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  • © Marie France L'Ecuyer

Expédition Transboréale 2023 : en vélo et en ski d’un bout à l’autre du Québec

Après deux traversées du Québec à vélo et en canot dans le cadre des expéditions Transtaïga (Montréal — Kuujjuaq en 2018, Blanc-Sablon — Waskaganish en 2021), l’infatigable Samuel Lalande-Markon repart traverser le territoire québécois, cette fois du sud au nord, en vélo et en ski.

Pour la première partie de cette virée de 2725 km, l’aventurier moulinera seul les 1475 km séparant le point le plus au sud du Québec – la borne frontalière 720, en Montérégie – jusqu’à la communauté crie de Chisasibi, dans la partie nord la baie James. C’est là qu’un autre aventurier, Simon-Pierre Goneau, le rejoindra pour compléter avec lui, en ski-pulka cette fois, les 1250 km les séparant du point le plus septentrional du Québec, le cap Wolstenholme (Anaulirvik en inuktitut).

© Marie France L'Ecuyer 

Entamée au cœur l’hiver le 1er février prochain, l’expédition se terminera à la fin du printemps, 17 parallèles plus au nord, après une centaine de jours à braver le froid et les éléments. Pour en savoir plus sur cette expédition hors normes, vraisemblablement la première traversée complète du Québec à force humaine, nous avons posé quelques questions à Samuel Lalande-Markon.

Pourquoi te lances-tu dans cette autre grande aventure ?

Les raisons sont multiples. Je m’intéresse au territoire québécois, et bien que j’y aie réalisé quelques projets d’envergure par le passé, je ne suis pas encore rassasié — le serai-je un jour ?

Plus je parcours le territoire, plus je me rends compte de ma méconnaissance envers celui-ci. L’idée d’une grande expédition en ski occupe mon esprit depuis un certain temps. C’est la rencontre de Simon-Pierre Goneau qui m’a amené à considérer cette traversée — je ne veux plus dire « ultime » traversée, car il reste encore plein d’itinéraires à envisager…

Simon-Pierre a tenté de réaliser exactement ce projet en 2020, mais en solo, et exclusivement en fatbike. Il s’est rendu jusqu’à quelques kilomètres de la baie d’Hudson, mais a dû rebrousser chemin en raison de la progression plus lente que prévue et de la pandémie qui venait d’être déclarée. Je lui ai proposé de tenter à nouveau l’expérience, mais en ski cette fois, un moyen de transport plus lent mais qui offre une meilleure autonomie et une plus grande prévisibilité.

Et puis, force est de constater que le territoire québécois tel qu’on le connait aujourd’hui (nos frontières correspondent plus ou moins à celles de 1912, alors qu’est annexé le « district » de l’Ungava) n’a jamais été traversé dans son intégralité. Jamais. Or, quel genre de pays veut-on habiter? Un lieu abstrait et flou que personne n’a jamais pris le temps de parcourir? Et comment mieux investir notre territoire de manière symbolique? Il n’est pas normal qu’un territoire aussi vaste et riche que le nôtre ne soit pas au cœur de notre identité collective.

Évidemment, je reconnais la dimension presque héroïque des expéditions historiques qui y ont eu lieu et de l’occupation ancestrale du territoire par les nations autochtones. Le Nord québécois est d’ailleurs immensément problématique en raison de la cohabitation parfois difficile avec les nations crie et inuite et en raison des vestiges de colonialisme. J’ai envie de bien humblement offrir une perspective différente, en dehors de l’occupation utilitariste du territoire : simplement marcher le pays, prendre le temps (et il en faudra) de le traverser.

© Simon-Pierre Goneau

Quelle est ta plus grande crainte pour cette expédition ?

La longueur dans le temps est le premier aspect qui donne le vertige. On s’attend à prendre jusqu’à 100 jours pour réaliser l’expédition. C’est long. En dehors de l’émerveillement, il y a une monotonie, une lassitude qui peuvent rapidement s’installer. Et de cette répétition jour après jour des mêmes mouvements, des mêmes gestes peuvent apparaître des blessures. Évidemment, l’entraînement soutenu depuis plusieurs mois permet d’envisager avec optimisme le fil des événements, mais nous savons que nous devrons puiser dans toutes nos ressources intérieures. Ce sera un grand défi d’endurance. Ensuite, les glaces de la baie d’Hudson, ce n’est pas une sinécure. Entre les villages, nous devrons gérer des périodes d’isolement allant jusqu’à 15 jours, dans un territoire très exposé aux éléments et peuplé d’ours polaires. 

Justement, quelles sont les températures les plus extrêmes auxquelles tu seras confronté ?

En arrivant sur la baie d’Hudson à la fin de février, nous risquons d’éprouver un solide -30 degrés, peut-être en dessous. Même si nous n’aurons pas à subir des températures extrêmes de -50 degrés, nous serons sur la banquise, où le froid humide est extrêmement pénétrant, beaucoup plus difficile à gérer que les conditions sèches qu’on peut retrouver dans les terres, sur des glaciers ou en haute montagne. Le vent, avec des rafales pouvant atteindre 100 km/h, est également un élément de difficulté additionnel.

Concernant l’humidité, la partie vélo dans le « sud » du Québec pourrait réserver quelques surprises désagréables. Rouler à vélo sur le bord de la 117 sous une pluie verglaçante en se faisant éclabousser de sloche par les véhicules qui passent à toute vitesse, c’est pas mal la dernière chose que tu as envie de vivre.

 © Marie France L'Ecuyer 

Et comment composeras-tu avec la présence des ours polaires ?

Ce sera ma première expérience sur le territoire du plus grand prédateur terrestre. Ça frappe l’imaginaire et ça force le respect. Notre objectif est d’éviter le plus possible les rencontres, il va sans dire. Mais c’est un animal curieux, et on risque fort d’avoir de la visite à un moment ou à un autre. Nous aurons sur nous des flairs et des bear bangers, du répulsif anti-ours, peut-être un dispositif sonore et, en dernier recours, un fusil de calibre 12. La nuit, nous installerons une enceinte avec une corde qui déclenchera une charge à blanc, si un ours se présente. Il faudra alors réagir très vite, le cas échéant.

Que comptes-tu faire de ton bagage expérientiel à ton retour (à part écrire des récits qu’on pourra lire dans Espaces) ?

Une équipe dirigée par la réalisatrice Marie France L’Ecuyer viendra nous rejoindre à quelques moments clés de l’expédition pour prendre des images : au départ, sur la route de la baie James, à Umiujaq et à Ivujuvik. Je vais ensuite collaborer avec elle à la scénarisation d’un essai documentaire d’aventures qui relatera l’expédition en tant que telle, et qui abordera aussi notre rapport collectif comme Québécois au territoire, un rapport que j’espère ancrer davantage dans le « réel » poétique et géographique.

J’ai également un projet d’écriture personnel qui va dans la même veine et qui pourrait éventuellement prendre la forme d’un second ouvrage, après La quête du retour, publié en 2021.

 © Jean-Sébastien Berlinguette



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