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  • Crédit: Daniel Berthiaume

Vélo : L’Everest en Crète

12 jours de vélo, 700 km de distance, plus de 9 000 mètres de montée

 

Les îles grecques font rêver : des paysages arides et montagneux parsemés de maisons blanches sur un fond bleu de mer Méditerranée et d’un ciel sans nuage. La Crète est la plus méridionale, située à seulement 300 km des côtes de la Libye. C’est aussi la plus grande : environ de 200 km par 40 km. C’est un mur spectaculaire qui fait jusqu’à 2 500 mètres d’altitude. Assez pour s’en mettre plein les mollets.

J’y suis allé dans les années 70 et les panoramas qu’offraient ses routes sinueuses et presque désertes sont restés gravés dans mon esprit. Trente ans plus tard, je voulais retourner sur cette île et m’attaquer à ces routes à vélo. Quelques recherches sur le Web plus tard, tout ce que j’ai réussi à dégoter c’est que faire du vélo en Crète ne serait pas une bonne idée. D’après les informations, la circulation serait trop dense sur les routes du nord de l’île, tandis que le relief de la côte sud présenterait un défi insurmontable. 

Qu’à cela ne tienne : ma Crète à moi, ce sera la côte sud au relief accidenté où il faut franchir les cols pour rejoindre chacun des nombreux petits villages isolés sur le bord de la mer. On peut donc s’y créer son propre tour cycliste en choisissant les villages qui nous inspirent.

Mon parcours est somme toute raisonnable : chaque étape aura une longueur de 50 à 100 kilomètres. Mais comme ma carte n’indiquait pas le relief, je n’avais donc aucune idée des obstacles à franchir. En vélo, les distances ne veulent parfois pas dire grand-chose, c’est le dénivelé qui impose sa loi sur le cycliste. Je suis un quinquagénaire en forme, mais pas un obsédé de la condition physique. En plus de quelques kilos de masse corporelle en trop, je traîne ma carte de crédit et le strict minimum de bagages qui tient dans trois petits sacs : un sur le guidon, un sur le porte-bagage à l’arrière (mais sans sacoches qui pendent) et le dernier à la taille où j’y mets ce que j’ai de précieux.

La première journée, je sors du débarcadère d’Iraklion (la capitale de l’île) vers l’est pour traverser sur la côte sud à Irapetra. L’adrénaline me donne des ailes et je roule finalement 120 km pour aboutir à Myrtos, un village en bord de mer sur la côte sud. J’y ai déjà séjourné lors de mes passages précédents. Il a peu changé gardant tout son charme et est resté un havre de paix. Après une journée de repos, j’entreprends le parcours de la côte sud en direction ouest. Au départ, la route longe la mer. Elle est pavée, plate et un léger vent de face me rafraîchit. Tout baigne. Toutefois, je dois rouler un kilomètre sur une route en terre qui est très mal entretenue. Yannis, le patron du resto où j’ai mangé la veille, m’a expliqué que les deux municipalités ne s’entendent pas pour savoir à qui appartient la responsabilité de ce tronçon de route. Résultat : personne ne s’en occupe. L’avantage c’est que ça décourage les automobilistes qui utilisent plutôt la route nationale. J’ai donc le privilège de rouler seul pendant quelques kilomètres au bord de la Méditerranée. Magique!

Pour atteindre Arvi, située un peu plus vers l’ouest sur la côte, je dois rejoindre la route nationale qui serpente les hauteurs, puis bifurque et descend vers la mer. Le paysage est spectaculaire : désertique au niveau de la mer, alors qu’en haut, les oliveraies règnent. Encre plus haut, les pins viennent les remplacer. D’un côté, la mer. De l’autre, les montagnes. Quelques sommets sont encore enneigés. Certains passages sont plutôt abrupts et je dois m’arrêter régulièrement pour reprendre mon souffle et éviter les blessures. Toute une montée : 650 mètres de dénivelé qui mène à un petit village sur la corniche. Je rejoins la route nationale où le degré d’inclinaison est plus raisonnable et le trafic à peine plus important. J’aperçois rapidement la petite pancarte indiquant la petite route pour Arvi. Un coup d’œil sur l’altimètre pour réaliser que je suis à 700 mètres d’altitude. J’amorce les 12 km de descente. Yahou! Quelle route extraordinaire, toute en lacets avec des vues sans relâche, j’en hurle de joie! À l’époque, Arvi semblait au bout du monde. La route qui y menait était en gravier et comme il n’y avait pas de service d’autobus, la descente à pied était obligatoire. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’arrête constamment pour prendre des photos tant le paysage est beau.

Le lendemain, ce que j’imaginais comme une promenade jusqu’au village de Tsoutsouros (situé plus à l’est) s’avère plus difficile que prévu. À peine installé sur mon vélo, je dois me taper une grimpette de 200 mètres de dénivelé. Le paysage autour est rocailleux. Il paraît que c’est le coin le plus désertique de Crète. Quelques herbes y poussent, assez pour sustenter les nombreux moutons. La montée est dure, car la pente doit faire 12 degrés par endroits, mais il y a une récompense : le paysage est de plus en plus majestueux. Une fois au sommet, une rapide descente mène à une quarantaine de kilomètres sur le plat. La descente est assez périlleuse, car il y a de violentes bourrasques de vent. Je dois tenir mon guidon fermement et j’appréhende le pire après chaque virage. De plus, la descente est abrupte et en lacets serrés, mais l’asphalte est neuf et il n’y a pas de circulation. Arrivé sur le plateau (qui est en fait un faux plat descendant), je vole presque puisque j’ai maintenant le vent dans le dos. J’atteins 40 km/h sans pédaler! Mais le plaisir ne dure pas. Par un caprice des dieux, je me retrouve soudainement sur un faux plat ascendant avec un vent de face. Je peine à rouler à 12 km/h. Je roule lentement et péniblement et mes muscles sont de plus en plus endoloris. 

