Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit: Grisha Bruev

Les limites du corps humain

Le 16 août 2009, le Jamaïquain Usain Bolt court le 100 mètres en 9,58 secondes et abaisse le record du monde. Le 27 août 2011, l’Espagnol Kilian Jornet remporte pour la troisième fois, l’Ultra-Trail du mont Blanc, en parcourant les 170 kilomètres de cette course à pied autour du plus haut sommet d’Europe en 20 h 36 min 43 s. Un autre exploit hors du commun. Qu’ont en commun ces champions qui impressionnent grâce à leurs exploits? Ces deux athlètes repoussent bien plus que les seules limites de leur sport : ils repoussent les limites humaines. Et ils ne sont pas les seuls : seconde après seconde, les records tombent. Mais jusqu'où le corps humain pourra-t-il repousser ses limites ?

Avant tout chose, il convient de définir le terme « limite ». Paradoxalement, la définition est à la fois universelle et personnelle. Commune à tous les individus, la limite ultime de l’homme est celle où les tâches physiques ne peuvent plus se réaliser. Par exemple : une vitesse ou une hauteur que l’on ne peut atteindre, une masse que l’on ne peut soulever. Mais l’homme entretient un rapport personnel avec la limite, ses propres limites : « Chaque individu est doué pour une ou plusieurs tâches : rapide ou lent, agile, endurant », explique Guillaume Millet, professeur de physiologie du sport à l’Université de Saint-Étienne, en France, et auteur du livre Ultra-trail : plaisir, performance et santé, lequel est destiné à expliquer ce qu’est l’Ultra-Trail, ces immenses courses à pied en sentiers qui sont plus longues qu’un marathon. France Brunet, physiothérapeute en chef à la Clinique de médecine du sport des Carabins de l’Université de Montréal, est du même avis : « La limite est un ensemble de données quantifiables qui varient en fonction des personnes : le sexe, l’âge, le type de muscles et la souplesse de ses fibres, le patrimoine génétique, l’environnement. »

La question des limites humaines nourrit les réflexions de scientifiques et des chercheurs. Un débat s’est installé entre ceux qui estiment que l’homme va bientôt atteindre ses limites physiologiques et ceux qui s’opposent à cette idée. Dans un récent article publié par le Huffington Post, Geoffroy Berthelot, un chercheur français de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) estimait que « les performances sportives sont en train d'atteindre un plateau physiologique » en s’appuyant sur l’historique des records olympiques depuis les premiers Jeux de l’ère moderne, en 1896. La conclusion des études menées par l’INSEP se veut claire et définitive : « Les 3 300 records du monde homologués de façon exhaustive, définissent tous une asymptote qui représente non pas des barrières individuelles, mais les limites de l’espèce », assure Jean-François Toussaint, directeur de l'Institut de Recherche bio-Médicale et d'Epidémiologie du Sport (IRMES) affiliée à l’INSEP.

La science au chevet des sportifs

La théorie de l’évolution de Darwin aurait-elle atteint ses limites? « Aucune discipline n’a atteint sa limite, répond Guillaume Millet. En marathon, si l’on prend les paramètres décisifs comme l’endurance ou le rendement, un coureur pourrait courir en 1 h 45 au lieu des 2 heures actuelles. » Même avis pour François Billaut, superviseur scientifique à l’Institut national du sport du Québec : « Ça dépend des sports, mais pour moi, nous n’avons pas encore atteint les limites du corps humain. Il est certain que plus on progresse, plus on se rapproche de la limite et plus les avancées sont minimes. En sprint, on parle en dixième ou centième de seconde, mais en travaillant de concert entre scientifiques, entraineurs et athlètes, on peut en gagner encore. » France Brunet croit que le corps humain a ses limites : « Mais l’entrainement est rendu si spécifique, pour aller chercher une vitesse ou une force, que l’on progresse encore. Qui pensait un jour que l’homme atteindrait le sommet de l’Everest? Aujourd’hui, beaucoup de gens y grimpent, mais cela demande un entrainement spécifique. »

Les limites en quelques chiffres

 

3 : nombre de jours que l’homme peut tenir sans boire. Le corps humain étant composé à 70 % d’eau, la déshydratation entraine la destruction des cellules et détériore les organes vitaux.

11 min 35 s : Le record d’apnée statique détenu par le Français Stéphane Mifsud, établi le 8 juin 2011. Chez les femmes, c’est Natalia Molchanova avec un temps de 8 min 23 s.

11 : jours sans dormir, record établi en 2007 par le Britannique Tony Wright, qui est resté éveillé pendant 266 heures. Les études scientifiques ont montré que la moyenne serait plutôt comprise entre 8 et 10 jours.

30 à 40 : le nombre de jours qu’un humain peut rester sans manger. En cas de jeûne prolongé, les limites sont atteintes quand 30 à 50 % des protéines, qui composent en majorité nos cellules, sont consommées.

35 degrés Celsius : C’est la température en dessous de laquelle on parle d’hypothermie, une chute de 2 degrés en dessous de la température moyenne du corps, située à 37°C, ne permettant plus d’assurer correctement les fonctions vitales de l’organisme.

214 mètres : c’est la profondeur atteinte par l’Autrichien Herbert Nitsch en apnée No Limit, discipline qui permet les descentes les plus profondes. En juin 2012, l’apnéiste échoue dans sa tentative de descente à 244 mètres.

