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  • Crédit: Éditions Fides

Lecture : Whisky berbère

L’auteure de Passeport pour l’Iran récidive avec un récit de voyage sur le Maroc. Marie-Ève Martel, globe-trotteuse à la tête bien nourrie et à la volonté de fer, nous fait vivre son voyage en solitaire dans ce pays ensoleillé qu’elle a parcouru toute seule, en autostop, sac au dos, en quête d’imprévu et de rencontres humaines. Un récit tout en couleurs, qui laisse une large place aux dialogues, peut-être le plus attirant dans cette culture du franc-parler.

C’est votre quatrième récit de voyage, toujours au Maghreb, mais il est plus léger que les précédents, pourquoi?

J’ai voyagé au Maroc en 2002 et j’avais comme l’impression qu’il me restait beaucoup d’endroits à voir, et de toute façon, je n’avais pas assez de jours de congé pour découvrir un nouveau pays. Je me suis donc décidée à retourner dans un pays où j’ai déjà plein d’anecdotes. Oui, j’ai voulu ce livre plus léger, plus tourné vers les gens, plus humoristique aussi, car les Marocains sont très vifs d’esprit; leur répartie est souvent très drôle et je voulais montrer ça du Maroc autant que ses couleurs culturelles et naturelles. Aussi, je voulais aller contre un cliché qu’on entend trop régulièrement : l’idée qu’on se fait continuellement harceler, que les Marocains sont des arnaqueurs...

Qu’est-ce que vous aimez dans cette culture précisément?

Dans la culture du Moyen-Orient (arabe, musulmane), les gens sont hypergénéreux, très communautaires. Lorsqu’ils font le ramadan par exemple, ils donnent aux pauvres et ils mangent tous ensemble. Là-bas, les gens t’accueillent chez eux; ils veulent tous être plus hospitaliers les uns que les autres, c’est leur responsabilité d’héberger le voyageur et de le nourrir. C’est une véritable culture de l’hospitalité. Pour eux, c’est une source de fierté. Les musulmans se sentent tellement diabolisés par l’Occident depuis le 11 septembre 2001 qu’ils veulent montrer qu’ils sont des gens comme nous. Ils veulent parler de leur pays et ça t’amène à bâtir des ponts d’un individu à l’autre. Ensuite, il y a les paysages : le Pakistan par exemple avec ses sommets enneigés… puis la nourriture aussi, et la langue! Le farsi, pour moi, c’est une mélodie, ça m’attire sans que je puisse expliquer pourquoi. J’ai des fascinations qui me viennent depuis mon jeune âge sur la culture persane. C’est inexplicable : ça vient du ventre, c’est comme tomber amoureux de quelqu’un!

 

Vous êtes partie seule en autostop, pourquoi ce besoin du voyage en solitaire?

Je préfère voyager seule, car je suis naturellement plus ouverte aux gens, plus facile d’approche et je remarque davantage tout ce qui m’entoure, les odeurs, les sons, les détails. J’ai une liberté totale et, en même temps, je sais que je ne contrôle rien. Je suis à la merci des éléments : les transports, la température, etc. Et puis c’est toujours un défi : il y a des fois où les gens parlaient seulement arabe et mon défi c’était de communiquer avec eux, me sortir de ma situation. Bien sûr, il y a des soirs où ce n’est pas facile, des jours où tu te sens un peu seule, le temps passe moins vite. Alors, j’écris. Beaucoup de voyageurs m’ont dit : « Tu ne partages pas en voyageant seule », mais ma façon de partager c’est d’écrire, peut-être que si je voyageais à deux, je n’aurais pas besoin d’écrire. Quand je rentre de voyage, je suis comme une éponge qui a accumulé trop d’eau. En écrivant, je fais l’essorage total! Ensuite je peux passer à autre chose.

 

Qu’avez-vous appris sur vous-même?

Ça m’a donné confiance en moi, donné envie de combattre mes peurs. Au Maroc, j’ai comme acquis la certitude que je me sortirai de toutes les situations. Il y a une chose que j’ai commencé à découvrir tardivement, c’est que je suis plus calme face aux imprévus, face à l’inconfort. Je me sens une force intérieure, l’idée que je suis capable de tout affronter. Il ne m’est jamais rien arrivé de grave, mais c’est cet instinct de survie qui est plus fort, l’idée que tu ne peux pas imaginer que le pire puisse t’arriver. Ma mère m’a toujours dit : « Il y a un Dieu pour les innocents. » J’ai pris des risques, mais je me sens protégée par l’idée que j’aime les gens et le pays que je découvre, et qu’il me le rendra. Et puis ça m’a apporté beaucoup de connaissances au niveau pratique : j’ai fait des études très théoriques alors que là, tout était sous mes yeux. 

 

Quels conseils donneriez-vous à une femme voyageant seule au Maghreb?

Déjà, il faut s’assurer d’aimer voyager seule et il faut avoir confiance en soi. Je pense qu’il faut avoir un peu voyagé seule avant d’aller dans des pays « difficiles ». Ensuite, quand on prend cette décision, il est préférable de se renseigner sur le pays, de connaître ses lois, sa culture, de connaître les codes vestimentaires et quelques mots dans la langue du pays. C’est alors plus facile de se faire accepter, car c’est un signe d’intérêt. Si tu te fais suivre, il faut être ferme. Le mot « police » en général, ça les fait fuir… Un jour, en Iran, je me suis fait suivre et à un moment donné, je me suis retournée pour lui dire « arrête » dans sa langue, pour qu’il se sente surpris, mais surtout pour attirer le soutien des gens autour, des mères et des grands-mères. Les gens ont bien vu que c’était lui le problème et c’était une manière de lui faire honte vis-à-vis de ses pairs. Une autre fois, je me suis servie de ma caméra pour prendre une plaque d’immatriculation en photo, comme une menace de preuve. La caméra, ça marche pas mal ! Mais souvent, dans ces pays, les hommes vont vers toi, mais ils ne vont pas te toucher : ça fait partie de la culture musulmane de ne pas toucher les femmes, et c’est plutôt sécurisant!

 

Votre définition du voyage?

C’est la quête de l’aventure, l’incertitude face au lendemain, j’aime beaucoup ça. Et puis l’ouverture de soi vers les autres. C’est cliché, mais c’est vrai! Et l’ouverture des autres à toi, l’apprentissage de soi et du pays où tu voyages…

 

La suite?

J’aimerais aller en Asie centrale, au Turkménistan, mais c’est difficile. L’architecture est similaire à celle en Iran, surtout en Ouzbékistan où l’on retrouve l’héritage de l’Empire perse. C’est un pays dont on n’entend presque pas parler alors qu’il est si important au niveau géostratégique, lié aux enjeux énergétiques et à la montée de l’islamisme.

 

 

Whisky berbère

par Marie-Ève Martel

(Éditions Fides)

29,95 $ | 125 pages

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