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  • Lever du jour autour du Pico Do Arieiro © Gary Lawrence

Madère, la petite île qui fait voir grand

Au large de l’Afrique, une ravissante île volcanique laisse bouche bée par la splendeur de ses atours naturels, sa biodiversité exceptionnelle et ses innombrables possibilités de grandioses randonnées.


Il m’aura fallu languir longtemps à zieuter piteusement le maelström nuageux avalant les sommets, poireauter des jours durant pour avoir droit à une embellie, mariner dans ma sueur avant de voir percer les picos, pics emblématiques de cette île portugaise. Car à chaque chant du coq, un ciel de plomb accablait les hauteurs de Madère, même quand le soleil de « l’île de l’éternel printemps » continuait de luire sur le littoral.

J’avais alors le choix : entamer la plus spectaculaire randonnée madérienne, celle qui relie les picos do Arieiro (1818 m) et Ruivo (1862 m), en m’engluant dans une nuée opaque et en ne voyant qu’un sentier blafard… ou attendre l’apaisement des humeurs aériennes de cette île narguant l’Atlantique à 600 km du Maroc.

Un jour, j’ai essayé d’atteindre le pico Ruivo, aisément accessible en une heure de marche, rien que pour profiter de la vue. Mais le temps s’est rapidement gâté : pluie intense, vents fâchés, ciel bouché... On n’y voyait pas plus loin que le bout de son galurin, et encore. C’est que malgré un climat tempéré à l’année, le ciel de Madère est caractériel; il s’emporte facilement et peut mettre bien du temps à décolérer, surtout lorsque ses nuages trébuchent sur ses pics et ne s’en relèvent pas. Alors, j’ai pris mon mal en patience.


Ponta de Sao Lourenço (à gauche). Entre deux picos (à droite). © Gary Lawrence

D’ici à ce que le pourtour des sommets se mette à beaucir, j’ai entrepris d’explorer les autres sentiers de randonnée de l’île. Il y en a tant, pour tous les goûts et tous les calibres : des ultrafaciles, des corsés, des vertigineux, des épuisants, des cardiostimulants, des pépères… On peut même traverser l’entièreté de l’île à pied par ses sommets, si d’aventure on se sent d’attaque. En tout, celle-ci compte pas moins de 1400 km de sentiers; pas si mal pour un caillou volcanique d’à peine 741 km2.

Bien que Madère – l’île principale de l’archipel éponyme – soit plutôt développée et bien occupée par ses 250 000 habitants, surtout sur son littoral sud, la nature y demeure reine et de larges pans de son territoire sont restés vierges – surtout dans le Nord-Ouest et dans les forêts d’altitude, qui chatouillent le ciel sous les 2000 m.

L’île-jardin de l’Atlantique


De Paul Do Mar à Jardim Do Mar © Gary Lawrence

Parce que la randonnée y est éminemment recherchée, de nombreux sentiers de Madère sont adroitement balisés et fort bien aménagés – trop, diront les puristes –, souvent empierrés par souci de durabilité et toujours dotés de garde-fous (un discret câble, en fait) dans les passages les plus périlleux.

Avec autant de semelles qui foulent ces lieux, on n’a eu d’autre choix que d’encadrer et de protéger ces passages souvent séculaires. Il faut dire que certains sentiers de Madère sont prodigieusement vertigineux, accrochés à un escarpement, grugés en surplomb à même le roc de parois abruptes, suspendus comme de longs balcons aux limites du vide ou tracés suivant une ligne de crête étroite et exposée.

Plusieurs de ces chemins pour bipèdes sillonnent la plus vaste forêt laurifère de la planète, l’un des derniers vestiges des étendues boisées qui couvraient jadis l’Europe, il y a des millions d’années. Des experts assurent même que la biodiversité madérienne n’a rien à envier à celle de certaines régions d’Amazonie. Si bien qu’en 1999, cette forêt primaire à 90 % fut inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.


