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  • Crédit: Louis-Étienne Prévost

Louis-Étienne Prévost : le roi des marcheurs

Le Québécois Louis-Étienne Prévost, 61 ans, fait partie d’un club très fermé, celui des ultramarcheurs qui réussissent à compléter trois célèbres sentiers : l’Appalachian Trail, la Pacific Crest Trail et la Continental Divide Trail. Entre 2002 et 2014, cet ancien avironneur a parcouru à pied plus de 12 700 kilomètres à travers les États-Unis. Quarante ans après sa participation aux Jeux olympiques de Montréal, il est devenu « Triple Crowner » de la randonnée, en septembre dernier. Rencontre.

Vous êtes à la fois athlète olympique et Triple Couronne, qu’est-ce qui vous rend le plus fier?

Louis-Étienne Prévost : Mon point de référence, c’est ma participation aux JO. Quand ils m’ont remis la plaque pour la Triple Couronne, j’étais très émotif, mais tout bien réfléchi, j’avoue que cet honneur arrive en deuxième place dans ma vie. Cela dit, ce sont deux choses différentes : les JO et leurs entraînements sont plus exigeants physiquement, mais le soir, on est dans un environnement réconfortant avec un lit douillet et une douche chaude; une longue randonnée, ça demande paradoxalement de la persévérance et de la flexibilité. Il faut à la fois savoir s’entêter et s’adapter à l’environnement où on évolue. Être humble et être capable de revoir ses plans.



Pacific Crest Trail – 2660 milles / 4280 km
Continental Divide Trail – 3100 milles / 4989 km
Appalachian Trail – 2200 milles / 3540 km

Total : 7960 miles / 12 809 km

C’est plus que la distance Montréal-Ushuaïa, en Terre de Feu (Argentine), à l’extrême sud du continent américain.

  • 22 États traversés
  • 300 000 mètres de dénivelé positif
  • 250 personnes ont reçu la plaque honorifique de « Triple Crowner », remise par l’American Long Distance Hiking Association – West

1972
Eric Ryback est la première personne à avoir parcouru la totalité des trois sentiers : l’Appalachian Trail en 1969, la Pacific Crest Trail en 1970 et la Continental Divide Trail en 1972.

2005
Matthew Hazley est le premier à réaliser la Triple Couronne en une seule saison et 239 jours de marche.


Qu’est-ce qui vous a poussé à compléter la Triple Couronne?

L.-É. P. : En 2002, je n’avais aucune idée de l’existence de ce défi. Je voulais marcher l’Appalachian Trail (AT) pour me récompenser d’avoir obtenu mon MBA. Je voulais aussi expérimenter un autre défi physique que les JO, voir ce dont j’étais capable, partir et tenir pendant les 2200 milles du sentier.

Quels plaisirs avez-vous alors ressentis?

L.-É. P. : Outre le défi physique, il y avait la rencontre de nouvelles personnes, des cultures et des sous-cultures américaines. Mais ce qui me motivait aussi, c’était évidemment d’être dans la nature et admirer sa grandeur. Les paysages spectaculaires, on les absorbe par osmose. Cela nous ramène à notre juste dimension. On réalise qu’on n’est qu’une petite chose dans l’univers.

Ne peut-on apprécier la nature autrement?

L.-É. P. : Certainement, mais la longue randonnée amène une forme de compréhension unique de la nature, car il n’y a que l’effort en arrière-plan pour faire réaliser ce qu’on voit. Pierre Foglia compare les études aux toilettes : il faut s’asseoir et forcer! De la même manière, il y a des endroits spectaculaires que la majorité des gens ne verront jamais, car ils ne sont accessibles qu’après trois ou quatre jours de marche et demandent donc un effort supplémentaire.


Marcher vous a-t-il vraiment changé?

L.-É. P. : Oui, mais pas immédiatement. Contrairement à ce que l’on pense, le Saint-Esprit ne descend pas sur toi en te donnant une nouvelle vision de la vie. Moi, c’est arrivé plus tard. Il a fallu que la poussière retombe, qu’il ne reste que l’essence des choses. Je suis devenu plus tolérant dans certains cas, moins dans d’autres : je ne supporte plus la bullshit de la politique dans mon travail de haut fonctionnaire. Cela a fait un peu peur à mes patrons!

