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  • © Courtoisie Caroline Côté

Caroline Côté au pôle Sud : comme un ultramarathon de 1130 km en solo

Début décembre, l’aventurière québécoise Caroline Côté partira skier seule jusqu’au pôle Sud, le plus rapidement possible. Pour mieux comprendre sa motivation, son état d’esprit et l’ampleur de son expédition en totale autonomie, Espaces a passé quelques jours avec elle en Patagonie chilienne, juste avant son départ.


Dans la maisonnette qu’elle a louée à Punta Arenas, dans l’extrême sud du Chili, c’est le bordel. Partout le sol et les meubles sont jonchés d’équipement, de sachets de bouffe lyophilisée, de boîtes de barres de chocolat. Des paires de ski sont appuyées au mur, des bottes, une tente et deux pulkas occupent le plancher. Par la fenêtre, on aperçoit au loin le moutonnement des vaguelettes blanches sur les eaux du canal de Magellan : même la mer est pêle-mêle et participe à ce joyeux désordre, aux confins de l’Antarctique.

Debout devant la table à manger encombrée, Caroline Côté émerge du chaos comme une figure de calme et de sérénité. Patiemment, elle pèse et remplit chaque sachet du gruau hypercalorique qu’elle a concocté : 215 g pour le début de l’expé, 230 g et 245 g pour la suite, 260 g pour l’intense dernier droit. À tous les jours, ce sera son petit déjeuner et son « rocket fuel » d’après-midi – un coup de fouet énergétique pour se rendre jusqu’au soir. Elle en aura bien besoin : 1130 km de défis de toutes sortent l’attendent. Mais déjà, elle est prête.


© Gary Lawrence

« Depuis que je suis ici, je cours tous les jours et je fais plus de musculation pour renforcer mes bras, mais je me paie aussi du bon temps, dit-elle de sa voix douce et feutrée. Je suis relaxe, je dors bien et je profite du printemps austral : les arbres sont en fleurs ici, ça fait du bien de côtoyer la vie avant d’aller passer un mois dans un désert où tout est mort ». Loin de l’image qu’on se fait de l’athlète qui pousse à fond la machine les semaines précédent une épreuve, Caroline recharge plutôt ses batteries, lentement mais sûrement.

Au début du mois de décembre, lorsque les conditions seront optimales, elle s’envolera pour le camp d’Antarctic Logistics & Expeditions (ALE), l’une des deux seules bases privées du Septième continent. Après une brève période de mise en jambes et de tests d’équipement, elle sera transportée de Union Glacier à Hercules Inlet, d’où elle entreprendra sa très exigeante aventure en solitaire : gagner le pôle Sud à toute vitesse.

Une expédition de gestion

« Ce que je m’apprête à faire n’est pas de l’exploration, c’est plus un exercice de gestion et une course contre la montre qui me demandera énormément d’énergie », estime Caroline. « En fait, c’est comme un ultramarathon de 1130 km en milieu extrême », résume son mari, l’explorateur polaire Vincent Colliard.


© Gary Lawrence

Ça tombe bien : à la base, Caroline est une athlète de longue distance, une ultramarathonienne aguerrie. « Les courses de trail, c’est parfait pour me préparer à ce qui m’attend : on va au maximum de soi-même, au pire de ses capacités. Comme en exploration polaire, on atteint souvent ses limites avant de réaliser que ce ne sont pas de vraies limites, qu’il faut aller encore plus loin. »

« Ce que j’aime particulièrement de Caroline, c’est ça capacité à défoncer les barrières, poursuit Vincent Colliard. En Guadeloupe, elle a passé deux nuits blanches de suite à courir en ne prenant que de petites pauses, ça me paraissait fou! Elle a tout un état d’esprit, et dans une expédition, c’est vraiment important : quand ton esprit veut, ton corps suit. »


© Courtoisie Caroline Côté

Mais les Antilles, ce n’est pas l’Antarctique, le continent le plus hostile de la planète. Caroline le sait fort bien : elle s’y est frottée à deux reprises pendant 30 jours. En 2019, lors de l’expédition Sea & Ice, et surtout la première fois, en 2014, lors de XP Antarctik, quand la cinéaste d’aventure en elle s’est greffée au groupe pour documenter cette expédition… où personne ne la voyait. Il faut dire qu’à l’époque, elle ne connaissait pas les environnements polaires, n’avait jamais fait de camping d’hiver et sa seule véritable « expérience extrême » consistait à avoir complété l’Ultratrail Harricana… Mais quand Caroline veut, elle peut.