Plusieurs sentiers de Madère longent les levadas, des canaux d'irrigation © Gary Lawrence

Mais de tous les sentiers de cette île-jardin de l’Atlantique, les plus emblématiques sont ceux qui longent les levadas, ces ingénieux canaux d’irrigation aménagés à flanc de montagne pour répartir les eaux de pluie dans l’île. Chefs-d’œuvre de génie hydraulique – il faut voir où on les a construits, et l’infime déclivité de leur tracé –, ils forment un réseau de près de 2000 km. On les trouve un peu partout à Madère, alimentés par une multitude de sources, de ruisseaux, de cascades et de mousses dégoulinant d’eaux de pluie qui agrémentent de leur doux clapotis tous les sentiers qu’ils accompagnent.

Au son de cette eau qui ruisselle, on progresse aux côtés de ces rigoles surélevées sur lesquelles on marche parfois lorsque les passages sont trop étroits ou lorsqu’on croise des randonneurs en sens inverse. Souvent abrités par le couvert végétal, des fougères arborescentes ou des branches alambiquées, les sentiers des levadas sont régulièrement préservés du pilon solaire et des intempéries, en plus d’être toujours de faible dénivelé.

Pour passer d’une vallée à l’autre et maintenir la douce pente nécessaire à l’écoulement des eaux, les levadas et leurs sentiers traversent souvent des tunnels – parfois longs de plusieurs centaines de mètres – creusés à la pioche dès le XVIe siècle. De retour dehors, les sentiers sont parsemés çà et là de vipérines violettes, d’agapanthes, de figuiers de l’enfer, d’orchidées et de lichens, s’embaument d’effluves de fenouil, d’eucalyptus et de fougères humides, sont piqués d’hortensias et de dragonniers.

Des sentiers pour tous


© Gary Lawrence

Parce que nuages et brouillard se plaisent à flirter avec les sommets de Madère, ses forêts d’altitude sont fréquemment nimbées d’une féérique aura de mystère. Dans la forêt de Fanal, les tortueux lauriers multicentenaires donnent ainsi l’impression de former une communauté arboricole maléfique bordant le repaire d’un obscur sorcier.

Mais d’autres sentiers longent lumineusement la mer, prennent gaiement d’assaut les à-pics, traversent prestement de hauts plateaux ou des champs de canne à sucre, courent dans l’arrière-cour des Madériens ou s’enfoncent dans d’impénétrables forêts, suivent le parcours jadis emprunté par des esclaves, se font gober par le ciel, débouchent sur un phare ou relient entre eux villages et hameaux. C’est le cas de Jardim do Mar et de Paul do Mar, deux croquignolettes localités de pêcheurs, qui sont aussi mignonnes que cool grâce à la présence de surfeurs.


Sur la côte ouest, face à l'Atlantique © Gary Lawrence

Compte tenu de la densité humaine de l’île et de l’omniprésence des villes et villages, le réconfort fait aisément suite à l’effort, en fin de journée : cerveja fraîche sous les jacarandas de la ravissante Avenida Arriaga de Funchal; poncha (le cocktail local) sur une terrasse aux murs tuilés de Ponta do Sol; vin de Madère et poisson-sabre aux bananes dans le craquant port de pêche de Câmara de Lobos; ou thalassothérapie dans les piscines naturelles de lave durcie de Porto Moniz.

Mais aucun traitement ne vaut le bain de lumière matinale des picos.

Fiat lux


© Gary Lawrence
C’est finalement le sixième jour (et non le septième) que la divinité madérienne des nuages se reposa et décida de redescendre vers le niveau de la mer, libérant les picos de l’emprise de sa nuée grise.

Ce matin-là, arrivé à la station radar du pico do Arieiro alors que l’azur s’illuminait à peine sous les prémisses de l’aube, j’ai progressé jusqu’au miradouro Ninho da Manta, qui émergeait de l’étale nuageuse du haut de ses 1745 m. Petit à petit, les arêtes des pics basaltiques se sont allumées comme autant de bouts de cierges, avant que les bras des falaises étreignent l’aurore, enchifrenés de nuages. C’est à ce moment qu’un frisson a irradié mon épine dorsale : était-ce la charge du froid matinal ou le panache du décor ambiant qui l’a déclenché?


