Rechercher dans le site espaces.ca
  • Mathieu Dupuis et son van aménagé © Mathieu Dupuis

Mathieu Dupuis, néonomade de la lumière

Premier photographe québécois à publier avec National Geographic, Mathieu Dupuis attaque le bitume plus de 200 jours par année, toujours en quête de la lumière parfaite. Survol de la fascinante vie d’un aventurier de l’image, amoureux fou de son Québec.

Il y a quelques années, je suis monté à bord d’un navire de ravitaillement avec Mathieu Dupuis, pour un reportage sur la Basse-Côte-Nord. Notre entente : il serait mes yeux, je serais ses doigts.

Au début, nous pensions partager la même cabine. Mais puisque le Bella Desgagnés était aux trois quarts vide, nous avons chacun eu droit à la nôtre. Heureusement : toutes les nuits, avant même 3 h, j’entendais Mathieu s’activer dans la cabine voisine. Son hamster cérébral, comme il le dit lui-même, lui tournait déjà dans la tête. « Hé, Mathieu, regarde donc dehors si la lumière est belle! » devait lui susurrer à l’oreille son animal imaginaire.

Si la lumière est l’élément qui fait toute la différence dans une photo, elle fait l’objet d’une réelle obsession pour Mathieu Dupuis. Celui qui vient de sillonner le Québec pour nourrir son projet de beau livre avec National Geographic est un véritable pèlerin de l’aube — mais aussi un chasseur de crépuscule, c’est selon.

Sur le terrain, sa journée type débute toujours par un réveil brutal en pleine nuit, pour ne rien manquer des humeurs de l’aurore. « Contrairement aux autres métiers du voyage, la photo requiert une présence, dit le photographe. Tu ne racontes pas le moment vécu, tu l’attends et tu le captes. »

Sur la route depuis plus de dix ans, Mathieu Dupuis est en déplacement près de deux jours sur trois. Entre juillet et décembre dernier, il a ainsi avalé 22 000 km à bord de son véhicule, qu’il a lui-même aménagé pour ses besoins avec son père patenteux. Il peut y dormir, y cuisiner, s’y doucher (l’été) et y travailler, en totale autonomie grâce à des panneaux solaires installés sur le toit.

« Ce que j’aime le plus de cette vanlife, c’est la simplicité. Je peux partir sans avoir réservé quoi que ce soit et m’arrêter là où je veux, quand je veux, afin d’être aux premières loges pour apercevoir les rayons de soleil le lendemain. Il n’y a pas une chambre d’hôtel qui peut m’offrir ça! »

Quand il part à pied ou en raquettes à la recherche de la magic hour, cette chaude lumière de fin de journée, Mathieu Dupuis doit s’astreindre à d’autres contraintes. « Plutôt que de faire du repérage, ce qui me forcerait à revenir le lendemain, j’attends. J’arrive d’avance et, quand je repère un bon site, je me couche à l’ombre et je patiente jusqu’à ce que le soleil descende. Je prends ensuite mes photos, puis je rentre à pied de nuit, à la frontale. »

Cela fait, il reprend la route et se trouve un autre site de prédilection pour le prochain lever du soleil. « Des séquences de ce genre, j’en vis souvent, parfois plusieurs jours de suite. »

En un mot comme en cent, la lumière dicte le quotidien de Mathieu Dupuis. Mais sa vie repose aussi sur d’autres socles : la patience, qui est sa vertu obligée, ainsi que la solitude, l’un de ses principaux fardeaux. Et le photographe a appris très jeune à composer avec les deux.

Une enfance minée par la maladie

Né à Rouyn-Noranda en 1981 d’un père sous-ministre et d’une mère infirmière, Mathieu Dupuis a vu sa vie basculer à l’âge de 9 ans, lorsqu’il a contracté une rare affection qu’on n’arrivait alors pas à identifier : la maladie cœliaque.

Jusqu’à l’âge de 14 ans, le petit Mathieu passait le plus clair de son temps alité à l’hôpital Sainte-Justine de Montréal, parfois loin de ses proches, restés en Abitibi, souvent rendu groggy par une médication qui l’empêchait de souffrir.

« Je pouvais passer des mois en observation », dit-il. Son seul réconfort d’alors : potasser le catalogue Patagonia et les magazines National Geographic qui traînaient sur les tables. « C’étaient mes moments d’évasion. C’est comme ça que j’ai commencé à découvrir le monde et que mon intérêt pour la photographie est né », explique-t-il.

