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  • Crédit : Jim W. Parkin

Coureurs kenyans : la recette des champions

Est-ce vraiment la génétique qui explique le succès des coureurs kenyans lors des marathons? Notre collaborateur s’est rendu au cœur de leur système d’entrainement pour découvrir une manière de s’entrainer unique au monde.


Me voici enfin à Iten, la « Ville des Champions ». Après avoir parcouru les plus beaux parcs nationaux du Kenya afin de capturer en images le célèbre « big 5 » des animaux d’Afrique, j’ai l’intention de côtoyer les plus grands coureurs au monde. Je suis le seul blanc dans le matatu (autobus local) qui déambule dans cette ville isolée. Après quelques discussions avec des aborigènes, on me dirige vers un centre d’entrainement qui héberge les voyageurs qui sont, tout comme moi, à la recherche des secrets de la course à pied des Kenyans.
 
La ville de Iten est perchée dans les montagnes à 2 700 mètres d’altitude au centre du pays et de la Rift Valley qui, selon les trouvailles archéologiques, serait le lieu de naissance de la race humaine. Son altitude, son climat tempéré, ses nombreuses pistes en terre battue rouge qui contrastent avec le vert de ses terres agricoles font de ce village un endroit parfait pour rassembler la crème des athlètes kenyans. En 2011, les 20 meilleurs temps au marathon ont été courus par des Kenyans et la majorité d’entre eux habitent ici. Un résident prétend qu’il y aurait entre 700 et 1 000 coureurs à Iten, ce qui représente près de 30 % de sa population! 

Le High Altitude Training Centre

À mon arrivée au High Altitude Centre, je crois rêver. De charmantes et confortables chambres font face à une magnifique piscine de 25 mètres. Douche chaude, télévision, internet et trois repas de champions par jour me permettent de retrouver et d’apprécier le confort à prix raisonnable. Ce centre financé par Lornah Kiplagat (ancienne championne du monde) est maintenant ouvert à tous. Il ne me reste plus qu’à aller courir. 
 
« Vincent, c’est quoi ta spécialité? » me demande Jamel, un jeune Jamaïcain de 17 ans qui a déjà fait sa marque au 800 mètres avec 1:47 au Championnat Champs rassemblant les meilleurs athlètes d’écoles secondaires jamaïcaines. Hum… j’ai bien fait au 10 km de la Descente royale, pas mal à l’unique 15 km de la course des Pichous au Saguenay et mieux au pentathlon solo de Québec. Attends un peu : je n’ai pas de spécialité du tout! Je réalise rapidement que je ne suis pas de calibre avec mes collègues d’entrainement qui sont ici avec des objectifs spécifiques. Chris est à l’Université Princeton et s’entraine pour les essais olympiques américains. Maxime est un jeune Français qui tente de baisser son temps sous la barre des 30 minutes au 10 km. D’autres font partie de l’équipe nationale de l’Angleterre et se préparaient pour les jeux de Londres. 
 
On pourrait imaginer qu’il est difficile de courir avec de grands champions. Ce n’est pas le cas : la culture d’élitisme à Iten se limite au format des maisons des coureurs les plus décorés. Les amateurs comme moi se mélangent aux champions kenyans et internationaux. Il s’agit de se lever à six heures du matin pour courir avec les Patrick Makau (record mondial au marathon), David Rudisha (record mondial au 800 mètres) ou Paula Radcliffe (record mondial au marathon).  

Entrainement de champions

Après deux jours de course à bas régime sans dépasser 15 km par jour afin de m’adapter à l’altitude, je décide de me joindre au groupe d’intervalles du mardi qui se déroule à la piste d’Iten. Ayant l’habitude de courir avec la gang du Coureur nordique sur les plaines d’Abraham le mardi, je vais pouvoir comparer les temps d’entrainements. La piste, qui selon nos standards est primitive, est remplie de coureurs élites. Pour les plus rapides, l’objectif est de faire une douzaine de 800 mètres en moins de deux minutes. Plusieurs groupes sont formés selon leurs standards et villages d’origine. Pas moins de 200 personnes se présentent sur la piste entre 9 h et 11 h. Je me joins à une petite bande afin de mieux comprendre à quel point ce rythme est suicidaire. Après 200 mètres, le manque d’oxygène dans mes muscles est flagrant, sans parler que je respire la poussière soulevée par mes partenaires. Je m’arrête après 400 mètres et je retrouve mon groupe qui a facilement complété 800 mètres. Après cinq séries, je suis exténué et le temps de récupération ne me suffit plus. 
 