Quels moments forts retenez-vous de ces 12 700 km?

L.-É. P. : Sur la Continental Divide Trail (CDT), je me suis retrouvé plusieurs fois sur le territoire des grizzlys. Par moments, sur le sentier, je voyais leurs impressionnantes empreintes, qui semblaient assez récentes; je me mettais alors à chanter de ma plus mauvaise voix. C’est dans ce genre de contexte que tu réalises que tu n’es pas au sommet de la chaîne alimentaire!

Aussi, avant de m’attaquer à l’AT, je venais de rencontrer quelqu’un : celle qui est devenue ma conjointe a marché plusieurs semaines avec moi, et elle avait la mâchoire qui décrochait souvent tellement elle était impressionnée. Et le simple fait de voir ce plaisir sur son visage faisait mon bonheur! Quand elle est repartie, ça a créé un vide. Mon objectif final a alors changé : je voulais terminer au plus vite pour la rejoindre.

Crédit: Louis-Étienne Prévost


Avec vos 15 ans d’expérience de marcheur, comment jugez-vous l’évolution de la longue randonnée, ces dernières années?

L.-É. P. : L’équipement s’est beaucoup amélioré avec l’avènement de l’ultraléger. Mais le changement le plus important, c’est l’augmentation de la fréquentation sur les sentiers. À cause de l’effet Wild [le livre de Cheryl Strayed, paru en 2012 et porté au grand écran par Jean-Marc Vallée, où l’auteure raconte sa randonnée sur la Pacific Crest Trail], la Pacific Crest Trail Association a été obligée d’imposer une limite de 50 personnes par jour. En 2009, 2000 randonneurs partaient chaque année; aujourd’hui, ils sont 5000. Cette augmentation est aussi visible sur les autres sentiers, comme l’Appalachian Trail. Mais curieusement, le taux d’accomplissement est resté le même, autour de 25 %.

En terminant, quels conseils donneriez-vous à ceux qui veulent se lancer dans une longue randonnée?

L.-É. P. : Bien faire ses devoirs et se poser beaucoup de questions sur l’équipement avant de partir. Je suis un planificateur : quand j’ai commencé à faire sérieusement de la rando, je voulais savoir dans quoi je m’embarquais. Il fallait que j’essaie mon matériel, et j’ai marché quatre jours sur l’AT avec des randonneurs expérimentés, pour leur parler et récolter des infos. Mais il faut aussi savoir maîtriser les éléments de base de la survie en pleine nature : la technologie, c’est bien, mais si ton GPS te lâche au milieu de nulle part et que tu ne sais pas comment faire un feu, tu risques de passer un mauvais quart d’heure.

Commentaires (3)
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Yodabee - 13/03/2019 07:34
Impressionnant, bravo.
Moi, j'ai 73 ans bientôt. Je randonne dans les Adirondacks depuis 24 ans et je parcours entre 200 et 300 km chaque année.
J'ai fait le sentier de l'Inca, "grimpé" le volcan Izalco au Salvador et je me suis rendu au camp de base de l'Everest à 63 ans.
Ce que vous avez fait est impressionnant.
Roland Leblanc - 03/03/2016 17:33
Pourriez-vous donner à Louis-Étienne Prévost mon adresse courriel : rolandleblanc1148@gmail.com; j'aimerais m'entretenir avec lui d'une expérience semblable à la sienne que j'ai vécue...
J'ai essayé en vain le 411.ca ...
Merci de comprendre et de m'aider...
Bonne journée
Roland
Roland Leblanc - 02/03/2016 14:29
Au sujet de: "Je suis devenu plus tolérant dans certains cas, moins dans d’autres."

Ça ressemble bien au cheminement d'un des personnages d'un roman actuel que j'ai lu: "Joseph".

Voir le roman : "Balance Point"

écrit par: Joseph Jenkins.

Ce livre peut être lu en ligne sur le lien suivant, et, peut aussi se lire selon votre volonté en téléchargeant gratuitement les chapîtres un à un.

Lien: http://josephjenkins.com/books_balance_contents.html

Ce n'est pas parce que le livre est disponible gratuitement qu'il n'a pas de valeur; au contraire, je vous le conseille!
Roland Leblanc