Au premier rang des facteurs reconnus : la professionnalisation des athlètes dans leur approche de la performance. « Les techniques d’entrainement se sont améliorées pour reproduire fidèlement les conditions des compétitions, confie France Brunet. À l’université, nos jeunes sont entourés d’une équipe multidisciplinaire : un kinésiologue, qui établit le programme d’entrainement, un nutritionniste, un physiothérapeute et un médecin! » La vie des sportifs est maintenant étudiée à la loupe pour permettre à l’athlète d’être à l’écoute de son corps et d’être performant au moment opportun.

L’histoire sportive a déjà connu son lot d'innovations qui ont aidé les athlètes, mais que reste-t-il encore à accomplir? « Il y a encore une multitude de protocoles à mettre en place pour mieux comprendre les mécanismes du corps humain », dit François Billaut. Pour France Brunet, le domaine de la nutrition reste encore méconnu pour le commun des mortels : « Tout le monde croit qu’avant un match de hockey, il faut manger un steak. Ou encore, se gaver de pâtes. Mais à un moment, il faut arrêter pour faire des réserves. Certes, le muscle aura toujours besoin de lipides, de glucides et de protéines, mais on peut davantage pousser les recherches des composantes nutritionnelles pour être plus efficace dans la récupération du corps et la régénération des cellules. »

La récupération constitue aussi un élément déterminant et encore trop peu étudié. « Après 30 ans, quand j’étais dans l’équipe nationale de handball, j’avais besoin de récupérer énormément, explique France Brunet. Je faisais des bains contrastes, je buvais mon lait au chocolat pour l’apport de protéines. Je respectais les lignes du programme et j’étais davantage en forme que les jeunes de 20 ans, qui avaient besoin de moins de temps pour récupérer. Je me dis que si je l’avais su plus jeune, cela m’aurait aidé à performer et à me surpasser. »

« Cela ne fait pas tant de générations que cela que l’on a mis de l’importance sur la pratique du sport, dit Martin Lamontagne-Lacasse, triathlète et ancien entraineur de triathlon à l’Université de Sherbrooke. Je pense qu’il va en falloir encore bien d’autres pour arriver au bout du processus. La majorité des athlètes n’évoluent pas à 100 % de leurs capacités physiques. Pour l’être, il faut avoir été entrainé depuis son plus jeune âge. »

Le cerveau, ce héros

La part du cerveau est aussi déterminante, voire prépondérante dans la question de la performance et des limites. François Billaut, spécialiste la fatigue neuromusculaire affirme qu’on peut aller plus loin : « En cas de douleur, le cerveau joue le rôle de protecteur du système, pour limiter la dépense excessive d’énergie. C’est un facteur de performance incontesté, mais encore mal compris, notamment sur la question des seuils critiques de la douleur. On peut encore faire des progrès dans ce domaine. »

Et qui dit cerveau, dit psychologie où la question des limites est décisive. Fabien Abejean, spécialiste en préparation mentale haute performance pour plusieurs athlètes et équipes au Québec, définit : « La limite extrême, c’est l’impossibilité de s’engager dans la tâche parce que mentalement, les exigences sont trop loin de ses compétences ou parce que l’enjeu est trop important. Mais il en existe d’autres, restrictions mentales, où la performance ne serait pas à la hauteur de ce que l’on attendait. C’est là le nerf de la guerre de la préparation mentale : pouvoir optimiser le potentiel de l’entrainement de l’athlète lors des compétitions. » Un travail de longue haleine, avec la mise en place de techniques et des stratégies mentales peut être initié pour préparer de manière optimale le sportif avant ses épreuves : « Différents profils d’athlètes viennent me voir pour être prêts mentalement, explique Fabien Abejean. On fait un état des lieux des éléments qui nuisent à leur performance, souvent le stress et l’anxiété. Je travaille sur plusieurs aspects : d’abord, la concentration, car un athlète anxieux ne se concentre pas sur les bonnes choses. Également, la question de la motivation et de la confiance, le Graal que tous les athlètes veulent atteindre. La gestion de la fatigue est aussi importante. Une des approches simples à adopter est d’accepter la fatigue comme un élément de la performance. Il ne sert à rien de la combattre, car elle détourne l’attention. Il faut l’anticiper, pour pouvoir être capable de mettre en place des outils de concentration. »

Usain Bolt a repoussé les limites de son sport en devenant l’homme le plus rapide du monde. Mais est-il physiologiquement et psychologiquement encore humain? « Par rapport à Monsieur et Madame Tout-le-Monde, il est évident qu’il y a un monde d’écart. Les coureurs du Tour de France ou les skieurs de fond, ce sont des machines, des bêtes de compétition. Mais ils restent des hommes parce qu’ils ont performé au maximum, grâce à l’entrainement qui les a amenés à ce niveau », dit Guillaume Millet. Fabien Abejean va plus loin : « Les records sont des exploits humains qui restaient à démontrer. L’être humain a ses limites, sauf que le jour où quelqu’un bat un record existant, les limites qui avaient été établies comme le maximum du potentiel humain sont repoussées. Aux 100 mètres, les coureurs ont longtemps été bloqués par la barre des 9,80 secondes. Le jour où Usain Bolt a fait exploser cette barrière et a rendu ce temps possible, d’autres coureurs ont commencé à battre ce record, comme par magie ». Le cerveau a ses raisons que la raison ignore encore…

Commentaires (0)
Participer à la discussion!