Tout ce temps cloué au lit, Mathieu l’a vite récupéré, une fois rétabli. « Je me suis alors lancé dans plein d’affaires : planche à roulettes, surf des neiges, motocross… j’avais du temps à rattraper! Et il fallait que je canalise toute mon énergie dans quelque chose où je pourrais exceller et qui me permettrait de gagner ma vie. »

Deux ou trois plâtres plus tard, Mathieu en conclut que les sports d’action, ce n’est pas sa tasse de thé. Et c’est là que la photo s’est imposée d’elle-même. « Ça me permettait de toucher à tout, de faire ce que je voulais et d’en vivre : sports, plein air, nature, portraits… »


 
L’élément déclencheur? « Un jour, quand j’avais 15 ans, mon père m’a prêté son appareil photo. Je me suis acheté plusieurs rouleaux de diapos et je suis parti en moto dans les montagnes prendre plein de clichés. Des photos assez bonnes pour en vendre : des gens m’en ont acheté pour faire des cartes, j’en imprimais pour le bureau de ma mère… J’étais en train de me partir une petite business! »

Hélas, à cause de ses séjours hospitaliers, le petit Mathieu a pris du retard dans sa scolarité. « Quand t’as mal au ventre à longueur de journée, la dernière chose que t’as envie de faire, ce sont des maths! » Plutôt que de l’encourager à faire croître son fonds de commerce de photographe, ses parents insistent pour qu’il retourne user son fond de culotte sur les bancs d’école.

« Mais l’école n’était pas adaptée à ma réalité, alors j’ai fini par décrocher. J’ai ensuite intégré un programme d’études-travail : j’étudiais le matin et je faisais du travail manuel l’après-midi, de la soudure à l’opération de machinerie lourde. » Des habiletés qui l’aideront plus tard à aménager ses véhicules de travail.

À 18 ans, Mathieu Dupuis quitte Rouyn-Noranda pour aller étudier la photo à Montréal. « Après un an et demi, diplôme en poche, j’ai commencé à décrocher plusieurs contrats intéressants ». Et voilà qu’à 19 ans, il s’envole pour le Nunavik pour Geographica, le supplément jadis encarté dans le magazine L’actualité.


À lire aussi : 5 métiers d'aventure sous la loupe


Très tôt dans sa carrière, Mathieu Dupuis se frotte à l’univers de la publicité, mais surtout du beau livre, en approchant des éditeurs avec des projets clés en main. Le jeune photographe fignole lui-même des plans d’affaires incluant des préventes à travers des réseaux touristiques, des entreprises ou des organismes de développement régional.

Car Mathieu Dupuis n’est pas seulement un as de la photographie, c’est aussi un homme d’affaires averti et méticuleux. Ses projets, il les crée; sa voie, il la trace; le téléphone, c’est lui qui le décroche avant qu’il ne sonne. Et à ceux qui le trouvent chanceux d’en être là où il est aujourd’hui, il répond que sa chance, il la provoque.

Il y a quelques années, il a ainsi sillonné l’Amérique du Nord pour un projet sur les grandes villes. « J’ai investi pas moins de 80 000 $ de ma poche dans cette aventure! » dit-il sans regret : bien des photos de ce fonds ont trouvé preneur, mais surtout, les clichés remarquables qui le composent lui ont ouvert de nombreuses portes, à commencer par celles de National Geographic.

Plus que les villes, ce sont cependant les paysages et les personnages qui l’inspirent. Et si le hasard lui fait souvent rencontrer de beaux sujets, les sujets viennent parfois jusqu’à lui.

Rencontres et aventures

« Heille, t’es Mathieu? On te suit sur Facebook! » se fait souvent dire le photographe. Les gens l’abordent, s’accotent sur l’aile de son camion identifié à son nom, jasent avec lui de passions communes. « Ils me donnent souvent des pistes sur de bons sites photogéniques, que j’explore après », dit-il.

