentine, Pépin. J’essayais de trouver des noms en lien avec le vécu que j’avais avec eux. Je voulais les personnaliser pour que les gens s’attachent à ces espèces, y prêtent davantage attention. Il faut les protéger. La mer n’est pas juste qu’un grand désert d’eaux tumultueuses et dangereuses. Ce n’est pas non plus juste une frontière entre deux pays. Je pense qu’en partageant mon aventure, en étant généreuse d’informations de ce que j’ai vu et vécu, les gens seront peut-être enclins à prendre de meilleures décisions. Pas seulement les individus, mais aussi les entreprises. Pour moi, quelqu’un de courageux, c’est une personne qui met ses culottes et qui se demande si l'on peut faire des choix plus responsables en matière d’environnement. Dans l’océan Pacifique, il y a un phytoplancton pour 26 particules de plastique microscopique... On se pose des questions sur la provenance du cancer, mais on a du plastique et on en mange. On se nuit nous-mêmes en portant préjudice à la mer. J’espère avec le temps articuler de mieux en mieux mon message pour pouvoir véhiculer de l’information. En étant partenaire avec Québec Océan, cela me donne beaucoup d’informations et de forces pour m’exprimer devant des gens dans différents milieux et parler de la mer un peu partout.

Avez-vous déjà réfléchi à un autre projet d’aventure?

Mon prochain projet sera à la voile. Je suis en période de réflexion mais aussi d’approbation. Il faut que l’équipe au sol et les parents soient d’accord. Je me réserve encore la surprise. On en parlera en temps voulu. Mon commanditaire principal, l’entreprise Bio-K+, me garde pour les cinq prochaines années. Sa demande, c’est que je navigue, pour pouvoir les représenter. C’est une méchante tape dans le dos! Je ne pensais pas que cela allait m’arriver. Je suis contente de l’ensemble de mes partenaires : Cushe, Zora, Bio-K+. Je suis chanceuse, car c’est tellement difficile de trouver des commanditaires au Québec!

Quelle suite allez-vous donner à cette aventure?

Plusieurs films vont être réalisés : un documentaire de 45 minutes pour l’émission Océania sur Explora, et 12 minutes pour l’émission Découvertes. Il y a également le livre : j’aimerais publier un livre qui raconte mes cinq dernières années. J’ai écrit beaucoup de textes durant toute cette période. Je voudrais en publier une partie. Il va y avoir beaucoup de produits dérivés. Je n’aurais pas le temps de m’ennuyer, sauf de l’océan!

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