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Investir dans l'école du plein air

Créer un fonds d’éducation pour offrir un séjour en plein air aux jeunes, en mettant à profit la loterie d’État? C’est le genre d’initiative adoptée par référendum en Oregon, en novembre dernier. Un exemple à suivre par le Québec — et par Loto-Québec? 

« Les jeunes passent trop de temps devant les écrans, martèle Rex Burkholder, le leader de la campagne Outdoor School for All (École en plein air pour tous). Ce n’est pas normal qu’ils connaissent plus Twitter que le chant des oiseaux. Nous devons les inciter à aller jouer dehors. Et c’est à l’école que nous pouvons réellement transmettre nos valeurs à toute une génération. »

Lancé en 1957 pour permettre aux jeunes de 11 et 12 ans de passer une semaine dans la nature, le concept d’« école en plein air » fait désormais partie des mœurs, en Oregon. Mais au fil du temps, les écoles ont vu leur budget réduit et n’ont plus été en mesure de financer le Fonds d’éducation en plein air (FEPA). Résultat : seulement 50 % des jeunes avaient accès à une classe nature, l’an dernier. Et ce sont souvent les familles les plus pauvres qui en écopaient, faute de pouvoir payer les sommes supplémentaires.

Pour renverser la vapeur, Rex Burkholder et un groupe d’entrepreneurs sociaux ont lancé une coalition, en 2013, afin de trouver une nouvelle manière de financer le Fonds. « Nous voulions que le plein air fasse partie de l’éducation de tous les enfants, et c’est pourquoi nous avons travaillé à l’échelle de l’État de l’Oregon », dit-il.

Pour convaincre aussi bien les libéraux que les conservateurs, la coalition a alors décidé de laisser de côté le concept de protection de l’environnement pour mettre en valeur d’autres bénéfices de l’apprentissage en plein air, basés sur des études scientifiques.

Des recherches ont ainsi démontré que 90 % des participants se sentaient plus confiants en général, après un séjour en plein air. Pas moins de 85 % ont amélioré leurs aptitudes orales en public et 87 % désiraient s’impliquer bénévolement. Une autre étude menée dans des écoles de New York et de Washington D.C. a démontré que l’apprentissage en expédition augmentait les résultats des élèves en mathématiques et en lecture. De plus, le taux d’absentéisme scolaire diminue de façon significative lorsque les jeunes participent à un séjour en plein air de plus de trois jours. « Quelque chose de magique semble se passer après le troisième jour, note Burkholder. C’est là que l’on voit des changements majeurs chez les jeunes, car ils commencent à s’aménager une nouvelle zone de confort. »


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Sans compter que l’apprentissage en plein air est différent de celui offert en classe. Les jeunes ne se font pas expliquer comment fonctionne la nature : on leur demande plutôt de résoudre des problèmes, mais aussi de socialiser les uns avec les autres, sans l’entremise des écrans. « À 11 ou 12 ans, les jeunes tentent de trouver leur place dans le monde en établissant des relations avec les autres. Lorsqu’ils doivent partager un espace de vie avec dix personnes qu’ils ne connaissent pas, ils découvrent comment collaborer entre eux et devenir des leaders. Ils apprennent aussi à accomplir les tâches de la vie de tous les jours. Et ils peuvent évoluer dans un milieu où ils ont le droit d’être qui ils sont vraiment. »

Armé de cet argumentaire, le mouvement a rapidement pris de l’ampleur et, dès 2015, le groupe enclenche une campagne majeure pour la tenue d’un référendum d’initiative populaire. « Aux États-Unis, plusieurs États permettent aux citoyens de lancer ce type d’initiative, explique Christophe Cloutier-Roy, chercheur à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. À partir du moment où celles-ci recueillent un nombre suffisant de signatures, elles sont soumises au vote des électeurs. Et lorsqu’une majorité appuie une initiative, le gouvernement de l’État doit adopter la loi proposée. »

Dans un premier temps, Rex Burkholder et les membres de sa coalition devaient donc recueillir plus de 90 000 signatures, soit l’équivalent de 5 % des électeurs, lors des dernières élections. « C’était la principale difficulté, car nous devions payer des professionnels pour rejoindre les électeurs. Ça en a valu la peine, car nous avons récolté 140 000 signatures », explique l’Orégonais.