Je rencontre Gabin, Britannique d’origine qui habite maintenant Iten depuis plus de un an et demi. Il travaille en compagnie du célèbre entraineur italien Renato Canova qui tente d’obtenir depuis 1998 le plein potentiel des athlètes locaux. L’année passée, 151 athlètes ont couru sous la barre des 2 heures 10 minutes dans un marathon et 121 d’entre eux étaient kenyans. Gabin m’explique la réalité des coureurs kenyans : « Un champion commandité va généralement supporter une dizaine de coureurs de son village d’origine qui aspirent aux mêmes privilèges, ce qui les sortirait de la pauvreté. » Un coureur ayant de bons résultats (sans gagner de courses majeures) peut gagner 15 000 $ à 20 000 $ annuellement, ce qui reste 15 à 20 fois mieux que la moyenne kenyane. Le champion va aider les recrues à trouver un logement, fournir des espadrilles, partager la nourriture au besoin et courir avec eux. « Mais sur la piste, il n’y a pas d’amis », poursuit Gabin. Le champion sait très bien que ces jeunes prodiges n’ont qu’un but en tête : le dépasser. Les entrainements du mardi en intervalles et ceux du jeudi en fartleck sont probablement les plus relevés au monde et cette saine compétition contribue au dépassement des coureurs. Les Kenyans n’aiment guère qu’on explique leur succès par la génétique. Selon eux, leur rigueur, leur motivation et leur discipline sont la source de leurs bons résultats. Contrairement à nos joueurs de hockey, aucun contrat ne leur assure un salaire en cas de blessures ou de mauvaises performances. La course devient leur travail et leur seule source de revenus. Plusieurs, sinon la plupart, on apprit à courir avec des petites blessures mal guéries afin d’assurer un revenu suffisant pour la famille.  
 
Après deux entrainements soutenus accompagnés de sympathiques Kenyans complétant une de leurs trois courses quotidiennes (une course au lever du soleil, une course en avant-midi et une en fin de soirée), mon repas de champion est bienvenu. Au centre d’entrainement, on nous sert la nourriture traditionnelle. La base du régime du coureur est le « ugali » : un mets très peu couteux à base de maïs qui est bourratif et nourrissant. D’autres classiques ici sont le jus et la salade de betteraves qui, selon des études, améliorerait le VO2 max. Les légumineuses et fèves, légumes du jardin, fruits frais, bouillon de légumes et bœuf sont toujours servis avec thé chai. Rien de gastronomique, mais beaucoup de calories et peu de gras dans la diète des coureurs. 
 
Au gymnase, je partage l’endroit avec un athlète qui doit être commandité afin de pouvoir payer l’accès au centre d’entrainement. Je découvre que son meilleur temps au marathon est de 2 h 8 min 23 s et qu’il a quelques victoires à son actif en Europe. Disant être âgé de 29 ans (il faut se méfier de l’âge des Kenyans, lesquels ne possèdent généralement pas d’extrait de naissance. La norme est de se rajeunir afin de garder ses commanditaires et rallonger sa carrière...), Elias Kiptum Maindi fait partie des nombreux athlètes qui atteignent les standards olympiques (seulement trois athlètes peuvent représenter un pays dans l’épreuve du marathon). Il m’explique qu’il aimerait gagner un plus grand nombre de marathons en Amérique et en Europe, mais il ne reçoit pas d’invitation et le cout des visas est trop cher pour lui permettre de participer aux compétitions internationales. Je lui suggère donc le Marathon de Montréal et lui promets de tenter de lui dénicher une invitation. 
 
Je complète mon séjour avec des rencontres inoubliables, de bons entrainements (bien qu’il m’aurait fallu trois semaines complètes pour bien m’adapter à l’altitude) et une bonne compréhension de la recette kenyane : trois courses par jour, beaucoup de jus de betteraves, 200 à 300 prodiges se bataillant sur la piste lors des courses d’intervalles, 2 700 mètres d’altitude, la course à pied pour survivre et comme sport national. Difficile pour les Canadiens de faire pareil… 


Et si les marathons extrêmes vous passionnent, consultez notre article Les marathons les plus fous, pour découvrir des courses particulièrement exigeantes!

Commentaires (1)
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buxtonio - 27/03/2016 04:37
Bonjour,

j'ai lu votre article qui est super mais vous dites qu'il s'entraine 3x par jour ? car je pensais que cela était de 2x par jour. Sinon leurs séance sur une semaine sont composée de quelle manière ?

Merci