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  • © Jerry Kobalenko

Jerry Kobalenko, l’Arctique dans la peau

Ses photos et ses écrits figurent dans Time et National Geographic, sa passion pour les régions polaires étonne. Depuis 30 ans, le Montréalais d’origine Jerry Kobalenko part chaque année en expé en Arctique, parfois en solo, toujours en autonomie. Mais pourquoi un tel engouement?

D’où vous vient votre amour pour l’Arctique?


Quand j’étais dans la vingtaine, à Montréal, j’étudiais les mathématiques à McGill. Un jour, je suis revenu à la maison avec un sac à dos géant, sans savoir pourquoi. Mais pour une raison que je ne comprenais pas, ça me paraissait important. Quelques mois plus tard, c’est arrivé dans ma tête : je voulais faire une expédition en Arctique.

Que s’est-il passé par la suite?

J’ai décidé de faire une expédition au Labrador, parce que c’était l’endroit sauvage le plus près et le plus accessible où je pouvais aller : je n’avais qu’à prendre l’autobus jusqu’à Sept-Îles et le train jusqu’à Schefferville. J’étais aussi tombé sur une série de livres nommés World’s Wild Places, et le Labrador y était. Ça devait bien être sauvage, non?

Je suis donc parti seul franchir 600 kilomètres, sans moyen de communication, au moment le plus froid de l’hiver. Ça m’a pris 46 jours. Vingt ans plus tard, « pour mesurer le vieux Jerry au jeune Jerry », j’ai refait la même expé en 39 jours.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné lors de votre première expé?


La texture de la neige. Elle est tellement dure! Aussi ferme qu’une table. Elle permet de bien tirer le traîneau et de marcher aisément, même si, parfois, j’utilise des raquettes ou des skis. J’ai aussi appris qu’il fait toujours plus froid qu’on le pense, à ces latitudes. À l’époque, il n’existait pas d’équipement adapté aux froids polaires, et je m’étais donc procuré l’équipement utilisé pour aller sur l’Everest. Malheureusement, une cote de confort de –35 ne suffisait pas, et à –50, je grelottais toute la nuit.

Quelles leçons avez-vous tirées de vos débuts?

Je faisais parfois de trop longues distances parce que je voulais arriver à un point précis le plus rapidement possible. Mais un jour, j’ai fait de l’hypothermie à un point tel que j’ai dû sortir mon manteau de mon sac avec mes dents pour le mettre sur moi.

J’ai aussi rapidement appris que les expés en Arctique et les voyages d’hiver ne sont ni des excursions techniques, comme en haute montagne, où il faut savoir comment grimper, ni des voyages de ski extrême, qui demandent des années de pratique. Dans mon cas, il faut essentiellement marcher avec l’équipement nécessaire jusqu’au campement et adopter la bonne attitude.

© Jerry Kobalenko

Combien d’expéditions en Arctique avez-vous faites?

J’ai fait quelques escapades en Terre de Baffin ainsi qu’au Yukon, mais je suis surtout allé vingt fois au Labrador et vingt fois aux îles Ellesmere, au Nunavut. En kayak, c’est la plus belle région que j’ai jamais vue de ma vie. J’y suis retourné sans faute les 15 années suivantes.

Pourquoi retourner si souvent aux mêmes endroits?


Il y a des voyageurs qui veulent tout voir et toujours aller dans des destinations différentes. Moi, je suis tombé en amour avec trois endroits, et je pourrais y retourner toute ma vie : Ellesmere, le Labrador et la Russie. Parfois, j’ai refait les mêmes trajets, mais en cherchant des choses différentes. Une fois, j’étais plus en introspection; une autre fois, je voulais en apprendre davantage sur l’histoire des lieux.


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Comment vous nourrissez-vous pendant vos expéditions?

De nourriture sèche. Mais il faut aussi apporter beaucoup de matières grasses, des sandwichs au beurre d’arachides, de bonnes quantités de chocolat… Le soir, je mange quelque chose de chaud : une soupe épaisse de patates, par exemple. Malgré tout, je perds quelques kilos chaque fois. De retour à la maison, je continue à perdre du poids, puisque mes muscles travaillent toujours, et je dispose de trois ou quatre jours pour manger comme un cochon, tout en continuant à perdre du poids. C’est magique!

Comment vous entraînez-vous?


À 60 ans, je ne m’entraîne pas particulièrement, mais je suis actif tous les jours. Je fais du vélo, de la marche, de la nage. Mon plus gros entraînement se passe deux mois par année, pendant lesquels je marche 12 heures par jour. C’est ce qui me garde en forme. Je pense en fait que j’ai juste une bonne génétique en matière d’énergie. Je ne connais personne qui fait ce que je fais depuis aussi longtemps, soit depuis une trentaine d’années.

Qu’est-ce qui pose le plus grand défi lors de vos expéditions? 

La logistique. Ce sont les petites différences qui sont les plus grands défis, comme un petit surplus de poids à traîner. On pense aussi qu’entre –40 et –50, il n’y a pas une grande différence, mais il y en a une, croyez-moi!


Quelles sont les situations les plus critiques que vous avez vécues?

Mes rencontres avec des ours polaires. J’ai fait treize face-à-face, parfois à un mètre de moi. La plupart des ours ne veulent pas te manger. Quelques-uns se sauvent, simplement. Puis, les ours polaires ont une dignité et ils n’aiment pas avoir l’air effrayés, alors ils marchent nonchalamment ailleurs. Un jour, je suis tombé sur un ours dans ma tente. Instantanément, j’ai pu voir qu’il avait pris une décision. Les ours ont quelque chose de spécial dans le regard. Tu peux voir ce qu’ils pensent. J’ai vraiment vu la seconde où il a décidé qu’il allait prétendre qu’il cherchait des phoques ou un autre animal à manger pour faire comme si je ne le dérangeais pas. Et il est parti doucement.

Avez-vous dû faire des compromis pour continuer à voyager?

Oui, je n’ai pas de famille et j’ai décidé de ne pas avoir d’enfants. J’ai une conjointe qui accepte que je parte chaque année et qui voyage même parfois avec moi. Pour notre sixième rendez-vous, nous avons convenu de passer deux mois ensemble en excursion. Elle a été parfaite. Nous sommes en couple depuis.


Qu’aimez-vous tant dans ce mode de vie?

Quand je suis à la maison, à Canmore (Alberta), je ne me sens pas chez moi; en Arctique, oui. C’est comme si j’étais né pour être là. Tout me plaît et tout me parle. Vivre dans le Nord ne m’intéresse pas, je suis un voyageur; ultimement, ces voyages, c’est une forme de lien émotif avec ces paysages avec lesquels je connecte par le mouvement…


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