À lire aussi : 6 sentiers de randonnée de toute beauté pour découvrir Madère


Après m’être pris pour un nautonier fendant la marée blanche en esquivant les récifs volcaniques, j’ai cheminé pour gagner l’autre pico, à cheval sur les crêtes aériennes. Mais le sentier, sublime de beauté d’un bout à l’autre, n’a pas tardé à se réfugier dans la vallée, s’abîmant ici le long de marches abruptes, remontant là par des escaliers en échelle, perçant plus tard le massif de tunnels, tutoyant le vide depuis ses surplombs. Là-haut, d’autres nuages ont débordé des sommets, comme un trop-plein de glace sèche sur la grande scène des altitudes.

À l’approche du pico Ruivo, la forêt s’est resserrée tandis que le brouillard léchait les falaises et chutait à la verticale, avant de laisser apparaître d’innombrables arbres griffus, grisonnant et grichant sous le souffle du leste, cette brise venue d’Afrique, et les assauts de l’embate, un vent qui noircit l’air. Les troncs tortueux tentaient tant bien que mal d’agripper la brouillasse, de guerre lasse. L’ambiance, délicieusement angoissante, n’était nullement effrayante puisque l’objectif était là, plaqué contre le bleu de Mycènes du jour.

© Gary Lawrence

Arrivé au refuge du pico Ruivo, le soleil plombait ferme et ça jouait du coude sur le sentier menant au sommet : après une semaine d’attente, tous les randonneurs fébriles voulaient s’en mettre plein la vue. Mais je n’en ai eu cure et j’ai bientôt gagné le toit de Madère, qui s’y déployait dans toute sa superbe : au loin défilaient le pico Grande (1657 m), le haut plateau de Paul da Serra et son enfilade d’éoliennes, mais aussi, pas si loin à vol d’oiseau, la station radar du pico do Arieiro, d’où j’arrivais.

Même avec des panoramas à 360 degrés, et malgré mon impression d’avoir franchi une éprouvante série de massifs, j’ai alors réalisé qu’à hauteur du ciel, tout peut paraître paradoxalement plus infime. À commencer par moi, insignifiant marcheur de l’inutile dans l’infinie grandeur de Madère, cette petite île qui vous fait tout voir démesurément.


Y aller


Près de la Levada Do Castelejo © Gary Lawrence

TAP Air Portugal dessert quotidiennement Funchal depuis Lisbonne, elle-même reliée à Montréal par vols sans escale plusieurs fois par semaine, toute l’année. Possibilité de faire escale et de séjourner dans la capitale portugaise, sans supplément, à l’aller comme au retour.

Terres d’Aventure Canada propose 9 treks et randonnées en circuit accompagné à Madère, du très facile (une bottine) à l’assez difficile (4 bottines). Le voyagiste offre aussi 6 voyages en liberté, à parcourir soi-même avec carnet de bord, itinéraire préétabli et nuitées réservées en chambre. Séjours de 8 à 14 jours, toute l’année. Les mois d’octobre à janvier sont cependant les plus pluvieux.

Deux camps de base testés et approuvés : le charmant et contemporain Socalco Nature, à Calheta (socalconature.com); et l’Aqua Natura Madeira de Porto Moniz, pour allier randonnée et soins de thalassothérapie (aquanaturamadeira.com).

La plus récente mouture du Guide du Routard Madère (2022/23), très à jour, donne beaucoup de détails sur les randos de l’île ainsi que sur les activités parallèles à y faire. À lire aussi : Madère en quelques jours, Lonely Planet, 2020; Madère, les plus belles randonnées de levada et de montagne : 60 itinéraires (Rother, 2018).

Info : visitmadeira.pt


L’auteur était l’invité de Terres d’Aventure Canada et de TAP Air Portugal

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