Parfois, c’est Mathieu qui aborde un inconnu, rencontré par hasard sur un quai ou dans le fond d’une ruelle, et il se retrouve chez lui à lui tirer le portrait devant une collection de photos de pêche à la morue ou un side-car vintage. « Mes plus beaux portraits, je les dois à des rencontres fortuites de ce genre, totalement imprévues. »

Mathieu adore s’immiscer dans le quotidien des gens et avoir accès à leur univers, voire vivre une expérience en leur compagnie, même s’il sort souvent de sa zone de confort, comme il le raconte dans ses conférences. Il se souviendra longtemps de son interminable sortie en motoneige avec un chasseur inuit. « Pendant des heures, on a roulé à la recherche de bœufs musqués et d’ours polaires. Je sentais chaque lame de neige sous les chenilles, je ne savais pas où on s’en allait et je me sentais comme sur la lune, dans cette toundra blanche. Mon guide avait un vieux fusil avec un tie wrap pour tenir le canon sur sa crosse, et nous étions sur le territoire de l’ours blanc, l’un des plus grands prédateurs de l’homme. »


À lire aussi : Profession : photographe d'aventure !


Souvent appelé à monter à bord d’appareils peu rassurants, Mathieu a aussi eu la « frousse de l’avion de brousse » plus d’une fois. « Un jour, j’ai pris place dans un hydravion dont le pilote volait très bas et ne regardait jamais devant lui. Tout ce qu’il faisait, c’était prendre des notes. Nous étions dans le brouillard total, nous transportions une cargaison de barils de carburant et je ne voyais que la cime des arbres que nous frôlions, en dessous. Il aurait suffi d’une petite erreur pour que ça vire au drame… »

Une autre fois, le photographe a dû dormir au milieu d’un lac, parce que le vieux camp où il devait passer la nuit n’avait que des portes moustiquaires. « En me quittant, le préposé de la réserve m’avait dit : “Fais-toi pas trop de bouffe, y'a ben des ours dans l’coin!” Je me suis couché dans le fond du canot, sur mon sac de photo, sous le ciel étoilé. J’avais moins peur des truites! »

Moments de grâce… et de glace

La plupart du temps, ce sont cependant des moments de grâce — humaine et photographique — que Mathieu retient de ses pérégrinations : faire du kayak de nuit à la frontale sous le firmament; partir sur la baie d’Hudson avec douze chiens de traîneau en éventail; gravir le Hog’s Back de nuit pour assister au lever du soleil sur le mont Albert, en Gaspésie.

« Mais les plus gros shows naturels, ce sont les aurores boréales qui me les ont offerts. Des spectacles qui te font reculer et tomber sur le dos, comme près de Salluit, avec des aurores qui bougent partout et qui s’enroulent sur elles-mêmes. T’as l’impression que le ciel est possédé! »

Mathieu Dupuis a beau dire que tout l’attire dans le monde, on sent néanmoins une nette préférence pour le Nord, quand on voit ses yeux bleu arctique s’illuminer alors qu’il se remémore ses périples nordiques. « C’est peut-être dans mon ADN. Et puis, en région polaire, le soleil est plus bas et la magic hour dure toute la journée l’hiver! »


À lire aussi : Jerry Kobalenko, l'Arctique dans la peau


Paradoxalement, les zones arctiques sont souvent dénuées de décor et, partant, de sujets à photographier. Est-ce l’ultime cauchemar du photographe? « Dans ces régions, tu vois tellement loin tout autour de toi qu’il y a comme trop de vide, et ça fait mal aux yeux. C’est du vide rempli d’espace, mais l’absence de détail ou de repère finit par t’irriter le cerveau. »

Cela dit, quand on lui demande ce qui représente une bonne photo, le maître de l’image fait fi de ses registres territoriaux, temporels ou lumineux. « Une bonne photo, c’est celle qui génère des émotions chez la personne qui la regarde, celle qui raconte une histoire sans qu’on ait à l’expliquer, celle où tout est dans le momentum », dit-il en montrant une image en noir et blanc tirée de son livre Sur la route avec Mathieu Dupuis.

Ainsi donc, ce chasseur de lumière divine, cet apôtre de l’aube préfère par-dessus tout deux pêcheurs et un chien, oreilles au vent, naviguant sur un lac d’Abitibi-Témiscamingue, plutôt qu’un ciel pommelé de nuages rosâtres? On aura tout vu. Et on aura compris que, dans le monde, la lumière est partout, même là où on s’y attend le moins.

mathieudupuis.com


Espaces vous recomamnde également :

>> 5 astuces photos de Mathieu Dupuis

Commentaires (0)
Participer à la discussion!