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  • © Courtoisie Jacques Bouffard

Jacques Bouffard : faire ses premières traces

Depuis son enfance, Jacques Bouffard aime jouer dehors. Toute sa vie, ce Matanais d’origine a participé à des expéditions partout sur la planète, du pôle Nord jusqu’aux hautes montagnes du Pakistan. À 68 ans, cet ancien réalisateur télé est désormais guide à l’Auberge de montagne des Chic-Chocs, et sa passion pour le plein air est toujours aussi vive.

Comment s’est développé votre intérêt pour le plein air?

C’est la faute de mon père! Je devais être en première année quand, un midi, il m’a dit : « À la récréation de trois heures, va te cacher dans le coin de la cour d’école et je vais passer te prendre : on s’en va à la chasse à l’orignal! » C’était très excitant : mon père me faisait partir avant la fin des classes! Ce fut toute une aventure, et ça a duré quelques jours, au beau milieu de la Gaspésie. Nous avons dormi dans le camion, j’ai vu de vieux trappeurs... Ça m’a beaucoup marqué et ça m’a donné le goût de l’aventure et de la nature. Souvent, nous partions aussi en famille, les cinq enfants, pour aller faire des pique-niques, pêcher dans les ruisseaux, cueillir des framboises... En revenant en ville, nous étions gênés, nous nous cachions dans la boîte du camion!

Quel est votre terrain de jeu préféré pour jouer dehors sur la planète?

© Courtoisie Jacques Bouffard

La Gaspésie, c’est ce que j’ai vu de plus beau et de plus accessible. Il y a d’autres belles régions au Canada, mais la Gaspésie, c’est un gros coup de cœur. Je peux y trouver, à mon âge, tout pour me satisfaire. Il y a quelques endroits dans les Chic-Chocs que j’aime particulièrement. J’hésite à en parler : il y a une espèce de dilemme à faire connaître de beaux endroits, pour qu’il n’y ait pas trop d’affluence, parce que les moments forts que j’ai vécus, c’est beaucoup en solitaire. Tu arrives seul dans un endroit, tu es le premier à entrer dans ce territoire-là — ou du moins, tu en as l’impression — et tu en profites pleinement.

Qu’est-ce qui vous motive à explorer les montagnes?

Faire la première trace... Il y a une satisfaction, une jouissance à faire ça! Et c’est de plus en plus rare de nos jours. Mais dans les Chic-Chocs, c’est encore possible. La semaine dernière, j’ai emmené des gens en montagne après la poudreuse et je leur ai dit que cette neige vierge était à eux. Ça criait! Ils réalisaient un rêve... C’est une motivation pour beaucoup de randonneurs d’être les premiers à entrer dans un territoire. Ça me touche beaucoup! J’essaie de faire vivre ça à mes invités, à l’Auberge.


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Êtes-vous plutôt du genre contemplatif ou performant?

Plus contemplatif. Me retrouver là, en nature, c’est ce que j’ai toujours recherché et que je cherche encore. Ça m’apaise beaucoup. Je suis en quête d’apaisement, de tranquillité.

Qu’est-ce que la nature vous a appris?

© Courtoisie Jacques Bouffard

D’abord l’humilité, surtout en haute montagne. J’ai vu des mortalités, et j’ai vécu des périodes où j’étais très affaibli par le manque d’énergie, entre autres. Ensuite, le respect, celui des compagnons de cordée, celui de la nature. Mais en même temps, la nature m’a beaucoup appris la confiance en soi. C’est symbolique, un sommet de montagne. Il n’y a pas plus gros symbole que ça! Tu tentes d’aller en haut et tu reviens. Vivre ça, c’est assez fantastique! Tellement que, lorsque je revenais dans le monde du travail après une expédition, j’étais souvent déçu.

La transmission du savoir, c’est important pour vous?

Oui! Je travaille avec une belle équipe de jeunes guides passionnés. Tu vois dans leurs yeux qu’ils croient que ça peut être possible d’en faire une vie. Ce n’est pas évident, au Québec, présentement, mais il faut y croire. Tout ce que je peux détecter comme embûche ou puiser dans mes expériences, sans prétention, j’en discute avec eux.

Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts en plein air?

L’équipement, ça, c’est certain. L’accessibilité au territoire aussi. On peut aller partout dans le monde aujourd’hui. Et au Québec, on s’en va vers une industrie du tourisme d’aventure pour faire travailler des gens qui sont formés. Ça ne fait pas longtemps qu’il y a des formations de guide en tourisme d’aventure. À Gaspé, c’est fort, et il y a de très bons professeurs. C’est beaucoup plus perfectionné, de plus en plus pointu, et il y a des formations reconnues à l’international, désormais.

Comment se porte le tourisme d’aventure au Québec?

Il est encore à développer. C’est incroyable, le territoire qu’on a! La Côte-Nord, les monts Groulx, tous les grands lacs... Il y a un potentiel exceptionnel l’hiver, avec le traîneau à chiens, le ski cerf-volant, le ski hors-piste. En Gaspésie, l’offre de tourisme d’aventure est aussi intéressante en montagne. Depuis dix ans, il n’y a jamais eu autant de monde dans cette région. C’est une fierté pour moi! Tout ça grâce à la TDLG [Traversée de la Gaspésie], à l’Auberge de montagne des Chic-Chocs, à Vertigo, aux pourvoyeurs d’aventure, etc. On n’offre pas n’importe quoi!


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Quels sont les moments les plus mémorables que vous avez vécus en montagne?

Ascension du Gasherbrum en 1990 © Courtoisie Jacques Bouffard

Il y en a beaucoup! Ce que je retiens, c’est la solidarité entre les compagnons, la bienveillance, notamment lors de périodes plus difficiles. C’est une force de sentir que tu es appuyé par les autres. Un jour, en montagne, j’ai eu une brûlure aux yeux, et j’ai perdu l’usage d’un œil. Je suis revenu au camp de base grâce à mes compagnons. Les gars étaient là pour moi. C’est ça, la solidarité!

Est-ce que vous vous voyez être guide encore longtemps?

Je ne peux pas me plaindre. Je fais mes journées comme les jeunes guides, mais je ne suis pas dans la performance. J’aimerais continuer longtemps, mais les horaires sont parfois difficiles par rapport à ma famille. J’ai été chanceux… Ça prend des compagnons de vie qui comprennent et acceptent ça, qui nous laissent vivre toutes ces aventures. Je suis très reconnaissant envers mes compagnes de vie et mes enfants...

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