Il fallait aussi trouver les fonds, car la plupart des citoyens n’aiment pas tellement l’instauration de nouvelles taxes, note Burkholder. Pour rassembler une majorité de votes, la coalition a eu une idée de génie : affecter une partie des recettes de la loterie d’État au financement du programme d’éducation en plein air. « Le concept devient encore plus sexy lorsqu’on prend l’argent de la loterie », avoue le leader de la campagne. Si bien que l’idée a été acceptée par 67 % des électeurs de l’Oregon lors du référendum qui a eu lieu en même temps que l’élection présidentielle de novembre dernier.

Pour Rex Burkholder, la victoire est très significative, car ce programme permettra de former des citoyens plus engagés. « C’est fantastique! Dans une dizaine d’années, on verra émerger un groupe de citoyens plus responsables et mieux informés sur les enjeux environnementaux. D’ici là, on verra aussi des sourires accrochés au visage des jeunes! » conclut Rex Burkholder, en espérant que l’initiative lancée en Oregon fasse des petits un peu partout en Amérique du Nord.


RIP pour un Fonds d’éducation en plein air au Québec?

Bien que 26 États de nos voisins du Sud permettent d’organiser des référendums d’initiative populaire (RIP) en même temps que les élections fédérales, ce type de référendum n’existe pas au Québec, explique Louis Massicotte, professeur au Département de science politique de l’Université Laval. « La loi permet de tenir un référendum, mais seulement à l’initiative du Parlement », précise-t-il.

En 2012, le Parti québécois avait lancé l’idée de tenir des RIP, mais l’historique de référendums sur la souveraineté était venu embrouiller le débat, avant que le PQ soit défait l’année suivante.

« Dans notre système de démocratie parlementaire représentative, on signe un chèque en blanc à un député qui nous représente au Parlement », explique Louis Massicotte.

Si, de prime abord, l’idée de faire participer la population plus directement à la démocratie semble bonne, elle mène parfois à des dérapages, note Louis Massicotte. En Californie, les électeurs ont approuvé une réduction énorme des taux de taxes foncières, laissant peu de marge de manœuvre à l’État. En Suisse, on a voté contre la construction de minarets, des lieux de culte pour les musulmans. Bref, « le RIP est un instrument institutionnel susceptible d’être utilisé par des minorités qui peuvent réussir à imposer leurs obsessions ».

N’empêche qu’il existe d’autres moyens de mettre sur pied un programme visant à amener tous les jeunes à pratiquer le plein air, notamment en parlant à son député ou en mettant sur pied des groupes de pression, estime le professeur Massicotte.

C’est en partie cette dernière technique qui a réussi à convaincre le gouvernement d’instaurer la Politique de l’activité physique, du sport et du loisir, lancée en avril dernier, un énorme pas dans la bonne direction. Grâce à cette politique, Québec injecte 571 millions de dollars dans des infrastructures et programmes qui visent à faire bouger les jeunes. Une des mesures vise entre autres à activer les jeunes du primaire 60 minutes par jour. Seule ombre au tableau : cette mesure n’oblige pas à aller de l’avant, et aucun programme en plein air n’est obligatoire dans les écoles.

Selon Karine Bédard, une enseignante en 5e année du primaire qui organise une classe nature de deux jours chaque année, les expériences en plein air permettent aux jeunes de faire des découvertes, de grandir et d’aller chercher une meilleure estime de soi. « C’est aussi une bonne manière de souder des liens dans le groupe et d’apprendre à connaître les forces et les faiblesses de chacun », note l’enseignante, qui apprécierait grandement un plus grand soutien financier pour amener les jeunes plus longtemps dans la nature…

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