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  • Attention, risque d'avalanche ! © Shutterstock

Déclencher une avalanche du bout du doigt

Vous pensiez que seuls les pisteurs pouvaient faire du déclenchement préventif d’avalanches? Détrompez-vous.

Par une froide nuit de mars, je dors profondément dans la chambre de mon hôtel de Val Cenis, tandis qu’une énième tempête s’abat sur cette station des Alpes françaises. Soudain, à 5 h du matin, je me fais réveiller par des bruits d’explosion qui résonnent au loin. 

J’ai alors une pensée pour les pisteurs, obligés de se lever la nuit pour aller déposer des explosifs au sommet des montagnes, afin de déclencher des avalanches de façon préventive. Enfin… c’est ce que je crois, et je me rendors, bien rassurée de savoir que les pistes seront sécurisées et que le ski sera au mieux dès le matin.

Cette nuit-là, la tempête laissera un mètre de neige sur les sommets de Haute-Maurienne, qui culminent à 3500 m. C’est la troisième tempête d’envergure de l’hiver, et Dominique Petit s’en réjouit, comme il se réjouit à chaque tempête qui frappe sa vallée, alors que bien des stations des Alpes souffrent d’un manque criant de neige. Mais il a beau jubiler, ce sont surtout les risques d’avalanches qui préoccupent le responsable de la sécurité des pistes de ce domaine skiable, qui regroupe cinq villages proches de la frontière italienne.

Avalanche dans le parc national de Banff, Alberta © Ian Jackson - Parcs Canada

En fait, cette nuit-là, c’est lui qui m’a tirée de mon sommeil aux aurores, et ce, rien qu’en appuyant sur une touche de son ordinateur. Pas très glamour, rien de bien risqué, mais drôlement efficace comme geste : pendant que ses pisteurs dorment à poings fermés, Dominique Petit peut actionner 30 points de tirs à partir de son ordinateur. 

La commande se fait par des ondes radio reliées à un système Gazex, constitué de gros tubes de métal alimentés en propane et en oxygène – un gaz explosif, ne l’oublions pas. Les tubes Gazex sont installés à différents endroits stratégiques dans la montagne, et lorsque le soleil se lève, les avalanches ont déjà dévalé les pentes de nombreux couloirs à risque, sécurisant les pistes et les remontées mécaniques.
Ces dernières années, près de 80 stations de ski françaises ont investi dans ce système de déclenchement à distance, utilisé également pour protéger les routes, ce qui représente un progrès énorme en matière de sécurité. Les systèmes Gazex – fabriqués par TAS, une entreprise française – sont vendus dans une vingtaine de pays d’Europe, des États-Unis et du Canada.

Système Gazex en Suisse © T.A.S.

Une cinquantaine de modèles Gazex ont ainsi été achetés par l’Alberta et la Colombie-Britannique afin de sécuriser des routes souvent paralysées par des avalanches. Mais les stations de ski de l’Ouest privilégient encore le travail des patrouilleurs, moins coûteux, pour aller placer des charges explosives au sommet des couloirs avalancheux.
Malgré les nombreux avantages qu’ils présentent, les Gazex ne peuvent pas effectuer tout le travail. « L’inconvénient, c’est qu’ils sont fixes et qu’ils tirent toujours au même endroit; on ne peut donc pas les déplacer pour répondre à tous nos besoins, explique Dominique Petit. Il faut être sur le terrain pour voir ce qui se passe. » 

Les pisteurs doivent donc compléter le travail en déposant eux-mêmes des explosifs ou en les faisant glisser sur un câble, là où les systèmes Gazex ne peuvent pas être déployés. Parfois, on a même recours à un hélicoptère pour laisser tomber la charge à un endroit stratégique. D’autres technologies, comme le canon à flèches explosives ou le lance-roquettes, sont aussi utilisées par certaines stations.

Système Gazex dans l'ouest canadien © T.A.S.

L’automatisation a diminué les risques pour les pisteurs, mais le travail manuel est encore nécessaire et reste dangereux. « Le plus dur, c’est d’arriver à lire ce qui se passe sur le terrain : on en a toujours à apprendre. Certains sont même morts parce qu’ils pensaient avoir tout compris », dit Alexis, un pisteur d’expérience qui a une formation d’artificier.