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« En général, je suis motivée par la nécessité d’utiliser les moyens qu’il faut pour réussir, dit-elle. Pour moi, c’est ça l’aventure : trouver des réponses à des questions sur l’itinéraire, la nourriture, le matériel, la sécurité. Quand tu arrives à gérer des problèmes imprévus, c’est satisfaisant. C’est une sorte de défi, de mécanique à décortiquer ».

« Caroline apparaît réservée et tout en douceur, mais c’est une force tranquille; je ne connais personne qui a une aussi grande capacité d’adaptation, confie l’aventurier Martin Trahan, qui a pagayé 3200 km à ses côtés lors de l’expédition Pull of the North, en 2016. Même lorsqu’elle n’a pas d’expérience dans un domaine ou dans un milieu, elle se lance et elle apprend très rapidement. »



En visionnant les épisodes du Dernier glacier, la série-documentaire primée de Caroline Côté, on se dit qu’elle a, depuis XP Antarctic, bien acquis ses galons d’exploratrice polaire. Et que si elle a survécu à 63 jours d’hiver dans le Svalbard, elle devrait pouvoir supporter l’Antarctique au printemps et en été australs. « Pas du tout : cet endroit, c’est vraiment intense! », rétorque Caroline.


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Un parcours parsemé d’embûches

Outre les morsures du froid inhumain et les sastrugis, ces lamelles de neige durcie difficiles à skier, le Septième continent est fouetté par des vents catabatiques dont les rafales peuvent atteindre 200 km/h. « C’est ce qui me fait le plus peur : si la toile de ma tente se brise, je n’aurai plus d’emprise sur le territoire et il y a plein de petits détails (vêtements qui s’envolent, réchaud qui n’allume plus…) que je n’arriverai plus à gérer », dit Caroline. Sans compter que si les éléments se déchaînent, ils pourraient immobiliser l’aventurière durant plusieurs jours.


© Courtoisie Caroline Côté

Même s’il n’y a pas d’ours polaires en Antarctique, d’autres créatures plus insidieuses rôdent, des bêtes qui rongent de l’intérieur et qui finissent par fissurer les fondements de la confiance en soi : la solitude, l’angoisse, l’affolement. « En 2014, j’ai été pour la première fois confrontée à des vents ultraviolents et sur le coup, j’ai fait une attaque de panique, j’ai perdu le contrôle de moi-même », se souvient l’aventurière.

À l’époque, Caroline faisait partie d’une équipe. Mais cette fois, si un semblable épisode se reproduit – comme ça lui est aussi arrivé au Svalbard –, elle sera seule face à elle-même. Qu’importe : depuis, elle a vu neiger, sa carapace a durci, son moral s’est endurci. « J’ai besoin d’aller voir qui je suis toute seule, comment je peux m’en sortir sans savoir que je peux compter sur quelqu’un », dit-elle, bien consciente que dans de telles conditions, elle ira creuser au meilleur, mais aussi au pire de sa personne.

Bien qu’elle ait pris part à quelques expéditions en solo, jamais Caroline n’est partie seule si longtemps, dans un environnement aussi extrême de surcroît. Heureusement, elle sera en contact quotidien avec son complice norvégien Lars Ebbesen, une sommité de l’exploration polaire, qui l’informera sur la météo. Elle pourra également compter sur l’indéfectible soutien moral de son conjoint. « On ne se parlera pas tous les jours mais on s’enverra des SMS via InReach », dit-elle.


© Courtoisie Caroline Côté

Si la météo s’emballe ou que Caroline se blesse gravement, elle pourra aussi appeler à la rescousse et un avion sur skis de ALE viendra la secourir ou lui apporter du soutien – vraiment en dernier recours. À moins qu’elle se garde d’agir de la sorte parce qu’elle est aveuglée par la détermination ou engourdie par la faim et la fatigue, comme ça lui est arrivé lors de l’expédition Électron, en 2018. « J’ai appris de cette erreur, et ça ne m’arrivera plus, même si mon goût de l’aventure est très puissant et qu’il me pousse toujours à aller jusqu’au bout », assure la cinéaste-aventurière.

