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Révolue l’ère des glucides ?

Troquer les glucides pour les lipides comme principale source d’énergie : telle est l’aventure dans laquelle se lance un nombre sans cesse croissant de sportifs. Grâce aux témoignages élogieux de nombreux athlètes et experts, la mode Paléo autrefois marginale gagne peu à peu du terrain tout en suscitant son lot de questions.

Tous les sportifs le savent : pour obtenir les meilleures performances possible, leurs muscles ont besoin de glucides. De beaucoup de glucides. Cette réalité, élevée au statut de mantra en nutrition sportive, se situe à la base de pratiques maintenant archicommunes comme la surcharge en glycogène la veille d’une compétition ou la consommation de boissons et de gels énergétiques lors de l’effort.

Mais voilà que certains contestent cet état de fait en avançant que la surconsommation d’énergie sous forme de glucides causerait bien plus de torts que de bienfaits. Très présent dans les sphères du crossfit, du triathlon et des courses d’ultra-endurance, ce discours s’articule autour d’arguments voulant que les glucides favorisent la prise de poids et offrent une faible autonomie énergétique. La solution proposée : en remplacer la consommation par des lipides. Oui, oui, vous avez bien lu, par des graisses, celles-là mêmes qui vous semblent tout sauf indiquées pour l’effort physique!

Graisses avantageuses

Selon Guillaume Lacerte, éducateur physique et coauteur du blogue Paléo Québec, le principal avantage des lipides sur les glucides comme carburant de l’effort réside dans sa grande abondance. « Contrairement à nos maigres réserves en glucides, il est pratiquement impossible de venir à bout de celles en graisse », analyse-t-il. Les stocks lipidiques représentent généralement plus de 70 000 calories, alors que ceux de glucides, emmagasinés sous forme de glycogène, correspondent au plus à 2 500 calories. 

 

« La question n’est donc pas s’il faut oui ou non accéder à cette source considérable d’énergie, mais bien comment y accéder, poursuit l’éducateur physique. D’autant plus que le fait de fonctionner sur les graisses fournit une certaine protection contre le fameux « mur » et limite les malaises gastriques reliés à l’ingestion massive de gels et de boissons énergétiques, des avantages certains lors d’efforts aux longs cours. » 

Comment carburer aux graisses? C’est là que l’idée de limiter les glucides au profit des lipides prend toute son importance. Guillaume Lacerte souligne que le corps a la capacité de s’adapter à bruler le type de carburant dont il est approvisionné. Une diète riche en lipides le rendra donc apte à les utiliser.

« Il faut toutefois comprendre qu’à quantités égales, les lipides requièrent plus d’oxygène que les glucides pour être oxydés. Cela explique entre autres pourquoi les sportifs pratiquant des disciplines de courte durée et de haute intensité devraient conserver un apport raisonnable de glucides dans leur alimentation », nuance-t-il.

Quelques bémols

Si la proposition de réorienter métaboliquement l’organisme vers les lipides semble bonne, encore faut-il qu’elle ne se fasse pas au détriment du métabolisme des glucides. C’est d’ailleurs là une des principales réserves qu’exprime Trent Stellingwerff, entraineur et physiologiste de l’exercice à la Canadian Sport Institute située à Victoria, en Colombie-Britannique. « S’il est vrai qu’une diète riche en lipides améliore la capacité du muscle à les bruler, il se trouve que le contraire l’est également. En effet, on constate chez ceux qui adhèrent à ce type de diète une baisse de l’activité d’une importante enzyme responsable de l’entrée des glucides dans les mitochondries, les organites, dans lesquels se déroule la production d’énergie en présence d’oxygène », analyse-t-il. Résultat net : en voulant trop maximiser l’utilisation d’une voie énergétique, on nuit incidemment à l’autre. 

L’analyse est semblable du côté de Martin Fréchette, nutritionniste-diététiste sportif : « Qu’on le veuille ou non, l’être humain est un animal qui préfère carburer aux glucides plutôt qu’aux lipides à l’effort. S’il en est privé, ses performances et son rendement chutent dramatiquement. Il n’y a aucun doute là-dessus », affirme-t-il.

Il poursuit : « Je suis aussi dubitatif quant aux prétendus bénéfices qui découlent d’une diète riche en lipides et faible en glucides. Par exemple, les pertes de poids rapportées sont-elles vraiment dues à une limitation des glucides ou au simple fait de mieux s’alimenter? À moins qu’elles ne soient le résultat d’un organisme moins chargé en glycogène, un carburant très lourd à transporter puisqu’il ne peut être stocké qu’en présence d’eau? »

Solutions de remplacement

Cela ne veut toutefois pas dire qu’une diète riche en lipides et faible en glucides est le seul moyen de hausser l’importance de la contribution des graisses à la production énergétique.