J’arrive ensuite au pied d’un « mur ». Un vieux camion lourdement chargé entreprend la montée et rétrograde ses vitesses avec grincement. J’entends — pendant un temps qui me semble interminable — la plainte du moteur qui peine à monter. Joyeuse perspective! Pas de panique : il n’est que 15 heures et j’ai tout mon temps. Malgré la fatigue, il me reste encore du jus dans les jambes. Je commence la montée (longue, très longue!) en lacets. L’inclinaison est raisonnable et en prenant un petit tempo, ça monte très bien. Au sommet, je plonge dans la descente. Celle-ci est super, car il y a peu de virages serrés et je peux prendre de la vitesse, ce qui est rare ici. Je finis par arriver à destination : Lentas. Au compteur : 96 km, 1 200 mètres de montée. Je suis fourbu!

J’ai ainsi roulé douze jours du débarcadère d’Iraklion à celui de Chania en prenant une pause pour une croisière spectaculaire (une partie de l’île est trop escarpée pour y construire une route). Elle comprend une escale obligatoire qui permet de visiter les gorges de Samaria, un lieu unique en Europe. Un sentier de longue randonnée longe un petit cours d’eau qui coule au milieu d’une étroite gorge. Après une heure de marche, on franchit les « portes de fer » : un étroit passage de quatre mètres de large bordé de deux falaises de 400 mètres de haut. Wow!

 

La vie en Crète est agréable pour le cycliste : le régime alimentaire crétois a fait l’objet de multiples études et comblera le cycliste affamé et gourmet. Pour commencer la journée, le repas matinal typique est composé d’un yogourt nourrissant arrosé généreusement de miel parfumé. Puis, le café grec bien sucré est un bon coup de fouet. On peut s’en procurer tout au long de la journée : il y a des cafés partout et il est toujours excellent.

En roulant, on peut acheter des barres de noix et de graines de sésame enrobées de miel dans toutes les petites boutiques. En fin d’après-midi, la salade grecque recouverte de féta crémeux et bien salé baignant dans une huile d’olive savoureuse est un réconfort apprécié. Elle permet de patienter jusqu’au repas du soir qui se prend entre 20 et 21h. Après un ouzo ou une résina, il y aura les soupes consistantes de fèves et de lentilles, les légumes farcis, la moussaka, les poissons grillés et les côtelettes d’agneau. Leur saveur est extraordinaire. Le tout peut être arrosé d’un vin correct servi bien frais et vendu à un prix imbattable pour nous. Mais attention, la facture arrive toujours accompagnée d’une carafe de raki offerte par le patron. C’est une grappa légère et pernicieuse qui vous poussera dans les bras de Morphée… si vous êtes raisonnable!

Le clou de mon voyage a été sans contredit de rouler sur des routes incroyables pour un cycliste « un peu en forme ». On y est entouré de paysages fabuleux. La faible circulation et la bonne qualité du bitume permettent de les contempler et de rêvasser en humant des parfums de thym, de sauge et de fleurs d’oranger. Le relief m’a lancé des défis stimulants, mais réalistes pour ma condition. En 12 jours, j’ai finalement parcouru 700 km et grimpé près de 9 000 mètres, plus que l’Everest!

Guide pratique 

Transport du vélo : Air France et Air Transat offrent le transport du vélo sans frais. À Athènes, l’International Youth Hostel propose le rangement gratuit et sécuritaire non seulement pour le vélo, mais pour votre boîte de transport pour toute la durée de votre séjour en Grèce. Le transport du vélo est également gratuit sur les traversiers (prévoir un cadenas).

Quand y aller
J’y suis allé à la fin avril et la température était idéale… au niveau de la mer. En montagne, c’était frais et même froid. Le meilleur moment pour le vélo devrait être en mai, juin, septembre ou octobre. L’été, il fait trop chaud et il y a beaucoup de touristes.

Réparation
Il y a des boutiques spécialisées sur la côte nord à Iraklion, Chania et Réthymnon. En cas de pépin majeur, pas de panique : une camionnette va finir par passer!

Épreuve
Bien que les dénivelés soient spectaculaires, l’inclinaison reste en général raisonnable. C’est un défi parfait pour tout cycliste qui peut parcourir 100 km de route avec des côtes… à condition de limiter ses bagages au minimum. De toute façon, le soir, on tombe raide mort!

Encore plus
Blogue Vélo Blues : veloblues.blogspot.com
Livre
Vélo Blues (Bertrand Dumont Éditeur)
132 pages | 19,95$

Coûts

Avion : 1 088 $ avec Air Transat.
Bière locale : Préférez le vin (2,50 € pour le demi-litre) l’ouzo et le raki!
T-shirt : 20 $.  
Hébergement : La Crète possède une infrastructure qui est sous-utilisée sauf en juillet et août (qui est la haute saison). Pas besoin de réserver et pour 20 euros la nuit, on trouve à se loger convenablement.
Repas : Autour de 20 $.
Transport : Traversier Pirée/Crète 40 € sur le pont, 80 € avec une couchette.
 

Le meilleur : Les paysages magnifiques!
Le pire : Je cherche encore… 
Le plus étrange : Les niches avec leur chien sur le bord de la route.
 
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