Gare au froid, à la lumière et… au doute

Bien d’autres complications risquent de jalonner sa route, comme les terribles « polar thighs », ces engelures aux cuisses nées du froid extrême et de la friction des vêtements, ou encore la photokératite, ou ophtalmie des neiges. « Ça m’est déjà arrivé, il suffit de quelques heures d’exposition des yeux aux rayons ultraviolets pour que ça t’atteigne, et ça crée des migraines horribles! », se rappelle Vincent Colliard.

Après des journées de 21 h dans le noir de l’hiver arctique au Svalbard, Caroline devra d’ailleurs composer avec 24 h de lumière par jour durant le printemps et l’été australs, cette fois-ci. « Les voiles blancs (white outs) de l’Antarctique, ça peut finir par te rendre fou! », rappelle-t-elle.


© Courtoisie Caroline Côté

Malgré tous ses acquis, son expérience cumulée, sa préparation méticuleuse, son endurance éprouvée et sa motivation en béton, le ressac du doute n’est jamais bien loin, après les vagues de confiance. « Parfois, il m’arrive encore de me demander si je suis vraiment à ma place, si je vais y arriver », lâche Caroline. D’un naturel anxieux, l’aventurière a cependant appris à exposer ses peurs et à ne pas avoir honte de montrer ses faiblesses, au fil du temps; non seulement ça ne lui nuit pas, mais c’est libérateur. « Ce qui est fou, c’est que j’ai aussi l’impression que je dois tout de même vivre cette sensation d’anxiété pour être satisfaite du niveau de difficulte d’une aventure », dit-elle.

Une chose est sûre, c’est que tous ceux qui connaissent Caroline n’ont aucun doute quant à ses chances de succès, à commencer par son époux, qui se rend régulièrement guider en Antarctique. « Elle a toute l’expérience et la motivation pour y arriver », assure-t-il.


© Courtoisie Caroline Côté

« Si elle ne se blesse pas et que la météo est bonne, je suis sûr à 100 % qu’elle va réussir, ajoute Martin Trahan. Elle a toutes les compétences nécessaires, même si elle a peur de décevoir ceux qui ont cru et investi en elle. Qu’importe : je pense qu’ils ne l’ont pas fait pour qu’elle réussisse, mais bien pour qu’elle vive cette aventure ».

D’aucuns pourraient aussi rappeler à Caroline ces sages paroles de l’explorateur polaire Børge Ousland, dans Le dernier glacier : « On est aussi faible que le maillon le plus faible d’une chaîne, mais on est également aussi fort que le maillon le plus fort ».


Dans la pulka de Caroline

Au départ, la cargaison tirée par Caroline Côté pèsera 75 kg et elle sera composée de nourriture, de matériel et d’équipement, de carburant et de médicaments. Au bas mot, l’aventurière consommera 6200 calories par jour et ce, pendant 35 jours.


© Courtoisie Caroline Côté

Elle n’aura qu’une paire de skis aux pieds, pas de bâtons de rechange mais un nécessaire à réparation ainsi qu’une paire de bottes supplémentaires : c’est qu’il faut voyager léger quand on veut aller aussi vite que le vent. Pour y arriver, le diable est dans les détails : Caroline a retiré les étiquettes de ses vêtements et amputé une partie du manche de sa brosse à dents, entre autres choses. « Quand tu sauves 100 g ici et là, tu finis par retirer 500 g; et 500 g, c’est un demi-kilo », explique Vincent Colliard.

Au cou de Caroline sera attaché un compass stativ, sorte de support auquel sera fixé une bonne vieille boussole à aiguille pour garder constamment un œil sur le cap. Dans une poche de sa veste imper-respirante, on trouve son tuyau et sa pompe à carburant; dans une autre est attaché un briquet à une corde : pas de feu, pas d’eau; pas d’eau, pas de survie (ni de plats chauds).

Dans une autre poche sont rangés ses écouteurs : Vivaldi, Radiohead et Rammstein l’accompagneront dans son équipée, tout comme l’auteur Mark Manson et son Subtle Art of not Giving a Fuck ainsi que la biographie de Charles Darwin, tous deux en mode audiolivre. Un choix judicieux car quoiqu’il lui arrive, Caroline reviendra transformée et aura beaucoup évolué, au terme de cette épreuve…


À savoir


Ce reportage a été rendu possible grâce à Helly Hansen.

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