En effet, selon Trent Stellingwerff, il est tout à fait possible pour les athlètes de sports d’endurance d’effectuer des entrainements avec de faibles réserves glycogéniques – une pratique nommée train low, race high – et d’ainsi maximiser leurs capacités à oxyder les graisses. « Ces stratégies ne devraient être employées qu’occasionnellement et dans le cadre de séances relativement faciles. Tous les autres entrainements devraient être réalisés avec des réserves de glycogène conséquentes, dans le but d’en assurer la qualité », insiste-t-il. Martin Fréchette propose quant à lui de périodiser l’alimentation : c’est-à-dire de cibler des moments clés dans une saison sportive au cours desquels on restreint volontairement l’usage de glucides dans le but de stresser l’organisme : « Mais pour la très grande majorité des situations et des personnes, un tel procédé n’est pas quelque chose d’applicable ni même d’utile », souligne-t-il toutefois.

Au final, Guillaume Lacerte attribue la popularité croissante des diètes riches en lipides et faibles en glucides non pas à leurs prétendus bénéfices pour les performances, mais bien à ceux relatifs à la santé : « Beaucoup de gens qui se tournent vers cette manière de s’alimenter le font après avoir constaté que leur santé métabolique n’est pas bonne. Les résultats impressionnants que plusieurs d’entre eux obtiennent suite à l’adoption de cette diète leur donnent l’impression qu’ils ont trouvé la recette gagnante », conclut-il.

Entretien avec une « machine à bruler les graisses »

Crédit: alexskopjeEntretien avec une « machine à bruler les graisses »

La Toile regorge de témoignages de sportifs ayant essayé avec succès une diète « paléo » faible en glucides et riche en lipides. Perte de poids, amélioration des performances, récupération plus rapide : à les croire, leur alimentation serait une véritable panacée sportive! Mais au-delà du caractère anecdotique de ces récits, qu’en est-il vraiment? Voici ce qu’en pense Steven Roseberry, un ultra-marathonien de 24 ans adepte de ce qu’il appelle le « low carbs, high fat ».

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à adopter une diète faible en glucides et riche en lipides?

Je cherchais à perdre un peu de poids. Malgré ma pratique sportive soutenue, j’étais à 5 pieds neuf pouces et 190 livres un peu trop gras pour bien performer. De plus, j’éprouvais de graves malaises gastriques à l’effort lorsque je m’alimentais comme un sportif est supposé le faire, c’est-à-dire en mangeant beaucoup de glucides et en suivant à la lettre le guide alimentaire canadien. Depuis que j’ai adopté cette diète il y a deux ans, j’ai non seulement perdu 30 livres, mais j’ai aussi grandement amélioré mon rendement sportif.

Il semble exister autant de variantes à cette diète qu’il existe d’individus. Quelle est la vôtre?

D’emblée, je tiens à spécifier que j’adapte la diète à mes besoins au fil du temps. C’est d’ailleurs dans ce processus d’individualisation que je pense que la clé du succès réside. Je tire actuellement 60 à 65 % de mes apports énergétiques quotidiens d’aliments riches en lipides comme les avocats, l’huile de noix de coco ou les viandes animales. Les 40 % restants proviennent à parts égales des glucides et des protéines. 

En quoi cette manière de vous alimenter vous aide-t-elle à faire meilleure figure dans les sports que vous pratiquez?

Le fait de carburer principalement aux graisses me permet de soutenir de très longs efforts sans connaitre la panne sèche associée à l’épuisement des réserves en sucres. Si je puise dans ces précieuses ressources, c’est seulement pour de brèves et intenses périodes de temps, le plus souvent en fin d’épreuve. 

Votre capacité à effectuer des exercices à haute intensité n’est-elle pas affectée?

Oui et non. S’il est vrai qu’on se « diésélise » un peu en reposant quasi exclusivement sur les lipides comme source d’énergie pour l’effort, cela ne nous enlève néanmoins pas la capacité à effectuer des pointes d’efforts. On en vient de toute façon à se connaitre et à savoir quand lever le pied.

Quels conseils donneriez-vous à un sportif qui souhaite restreindre sa consommation de glucides et augmenter celle en lipides?   

Mon premier conseil serait de ne rien tenir pour acquis. Il existe plusieurs sources d’informations crédibles et pas toujours officielles en matière de nutrition. Elles regorgent de renseignements utiles qui valent la peine d’être consultés. Ensuite, je proposerais de mettre à l’essai diverses combinaisons afin de trouver celle qui convient le mieux. L’énergie disponible, la digestion et la récupération sont quelques-unes des variables auxquelles il faut porter attention. Et puis finalement, je suggérerais de prendre son temps. Plusieurs mois peuvent être nécessaires avant de véritablement ressentir les bienfaits des changements d’alimentation.

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