Et puis, la protection des skieurs a ses limites. Les déclencheurs d’avalanches à distance et les pisteurs ne peuvent pas protéger tous les secteurs hors-piste, qui attirent de plus en plus de skieurs avides de poudreuse. Le hors-piste n’est jamais interdit, mais la station n’est alors plus responsable. Or, la plupart des skieurs touchés par des avalanches le sont précisément dans ces secteurs : 45 accidents lors de la saison 2015-2016 en France, 107 personnes emportées, 21 décès...

L’hiver dernier, à Tignes (en Savoie), une avalanche a tué quatre skieurs dans un secteur hors-piste; trois semaines plus tard, une autre a coupé une piste balisée et a entraîné un grand groupe de skieurs. Cette fois, plus de peur que de mal. Et pourtant, une enquête a été ouverte pour mise en danger de la vie d’autrui.

« Le cauchemar de tout directeur des pistes, dans une station de ski, c’est l’avalanche qui vient couper une piste ouverte. La responsabilité du directeur est alors directement mise en cause », explique Dominique Petit. À Val Cenis, il n’y a pas eu d’accident depuis qu’il est en poste, mais tout le monde ici se souvient de la grande coulée de 2006, très médiatisée, qui avait frappé une remontée mécanique en plein jour. Personne n’avait été blessé, mais l’incident a laissé des marques. Depuis, un système Gazex a été installé juste au-dessus de la remontée…

Les questions de sécurité et de prévention, Dominique Petit les prend très au sérieux. La sécurité des skieurs est en jeu, mais sa carrière et la réputation de la station aussi. Alors, il est prêt à tout pour ne pas être déjoué par une avalanche, quitte à se lever la nuit pour appuyer sur la touche magique qui déclenchera la coulée, avant le réveil des skieurs…


Pisteur, un métier à risques

La méthode traditionnelle pour déclencher une avalanche à des fins préventives consiste à envoyer des patrouilleurs ou des pisteurs lancer à la main des charges explosives. Le plus grand risque, c’est que le choc de l’explosion détache des plaques de neige sous leurs pieds et qu’ils soient emportés. En France, de 1970 à 2006, 37 pisteurs ont ainsi perdu la vie : 33 dans une avalanche et 4 en manipulant les explosifs. 

Depuis 2006, il n’y a plus eu d’accident mortel : le déclenchement à distance des avalanches a permis de limiter les risques pris par les pisteurs. Le port du sac à dos gonflable a également amélioré leur sécurité. S’il n’est pas infaillible, ce genre de coussin de sécurité qui se déploie au besoin aide celui qui en est muni à demeurer à la surface d’une coulée de neige et augmente ses chances de s’en sortir.


Des avalanches aussi au Québec

Les avalanches sont souvent associées aux grandes chaînes de montagne, que ce soit l’Himalaya, les Alpes ou les Rocheuses. Dans une moindre mesure, ce phénomène naturel a aussi cours au Québec – surtout en Gaspésie mais aussi au Saguenay et dans Charlevoix.

Bernard Hétu, professeur à l’Université du Québec à Rimouski, a ainsi recensé environ 70 décès et 60 blessés causés par des accidents d’avalanche, dans la Belle Province blanche, depuis 1825.

« C’est le deuxième risque naturel le plus meurtrier, après les éboulements ou les glissements de terrain », explique Dominic Boucher, directeur général d’Avalanche Québec.

Créé en 1999, cet organisme à but non lucratif dédié à la sécurité en avalanche a notamment pour but de sensibiliser les Québécois à cette problématique. Un travail de longue haleine, de plus en plus nécessaire vu la popularité grandissante des activités hors-piste, au Québec comme ailleurs. L’organisme demeure pourtant fragilisé, faute de programme gouvernemental lui garantissant un soutien financier récurrent.

À quand la création d’un véritable service public de la sécurité en avalanche ? « Nous sommes en train d’élaborer une stratégie nationale de financement, avec Avalanche Canada, et nous allons bientôt la présenter au gouvernement fédéral, explique Dominic Boucher. Nous avons bon espoir que ces discussions aboutissent. » 

C’est tout le mal qu’on leur souhaite! 

Plus d’infos sur avalanchequebec.ca, avalanche.ca et 
avalancheassociation.ca


Pour aller plus loin

Gazex : tas.fr
Association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches  (ANENA) : anena.org/5041-bilan-des-accidents.htm
Fédération internationale des patrouilles de ski (FIPS) : fips-skipatrol.org

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